CRISE MIGRATOIRE : L’EUROPE PEUT-ELLE SORTIR DE L’IMPASSE ?

         Au cours de son discours annuel sur l’état de l’Union européenne début septembre, Ursula von der Leyen a abordé brièvement les progrès réalisés sur la question migratoire. Une semaine plus tard, le sujet est brûlant et fait la une de tous les journaux européens. Entre le 11 et le 15 septembre, près de 12 000 migrants ont débarqué sur la petite île italienne de Lampedusa à bord d’embarcations de fortune, donnant lieu à des scènes de chaos dans le centre d’accueil de l’île conçu au départ pour 600 personnes. Avec des structures d’accueil dépassées, quelques centaines de migrants très affaiblis et un ras le bol de la population locale, Lampedusa est rapidement devenu le nouvel épicentre de la crise migratoire en Europe. Les gestes de solidarité se multiplient, certes, mais l’épisode de Lampedusa révèle au fond une politique européenne défaillante dans la gestion des flux et l’obtention d’une réponse unanime. Dans le même temps, certaines forces politiques extrémistes jouent sur les difficultés de l’Union pour étendre leur influence. Par le passé, l’Union européenne a su résister aux défis du Covid-19 et de l’invasion russe en Ukraine mais la question migratoire reste irrésolue et s’impose comme un véritable test. L’Union Européenne est-elle capable de composer entre réticences populaires, devoir humanitaire et diversité politique ? Une chose est sûre : à quelques mois des élections européennes, la politique migratoire est amenée à être un sujet déterminant durant la campagne. 

Entre déclarations politiques et réalité migratoire, le grand écart.  

      En octobre 2022, Giorgia Meloni s’est hissée au pouvoir en séduisant une grande partie de l’électorat italien avec les promesses d’un « blocus naval » et d’une fermeture des frontières aux migrations. Avant Lampedusa, l’Italie a pourtant accueilli plus de 100 000 migrants depuis janvier, soit plus qu’à la même période en 2022, ce qui a de quoi questionner la ligne défendue par Meloni. De même, alors que la Tunisie et l’Union européenne ont signé le mois dernier un partenariat stratégique prévoyant un meilleur contrôle des migrants qui partent vers l’Europe, les 12 000 migrants arrivés à Lampedusa sont pour la plupart tunisiens. Le décalage est donc flagrant entre ambitions politiques et réalité migratoire.     

      A ce jour, la politique migratoire européenne est en principe régie par un accord de répartition entre les 27 censé faciliter la prise en charge des demandeurs d’asile arrivant pour la plupart dans les pays du sud (Italie et Grèce). Mais l’application de celui-ci n’est jamais facile. Alors que l’Allemagne et la France sont engagées sur cet accord depuis juin, les deux pays ont annoncé des mesures visant à réduire l’arrivée de migrants irréguliers sur leurs territoires avant de revenir finalement sur leurs positions. Ces volte-face permanentes des membres de l’Union sont symptomatiques de leurs difficultés à s’entendre et à s’organiser lorsque la situation se dégrade. A Lampedusa, c’est la présidente de la Commission européenne qui s’est efforcée de limiter les tensions grâce à un plan d’urgence fondé sur 10 points. Mais cela ne peut durer et l’Union doit impérativement se doter d’une politique migratoire si elle veut éviter à nouveau une catastrophe humanitaire.   

      Alors que la question migratoire occupe déjà les esprits, la présumée fraude aux visas en Pologne révélée cette semaine a aussi de quoi susciter la colère de Bruxelles qui cherche désespérément à répartir les demandeurs d’asile en Europe. Le gouvernement polonais, pourtant anti-immigration, est accusé d’avoir octroyé des centaines de milliers de visas à des ressortissants étrangers contre de l’argent. Cette affaire et le manque de solutions de l’Union européenne pour trouver une répartition juste des demandeurs d’asile entre les 27 font aussi évidemment le jeu des partis extrémistes. Plus largement, avant les élections européennes, les trafics d’influence, la récupération et l’instrumentalisation politiques s’avèrent être des problèmes récurrents lorsqu’il s’agit d’un sujet aussi crucial que la question migratoire.

Pas de vraies solutions sans une Europe solidaire 

        Devant la presse à Lampedusa, la cheffe du gouvernement italien, Meloni, a déclaré que « l’avenir de l’Europe se joue ici », car son avenir « dépend de la capacité de l’Europe à affronter les grands défis ». La leader de l’extrême droite italienne, au côté d’Ursula von der Leyen, a réclamé une solidarité européenne sur le partage des charges liées à l’accueil, près d’un an après avoir proposé une fermeture des frontières. Ce changement de position venant de Meloni en dit long sur la nécessité de mettre en œuvre une politique migratoire coordonnée car les pays du sud ne pourront supporter seuls ce fardeau. L’accord de répartition entre les 27 péniblement adopté en juin constitue évidemment un premier pas mais la Hongrie et la Pologne continuent de faire bloc en refusant tout mécanisme de solidarité. 

     Face à l’urgence de Lampedusa, l’Europe ne peut plus se permettre de repousser et d’éterniser les négociations. Alors que l’immigration reste un sujet hautement sensible, le nombre d’actifs diminue dangereusement et l’hiver démographique (Gérard-François Dumont) menace les pays européens. Le pacte sur la migration et l’asile patine depuis trois ans maintenant et attend d’être adopté, mais le dernier volet sur la gestion des crises divise toujours. L’accord promet « qu’aucun État membre ne devrait se voir imposer une responsabilité disproportionnée et que tous les États membres devraient systématiquement contribuer à la solidarité » ou à défaut apporter une contribution financière. L’adoption du pacte semble d’autant plus importante que la stratégie de financement des pays du Maghreb pour réguler les départs pose problème dans la mesure où des pays autoritaires sont impliqués. 

       A un an des élections européennes, si l’Union européenne venait à progresser sur le sujet, à trouver un compromis final et à rééquilibrer la situation, cela enverrait un message fort à ses détracteurs. L’Europe dispose des moyens financiers et humains nécessaires à la résolution de nombreux problèmes. Il s’agit maintenant de passer des paroles aux actes. L’Europe fait face à un nouveau test de sa cohésion et de sa puissance.  

MIGRATORY CRISIS: CAN EUROPE BREAK THE DEADLOCK?

            Earlier in September, during its annual speech about the European Union’s state, Ursula von der Leyen briefly addressed the progress made concerning the migration issue. One week later, the issue was burning and hitting all the European headlines. Between the 11th and the 15th of September, nearly 12,000 migrants had landed on the small and Italian island Lampedusa. They cruised in makeshift boats. Chaotic scenes were to be seen at the island’s reception center which accommodation capacity cannot exceed 600 people. Reception facilities were overtaken, several hundred migrants were very weak and local people was exasperated. Thus, Lampedusa quickly became the new epicenter of the Europe’s migratory crisis. Even if acts of solidarity keep increasing, Lampedusa’s incident exacerbates a failed policy of Europe regarding flow management and the obtention of a unanimous response. At the same time, some extremist political forces take advantage of the Union’s difficulties to extend their influence. Historically, the European Union has succeeded in resisting to the hindrances of Covid-19 and the Russian invasion in Ukraine. However, the migratory issue remains unsolved and stands out as a real test. Is the European Union able to compromise between popular reluctance, humanitarian duty and political diversity? One thing is for sure: a few months away from European elections, the migratory policy is to constitute a determining topic during the campaign.

A wide gap between political pronouncements and the reality of migration.

            In October 2022, Giorgia Meloni raised to power by seducing the great majority of the Italian electorate with promises of a “naval blockade” and the closure of borders to avoid migrations.  Between January and the Lampedusa’s incident, Italy had welcomed over 100,000 migrants. This is more than in 2022, over the same period.  This assessment might question Meloni’s line of defense. Moreover, last month, Tunisia and the European Union signed a strategic partnership to anticipate a better control of migrants going for Europe. Nonetheless, there is, among the 12,000 migrants who arrived at Lampedusa, a majority of Tunisians. A glaring discrepancy can be seen between political ambitions and the reality of migrations. 

            By now, theoretically, the European migration policy is regulated by a distribution agreement between the 27. It aims to facilitate the support for asylum seekers mostly arriving to Southern countries (Italy and Greece). In practice, the application of this agreement is not an easy task. While Germany and France are committed to this agreement since June, both countries announced measures to reduce the arrival of irregular migrants on their lands, but afterwards reconsidered their positions. Those continuous and new turnabouts of the Union’s members are symptomatic of their difficulties to agree and organize themselves when the situation is getting worse. In Lampedusa, the President of the European Commission has strived to reduce tensions through an emergency plan relying on 10 points. But this serious situation cannot last any longer and it is imperative that the Union establishes a migration policy if it wishes to avoid a new humanitarian disaster. 

            While migration is a global issue, the presumed visa fraud in Poland has been disclosed this week. This is enough to provoke Brussels’ anger at a time when the country is desperately trying to divide asylum seekers across Europe. Despite being anti-immigration, the Polish government is accused of providing hundreds of thousands of visas to foreign nationals in exchange for money. This case and the lack of solutions of the 27 member states to encounter a fair distribution of asylum seekers are playing into the hands of extremist parties. More generally, before the European elections, influence-peddling, political exploitation and political instrumentalization prove to be persistent issues when is burning a crucial topic such as the migration issue. 

No real solutions exist without a Europe of solidarity

            Before the press at Lampedusa, the Italian head of government, Meloni, declared that “the future of Europe is at stake here”, because its future “depends on the capacity of Europe to face the biggest challenges”. The leader of the Italian far right, next to Ursula von der Leyen, claimed for a European solidarity for the burden-sharing about the welcoming part, nearly one year after having suggested the closure of borders. This change of posture coming from Meloni shows the extent of the necessity to establish a coherent migration policy. Southern countries will not be able to carry this burden alone. The distribution agreement between the 27 hardly adopted in June obviously represents a first step. However, Hungary and Poland keep standing together by refusing any mechanism of solidarity. 

            Regarding the emergency of Lampedusa’s incident, Europe cannot postpone and prolong negotiations any longer. While immigration remains a high-sensitive topic, the number of assets dangerously decreases, and the demographic winter (Gérard-François Dumont) threatens the European countries. The pact on migration and asylum is slipping for three years now. It is pending to be adopted, but the last part on crises management still divides. The agreement guarantees that “no member state will be forced to manage a disproportionate responsibility and that each member state should systematically contribute to solidarity”, or at least, bring a financial contribution. The adoption of the pact seems even more important regarding the financing strategy of countries from Maghreb to regulate departures. It constitutes an issue since authoritarian countries are involved.

            A year away from the European elections, if the Union was to make progress on the subject, to find a final compromise and to balance the situation, it would send a strong message to its detractors. Europe owns financial and human means which are key to solve many issues. Today, it is time to put words into action. Europe is facing a new test challenging its cohesion and power.

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