L’Afrique, entre changements d’alliances et nouvelles dépendances

Antoine Glaser, journaliste français, écrit que la Françafrique est enterrée à Yamoussoukro en 1993, soit à la mort du président ivoirien, Félix Houphouët Boigny, proche parmi les proches des gouvernements français depuis son premier mandat en 1960. Malgré ce constat et un allègement progressif de la présence de l’ancien colonisateur, il semblerait que des liens forts aient persisté dans le temps. Néanmoins, en 2023, la présence française et occidentale apparait comme de moins en moins souhaitable tandis que de nouveaux acteurs étatiques et privés font leur entrée ou leur retour dans les chancelleries de nombreux pays africains. Ce renouveau et les espoirs qui s’ensuivent marquent-ils une deuxième vague d’indépendance du continent ou bien seulement un changement de maitres ? 

Un sentiment de dégagisme emporte les anciennes puissances coloniales…

            Mali, Burkina Faso, Niger, les mois passent et se ressemblent au Sahel, notamment pour la France qui voit sa présence partout remise en cause par les généraux putschistes et les peuples, bien souvent manipulés par ces mêmes militaires et leurs alliés étrangers. Ici, la France paie les conséquences de sa politique des années passées. En effet, le pays est resté fortement présent au Sahel et plus généralement dans ses anciennes colonies d’un point de vue militaire ou politique avec de nombreuses interventions et bases permanentes. Nous l’observons de la même manière à un niveau monétaire avec les zones Franc CFA ou économique puisque de nombreuses entreprises de l’Hexagone sont encore présentes, notamment dans les secteurs énergétique et minier, telles Total ou Orano. 

            Or, cette présence est au fur et à mesure du temps moins désirée et ce pour différentes raisons. Les interventions militaires sont perçues comme des reliquats de colonialisme puisque la France a pu mettre en place et sauvegarder des alliés en difficulté face à des rebelles nationaux comme au Tchad. De plus, la durée des opérations donne parfois le sentiment que les troupes françaises sont des troupes d’occupation (cf Serval et Barkhane s’étalant sur plus de 10 ans au Sahel).

            L’Occident, apparait aussi comme arrogant et moraliste pour les gouvernements et populations locales du fait de leurs tirades incriminantes ne s’appliquant pas forcément à tous, sur la démocratie ou les droits de l’Homme. Comment justifier, d’un côté le soutien à Mahamat Idriss Déby ayant pris le pouvoir de façon arbitraire à la mort de son père en 2021 au Tchad et d’un autre côté condamner les putschistes du Niger pas moins démocratiques ? 

            Tout cela combiné à une exploitation des richesses dont ne profitent pas les populations, provoque donc un sentiment global de dégagisme. Notons que ce sentiment est accentué par des campagnes antifrançaises menées par des médias d’État russes notamment ainsi que par une volonté de trouver de nouveaux partenaires. 

… Au profit de nouvelles puissances

            Nous observons de fait, la présence de nouveaux acteurs prenant la place des puissances européennes et occidentales. Nous pouvons notamment citer la Chine, la Russie ou l’Inde qui tentent de recréer un pacte économique ou sécuritaire avec les pays africains. 

            Ces puissances disposent de nombreux avantages aux yeux des dirigeants africains. En premier lieu, ces puissances n’expriment pas de reproches aux autocraties, s’accommodent plus de la corruption et ne conditionnent pas leurs aides à un quelconque respect des droits de l’Homme. Ils se posent donc comme les champions de la non-ingérence. De plus, Chine, Inde et Afrique se retrouvent dans une Histoire récente décrite comme commune avec une colonisation humiliante, une même volonté d’émergence. Cela se manifeste dans un regroupement idéologique symbolisé par les rencontres tricontinentales du Tiers Monde comme à Bandung en 1955, Belgrade en 1961 ou plus récemment par la volonté des BRICS de s’élargir à des pays comme l’Iran, l’Égypte ou l’Éthiopie. 

Enfin, ces pays disposent également d’atouts économiques et sécuritaires non négligeables. La Russie peut se permettre de proposer un support militaire étant donné sa forte industrie de la défense ou de déployer des groupes paramilitaires voire des troupes de son armée. Il en va de même à un niveau économique puisque les FTN ne manquent pas en Chine, en Inde ou en Russie pour développer les infrastructures africaines et aider à l’exploitation des ressources. 

Cependant, si d’apparence ces puissances semblent toutes indiquées pour pousser l’émergence africaine, elles ne sont pas moins voraces et impérialistes que les alliés d’antan.

Passer de Charybde en Scylla, ou le malheureux chemin que semble emprunter l’Afrique

            En dépit des vitrines attrayantes proposées par la Chine ou la Russie, il ne semble pas que ces pays puissent apporter une aide concrète au développement des peuples. Pour Monsieur Cabestan, la Chine fausse championne du respect de la souveraineté de ses partenaires n’est : « pas dans une logique néocoloniale mais davantage hégémonique, voire d’impérialisme ». Ainsi, le projet OBOR cache sous ses prêts attractifs des conditions de remboursement très dures avec des contreparties mettant en péril la souveraineté des pays concernés comme avec la cession d’un port en eau profonde par le Sri Lanka à la RPC. S’ajoute à cela la présence de nombreux « colons » chinois travaillant pour les entreprises de l’empire du milieu, ce qui provoque la colère des locaux n’accédant pas à l’emploi pourtant promis. On peut notamment observer ce phénomène en Zambie où des manifestations anti chinoises ont éclaté au cours des années précédentes. 

            S’additionne à ce mensonge celui de la sécurité. Malgré les promesses russes et la forte implication de Wagner au Sahel, les violences tendent à augmenter fortement depuis le départ des soldats de Barkhane. Nous assistons même à des exactions des mercenaires sur des civils.

            Ainsi, en dépit du support initial des populations et des gouvernements, il semblerait que ces nouveaux acteurs africains n’aient pas pour autre intention que d’exploiter les ressources du continent sans chercher un bénéfice mutuel. 

Conclusion  

            In fine, les nouveaux partenariats africains ne semblent pas avoir une chance de mener l’Afrique vers l’émergence et l’indépendance économique, et risquent même de l’enfoncer toujours plus dans ses dépendances et ses problèmes structurels. Il n’existe pas de solution exogène miracle, ces pays ne peuvent sortir de leur marasme qu’en résolvant leurs problèmes internes tels la corruption ou le clientélisme. Si les dirigeants continuent de protéger leurs intérêts et non ceux de leurs nations, les partenaires n’y pourront rien et serviront simplement de bouc émissaire. Ce qui en définitive favorisera toujours les puissances proches des castes et sans volonté de développer des partenariats favorables à l’ensemble des parties.

Néanmoins, l’Afrique dispose tout de même d’atouts majeurs grâce à sa jeunesse, ses ressources naturelles et sa position enviée par les puissances occidentales ou sinisées.

En ce qui concerne les pays occidentaux, rien n’est perdu n’ont plus. Le dégagisme actuel ne signifie pas la fin des relations avec les pays et peuples d’Afrique. Il leur est toutefois nécessaire de repenser leurs approches afin de contenter au mieux les aspirations économiques, souveraines, et indépendantistes des peuples et gouvernements tout en répondant à leurs propres objectifs. 

Africa, divided between changing alliances and new dependencies

            Antoine Glaser, a French journalist, wrote that Francafrique was buried in Yamoussoukro in 1993 when the Ivorian president, Félix Houphouët Boigny, who had been close to French governments since his first term in office in 1960, died. Despite this event, and a gradual reduction in the presence of the former coloniser, it would appear that strong links have persisted over time. Nevertheless, in 2023, the French and Western presence appears increasingly less desirable, while new states and private players are making their entry or return to the chancelleries of many African countries. Do this renewal and hopes that follow mark a second wave of independence for the continent, or is it just a change of masters?

A feeling of disengagement affects the former colonial powers…

            Mali, Burkina Faso, Niger, the months in the Sahel go by in quick succession, particularly for France, whose presence is being called into question everywhere by the putschist generals and the people. In fact, they are often manipulated by these same soldiers and their foreign allies. France is paying the consequences of its policy of the past few years. France has maintained a strong military and political presence in the Sahel and, more generally, in its former colonies, with numerous interventions and permanent bases. The same applies to monetary terms, with the CFA Franc zones, and in economic terms, with the presence of many French companies, particularly in the energy and mining sectors, such as Total and Orano. 

            However, this presence is gradually becoming less desirable, for a plurality of reasons. Military intervention is seen as a relic of colonialism, since France was able to set up and safeguard allies in difficulty in the face of national rebels, as in Chad. Furthermore, the duration of operations sometimes gives the impression that French army are occupying troops (see Serval and Barkhane, which lasted more than 10 years in the Sahel).

To local governments and populations, the West also appears arrogant and moralistic because of its incriminating tirades on democracy and human rights. However, they do not necessarily apply to everyone. How can we justify, on the one hand, supporting Mahamat Idriss Déby who arbitrarily seized power in Chad after the death of his father in 2021, and, on the other hand, condemning the no less democratic putschists in Niger? 

            All of this, combined with the exploitation of wealth that does not benefit the people, is creating an overall feeling of disengagement. It should be noted that this feeling is accentuated by anti-French campaigns led by the Russian state media, as well as by a desire to find new partners.

… to the benefit of new powers

            New players are taking the place of the European and Western powers. They include China, Russia and India, which are attempting to recreate an economic or security pact with African countries. 

            These powers have many advantages in the eyes of African leaders. Firstly, they do not reproach autocracies, they are more accommodating of corruption, and they do not make their aid conditional on any respect for human rights.So, they see themselves as champions of non-interference. Moreover, China, India and Africa all share the same recent history, with a humiliating colonisation and the same desire to emerge. This is reflected in an ideological grouping symbolised by the tricontinental Third World meetings held in Bandung in 1955 and Belgrade in 1961. More recently, it is visible through the desire of the BRICS to expand in order to include countries such as Iran, Egypt and Ethiopia.

Finally, these countries also have significant economic and security advantages. Russia can afford to offer military support – given its strong defence industry – or to deploy paramilitary groups or even troops from its army. The same applies to an economic level, with no shortage of TNCs in China, India and Russia to develop African infrastructures and to help to exploit resources. 

However, while on the surface these powers seem ideally suited to push for African emergence, they are no less voracious and imperialist than the allies of yesteryear.

From Charybdis to Scylla, or the unfortunate path Africa seems to be taking

            Despite the attractive outward appearance that China and Russia offer, these countries do not appear to be able to provide concrete aid for the development of their peoples. For Mr Cabestan, China, the false champion of respect for the sovereignty of its partners, is: « not following a neo-colonial logic, but rather a hegemonic logic, even one of imperialism ». For example, the OBOR project hides behind its attractive loans very harsh repayment conditions, with quid pro quos that jeopardise the sovereignty of the countries concerned, such as the transfer of a deep-water port by Sri Lanka to the PRC. Added to this is the presence of many Chinese « settlers » working for companies from the Middle Kingdom, provoking the anger of local people who are unable to access the jobs they were promised. This phenomenon can be seen in Zambia, where anti-Chinese demonstrations have broken out in recent years. 

            Added to this lie is the one of security. Despite Russian promises and Wagner’s strong involvement in the Sahel, violence has tended to increase sharply since the departure of Barkhane soldiers. We are even witnessing mercenary violence against civilians.

So, despite the initial support of populations and governments, these new African players might have no other intention  but to exploit the continent’s resources without seeking mutual benefit.

Conclusion 

            In the final analysis, the new African partnerships do not seem to have a chance of leading Africa towards emergence and economic independence, and there is even a risk that they will push it further into dependency and structural issues. There is no miracle exogenous solution; these countries can only get out of their doldrums by solving their internal issues such as corruption and clientelism. If leaders keep protecting their own interests rather than those of their nations, their partners will be useless and will simply serve as scapegoats. Thus, this will always favour those powers that are close to the castes and have no desire to develop partnerships that are favourable to all parties.

Nevertheless, Africa does have major assets, thanks to its youth, its natural resources, and its position, which is the envy of the Western and Chinese powers.

Concerning Western countries, nothing is lost any more. The current disengagement does not mean the end of relations with the countries and peoples of Africa. However, they do need to rethink their approaches in order to best satisfy the economic, sovereignty and independence aspirations of their peoples and governments, while meeting their own objectives.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *