L’Indonésie : le géant oublié

4ème pays le plus peuplé au monde avec près de 280 millions d’habitants, l’Indonésie est pourtant un pays dont on entend généralement peu parler dans les affaires internationales. Désintérêt chronique de la part de Paris ou absence réelle de Jakarta sur la scène internationale ? L’Indonésie est pourtant acteur des relations internationales depuis plus d’un demi-siècle et sa géographie singulière nous invite à nous pencher sur ce géant qui sera au cœur des enjeux de demain. Zone d’interactions entre l’Occident et l’Orient ainsi qu’entre l’Asie et l’Océanie, le plus grand archipel au monde se trouve au carrefour de l’une des artères les plus importantes de nos jours : le détroit de Malacca. D’autant plus que l’Indonésie est un pays en transition vers le futur, en faisant face à l’un des plus grands défis : le dérèglement climatique, l’obligeant ainsi à établir une nouvelle capitale sur l’île de Bornéo qui devrait être dévoilée d’ici 2025. Ce détour de plus de 10 000 kilomètres est donc nécessaire, afin de mieux connaître ce colosse qu’on connaît si peu et qui aura probablement un rôle prépondérant demain à l’échelle mondiale.

Une arrivée sur la scène internationale pourtant remarquée

            Sous l’impulsion de Soekarno et de Mohammad Hatta, l’Indonésie est devenue indépendante en 1945, puis reconnue comme telle en 1949 par les Pays-Bas. Comme nombreux de ces pays devenus autonomes pendant cette période de décolonisation, l’Indonésie devait choisir un camp entre les lointaines démocraties libérales et les voisins communistes aux dérives autoritaires. Hier comme aujourd’hui, l’Indonésie choisit d’être cet équilibre entre Occident et Orient, et cela prend forme dès la conférence de Bandung en 1955. En effet, l’Indonésie se place comme l’un des leaders du mouvement des non-alignés aux cotés de l’Inde avec Nehru, de l’Égypte avec Nasser, et de la Chine avec Zhou Enlai. À la différence de nombre de ces pays tombés sous le giron soviétique ou américain, l’Indonésie est l’unique leader de Bandung à avoir fait du mouvement des non-alignés sa politique étrangère. Cette volonté d’équilibre continue d’être de nos jours la ligne directrice de la politique indonésienne en maintenant des relations cordiales à la fois avec Washington et Pékin, correspondant ainsi à la stratégie française et son « en même temps la Chine et en même temps les Etats-Unis ». Par ailleurs, nouer des liens avec l’Indonésie rime avec s’entretenir avec un leader régional historique. Elle est avec la Thaïlande, les Philippines, la Malaisie, et Singapour à l’initiative de l’ASEAN, une organisation économique à dimension régionale qui s’est largement élargie depuis. A l’image de la France avec l’Union Européenne, l’Indonésie représente un acteur diplomatique majeur dans l’histoire récente de la région, et les projections démographiques et économiques nous invitent à penser que l’Indonésie ne doit pas rester dans l’ombre des géants indiens et chinois.

Dans l’ombre de ses voisins

            Malgré un décollage économique réussi permis par les directives autoritaires de Soeharto, l’Indonésie n’est pas le « I » de BRIC à l’aube du XXIème siècle. En effet, frappée par la crise économique asiatique en 1997, l’Indonésie n’est alors pas perçue comme une future puissance économique comme le Brésil, la Russie, l’Inde ou la Chine selon le rapport publié par Goldman Sachs en 2003. Pourquoi l’Indonésie a toujours été dans l’angle mort de la politique étrangère française ? Le successeur de Soekarno a pourtant entraîné l’État-archipel dans un développement économique sans précédent, en se basant sur les nombreuses ressources du pays : charbon, pétrole, minerais, caoutchouc, nickel, riz. Soeharto a aussi ouvert l’Indonésie aux organisations intergouvernementales comme la Banque Mondiale et le Fonds monétaire International. D’autant plus que HSBC publie en 2010 un rapport qui positionne l’Indonésie dans une seconde vague de pays émergents, accompagnée de la Turquie et de l’Égypte notamment. Le développement économique exponentiel de l’Inde, de la Chine et du Japon ont cependant supprimé l’Indonésie de l’échiquier géopolitique, au point où seulement dix accords franco-indonésiens ont été conclus entre 1969 et 2014. Aujourd’hui, l’Indonésie est la 16ème puissance économique et membre du G20 et, de tous, elle est désormais perçue comme une puissance régionale qui aspire à en devenir une à l’échelle mondiale. Paris doit donc impérativement se rapprocher de Jakarta.

L’Indonésie : l’allié indispensable de demain ?

Historiquement grande puissance d’équilibre dans les relations internationales, la France a donc tout intérêt à renforcer ses liens avec l’Indonésie dont la position et la volonté géostratégiques sont uniques. Cette volonté indonésienne de « naviguer entre deux récifs », formule prononcée par le premier vice-président indonésien Mohammad Hatta en 1948, prend tout son sens dans le contexte géopolitique actuel, particulièrement marqué par une fracture de plus en plus profonde entre l’Occident mené par Washington et le Sud mené par Pékin. Et Paris l’a très bien compris après le revers infligé par Canberra, comme en témoigne le contrat signé en 2022 pour l’acquisition de 42 rafales. Paris, New Dehli, Jakarta sera l’axe de la stratégie française en Indopacifique. Mais la France doit dépasser ce « simple » accord cordial avec Jakarta, en établissant des partenariats culturels et économiques plus concrets. Il est par ailleurs nécessaire de rappeler que 50% des Indonésiens ont moins de 30 ans, promettant ainsi des perspectives prometteuses pour l’Indonésie, que ni la France ni la plupart de ses alliés peuvent en revanche imaginer. Établir un partenariat concret avec ce géant permettrait également à la France d’étendre son offre militaire dans la zone, mais aussi de renouer des liens dans une région qu’elle connaît déjà. Après l’Inde comme invité d’honneur au précédent 14 juillet, ne serait-ce donc pas au tour du prochain président indonésien d’être invité, en vue d’enclencher un nouveau cycle dans les relations franco-indonésiennes ?

Conclusion

Au même titre que les autres puissances émergentes comme le Mexique, l’Arabie saoudite ou la Turquie, l’Indonésie mérite d’être connue de tous puisqu’il s’agit d’une puissance en devenir. Faire l’impasse sur ce pays est une erreur, tant la singularité de cet Etat-archipel risque de peser demain sur la scène internationale.

Indonesia: the forgotten giant

Although being the 4th most populated country in the world with nearly 280 million inhabitants, Indonesia is nevertheless a country of which we generally don’t hear much about in international affairs. Is this a lack of interest coming from Paris or Jakarta’s real absence from the international scene? Indonesia has yet been participating in international affairs for more than 50 years and its unique geographical situation entices us to take a closer look at this giant that will be at the heart of tomorrow’s challenges. The world’s largest archipelago is a zone of interaction between the East and the West, as well as between Asia and Oceania, and is located at the crossroads of one of today’s most prominent maritime passage: the Malacca strait. Especially since Indonesia is a country in transition to the future, facing one of the most significant challenges: climate change, forcing it to establish a new capital city, to be unveiled by 2025, on the island of Borneo. It is therefore of prime interest for us to make this 10 000 km trip, in order to learn more about this behemoth we have so little knowledge about and that will most likely have a leading role at world scale in the future.

A remarkable arrival on the international scene.

Under the impetus of Sukarno and Mohammed Hatta, Indonesia became independent in 1945, then got recognized as such by the Netherlands in 1949. Along with numerous other countries that became autonomous during the period of decolonization, Indonesia had to choose a side between remote liberal democracies and communist neighbors with authoritarian tendencies. Today, as it did in the past, Indonesia chose to be this balance between the West and the East, and this took shape as early as the Bandung conference in 1955. Indeed, Indonesia set itself as one of the leaders of the Non-aligned Movement, alongside Nehru’s India, Nasser’s Egypt and Zhou Enlai’s China. Unlike most of these countries fallen under the thumb of the United States or China, Indonesia is the only leader of Bandung that has made of the Non-aligned Movement its foreign policy. This drive for balance is still to this day the Indonesian policy’s main guiding principle, maintaining warm relations with both Washington DC and Beijing, which is in line with the French strategy of “China and the United States at the same time”. Moreover, forging ties with Indonesia means engaging with a historical regional leader. The country is with Thailand, the Philippines, Malaysia, and Singapore a founder of ASEAN, a regional-scaled economic organization that has since extended to other countries. Just like France in the European Union, Indonesia is a prominent diplomatic actor in the region’s recent history, and the demographic and economic projections prompts us to believe it will not remain in the shadows of giants such as India and China.

Indonesia in its neighbors’ shadows.

Despite a successful economical takeoff under Suharto’s authoritarian rule, Indonesia is not the only “I” in the BRIC acronym at the dawn of the 21st century. As a matter of fact, struck by the Asian economic crisis in 1997, Indonesia was not at the time perceived as a future economic power like Brazil, Russia, India or China according to a Goldman Sachs report of 2003. Why was Indonesia always in the blindside of France’s foreign policy? Sukarno’s successor has nevertheless led the archipelago state into an unprecedented economic development, by relying on the countries’ natural resources such as coal, petrol, minerals, rubber, nickel, and rice. Suharto also paved Indonesia’s way into intergovernmental organizations such as the World Bank and the International Monetary Fund. All the more so as HSBC published a report setting Indonesia among a second wave of emerging countries, alongside Turkey and Egypt. India, China, and Japan’s exponential economic development have undermined Indonesia’s role on the geopolitical scene, to the extent that only ten agreements between France and Indonesia have been achieved in the period 1969-2014. Today, Indonesia is the world’s 16th economic power as well as a G20 member, considered by all as a regional power with global aspirations. It therefore would be a very relevant move from Paris to draw nearer to Jakarta.

Indonesia: tomorrow’s indispensable ally?

Historically a great balancing power in international relations, France has hence a vested interest in bolstering its ties with Indonesia, whose position and geostrategic will-power are unique. This Indonesian ambition of “sailing between two reefs”, expression coined by Mohammed Hatta in 1948, makes a lot of sense in today’s geopolitical context, especially marked by an ever-deeper fault between the West led by Washington DC and the South led by Beijing. And Paris has clearly understood this after the setback inflicted by Canberra, as evidenced by the contract signed in 2022 for the acquisition of 42 Rafales. Paris, New Delhi, Jakarta will be part of the French strategic axis in the Indo-pacific region. But France needs to go beyond this “simple” cordial agreement with Jakarta, by establishing more concrete cultural and economic partnerships. What’s more it is worth remembering that half of the Indonesian population is below 30 years of age, a promising perspective for Indonesia that neither France nor the majority of its allies can even imagine. Establishing a concrete partnership with this behemoth would enable France to extend its military offering in the zone, but also renew ties in a region it is familiar with. After India being invited as guest of honor to the last French 14th of July, couldn’t it be the next Indonesian president’s turn to be invited, in order to implement a new cycle of relations?

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