75ème anniversaire de l’OTAN : entre incertitude et inquiétude

Depuis sa fondation en 1949, l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) a été un pilier de la sécurité collective pour ses membres, établissant un rempart contre les menaces extérieures et promouvant la stabilité dans une Europe encore marquée par les cicatrices de la Seconde Guerre mondiale. Alors que l’OTAN célèbre son 75ème anniversaire, il est opportun de réfléchir à son parcours, à ses accomplissements et aux défis qui se dressent sur son chemin.

Une alliance historique

L’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord, constituée des puissances occidentales,  est créée en 1949 pour faire face à la menace que représente l’Union Soviétique et le bloc de l’Est dans un contexte de Guerre Froide. La création du Pacte de Varsovie en 1955, qui était l’alliance militaire de l’Union soviétique et de ses pays satellites en Europe de l’Est, a alimenté les tensions de la Guerre Froide et renforcé le rôle de l’OTAN en tant que contrepoids occidental. L’alliance a vocation à protéger l’Europe occidentale de par son alliance avec les Etats-Unis, perçus comme la grande puissance gagnante de la Seconde Guerre mondiale. Les fondateurs de l’OTAN sont la Belgique, le Canada, le Danemark, les États-Unis, la France, l’Islande, l’Italie, le Luxembourg, la Norvège, les Pays-Bas, le Portugal et le Royaume-Uni[1].

Son objectif principal est d’éviter une nouvelle guerre en formant une alliance assez forte pour dissuader toute attaque. Elle a donc un pouvoir symbolique. Elle a également un pouvoir légal puisque l’article 5 du traité stipule que : « Les parties conviennent qu’une attaque armée contre l’une ou plusieurs d’entre elles survenant en Europe ou en Amérique du Nord sera considérée comme une attaque dirigée contre toutes les parties » et qu’en conséquence les parties auront le droit d’utiliser leur droit de défense individuel et collectif contre l’Etat attaquant.

Son pouvoir est aussi militaire. Au cours des premières années, l’OTAN a mis en place une structure de commandement intégrée, élaboré des plans de défense communs et lancé des initiatives visant à renforcer la coopération militaire et économique entre les membres Enfin l’OTAN possède un pouvoir idéologique avec la défense de valeurs communes. L’OTAN considère être « garante de la paix, de la démocratie et de la prospérité pour ses membres et pour un milliard de personnes, des deux côtés de l’Atlantique »[2].

L’OTAN subit de nombreux élargissements, notamment après la fin de la Guerre Froide. Elle réoriente également ses priorités vers de nouveaux défis, tels que la lutte contre le terrorisme, la stabilité dans les Balkans et la coopération avec d’anciens adversaires de l’Est. Jusqu’en 2020, l’OTAN s’agrandit progressivement afin d’atteindre 30 Etats membres.

Une nouvelle raison d’être

       L’invasion de l’Ukraine par la Russie a été un choc, bouleversant le paysage géopolitique, redonnant de la légitimité aux discours de défense et de sécurité et donc à la raison d’être même de l’OTAN. Le déclenchement du conflit et l’idée d’une attaque contre un pays membre ont engendré une réelle menace incitant les pays européens à assurer la sécurité si bien que l’alliance semble aujourd’hui indispensable. Il s’agit d’une véritable bascule pour une organisation qui était jugée en état de « mort cérébrale » par le président français Emmanuel Macron en 2019. L’adhésion officielle de la Suède, historiquement neutre, en mars 2024 en tant que 32e membre de l’OTAN a également rebattu les cartes.

Même si pour l’heure l’organisation n’envoie pas de troupes en Ukraine, le secrétaire général de l’Otan, Jens Stoltenberg, s’est engagé sur la durée à fournir une aide militaire précieuse à Kiev équivalente à 100 milliards d’euros en 5 ans (chacun des États membres de l’Alliance devant y contribuer en fonction de son produit intérieur brut). Ce projet ambitieux sera tranché lorsque les 32 Etats membres se réuniront au sommet de l’OTAN en juillet à Washington. Mais si la protection de l’Europe face à une Russie belliqueuse est une mission évidente, l’intégration de l’Ukraine à l’organisation demeure un sujet brûlant, suscitant de nombreux points de blocage en raison des positions divergentes des membres. Alors que les pays baltes et la Pologne réclament une adhésion rapide de l’Ukraine, les Etats-Unis sont plus réticents et le fait que l’OTAN soit seulement une alliance militaire sans une communauté de valeurs rend l’équation difficile à résoudre. L’OTAN demeure prisonnière de ses contradictions et la possibilité d’un engagement plus important de l’OTAN aux côtés de l’Ukraine fait craindre d’exacerber les tensions avec la Russie. Un retour de Trump à la Maison Blanche pourrait également changer la donne, lui qui remet en cause la solidarité entre membres de l’OTAN.

Les Etats-Unis, un partenaire de plus en plus distant

L’ambition des Etats-Unis en termes de défense est de moins en moins en adéquation avec les volontés européennes. Alors que les puissances européennes veulent renforcer l’alliance sur le continent européen, les Etats-Unis visent plutôt une extension vers la région Indo-Pacifique. Japon, Corée du Sud et Australie sont des partenaires privilégiés des Etats-Unis, qui considèrent cette région comme hautement stratégique. La raison à cela est l’importance économique croissante de la région ainsi que l’émergence de la Chine en tant que puissance régionale majeure. Cette région est devenue un pivot central de la politique étrangère américaine, avec des initiatives telles que la stratégie de rééquilibrage vers l’Asie du président Obama et la stratégie Indo-Pacifique de l’administration Trump.

En revanche, l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN ne fait pas consensus aux Etats-Unis. Alors que certains responsables américains soutiennent son adhésion, d’autres craignent que cela ne provoque une escalade des tensions avec la Russie. A l’approche des élections présidentielles, le président Joe Biden n’a aucun intérêt à soutenir une intégration accélérée du pays en guerre. En effet, les républicains ont bloqué le dernier vote du Congrès pour le dernier paquet d’aide militaire à l’Ukraine[3], sous l’impulsion de Donald Trump.

L’ancien président Donald Trump a lui une position tranchée sur la question de l’OTAN. Défendre l’Europe, oui, mais si cela est dans l’intérêt des Etats-Unis. Selon lui, les investissements des pays européens dans l’OTAN sont insuffisants et faute de moyens financiers et matériels supplémentaires, rien ne garantit l’aide des Etats-Unis envers les autres pays membres, qu’ils qualifient de délinquants. Les futures élections présidentielles américaines, qui se tiendront en novembre prochain pourraient donc bien changer la donne. Un possible désengagement des Etats-Unis de l’OTAN n’est pas à exclure, alors même que 80% de la défense des alliés européens dépend des Etats-Unis[4]. Les Etats-Unis, quant à eux multiplient les alliances dans l’Indo-Pacifique, tel que l’accord AUKUS entre l’Australie, le Royaume-Uni et les Etats-Unis ou encore la mise en place récente d’un système de défense aérienne commun entre les Etats-Unis, le Japon et l’Australie[5].

L’OTAN aujourd’hui

En 1949, les signataires de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord avaient la ferme intention de “sauvegarder la liberté de leurs peuples, leur héritage commun, leur civilisation”. 75 ans plus tard, l’organisation agrandie à 32 Etats après les adhésions successives de la Finlande et de la Suède s’inscrit dans la même lignée et est même plus forte que jamais. Si le retour de la guerre en Europe a renforcé l’alliance, le conflit place l’organisation face à ses contradictions et le fossé continue de se creuser entre certains pays membres. En 2023, moins de la moitié des alliés européens ont consacré les 2% du PIB demandé aux dépenses de défense et l’organisation repose majoritairement sur le poids de la protection américaine. L’intégration de l’Ukraine, la perspective d’un retour de Trump, les positions divergentes suscitent donc de l’inquiétude quant à la santé de l’alliance pour son 75ème anniversaire.

NATO’s 75th anniversary: between uncertainty and concern

Since its foundation in 1949, the North Atlantic Treaty Organization (NATO) has been a pillar of collective security for its members, establishing a bulwark against external threats and promoting stability in a still scarred Europe dealing with the aftermath of the Second World War. As NATO celebrates its 75th anniversary, it is timely to reflect on its journey, its achievements and the challenges that lie ahead.

A historic alliance

The North Atlantic Treaty Organization, made up of the Western powers, was created in 1949 to counter the threat posed by the Soviet Union and the Eastern bloc during the Cold War. The creation of the Warsaw Pact in 1955, the military alliance between the Soviet Union and its satellite countries in Eastern Europe, fuelled Cold War tensions and reinforced NATO’s role as a Western counterweight. The alliance’s goal was to protect Western Europe through its relationship with the United States, perceived as the great winning power of the Second World War. NATO’s founding members are Belgium, Canada, Denmark, France, Iceland, Italy, Luxembourg, the Netherlands, Norway, Portugal, the United Kingdom and the United States.

Its main aim is to prevent another war by forming an alliance strong enough to deter any attack. It therefore has symbolic power. It also has legal power, since Article 5 of the treaty stipulates that: « The parties agree that an armed attack against one or more of them occurring in Europe or North America shall be considered as an attack against all the parties », and that consequently the parties will have the right to use their individual and collective right of defense against the attacking state.

Its power is also military. In its early years, NATO established an integrated command structure, drew up joint defense plans and launched initiatives to strengthen military and economic cooperation between members. Finally, NATO has ideological power, with the defense of common values. NATO sees itself as « the guardian of peace, democracy and prosperity for its members and for a billion people on both sides of the Atlantic ».

The organization has undergone numerous enlargements, particularly since the end of the Cold War. It is also redirecting its priorities towards new challenges, such as the fight against terrorism, stability in the Balkans and cooperation with former opponents in the East. Until 2020, NATO has been gradually expanding to 30 member states.

A new purpose

       Russia’s invasion of the Ukraine came as a shock, turning the geopolitical landscape upside down and giving new legitimacy to defense and security meetings, and thus to NATO’s very purpose. The outbreak of the conflict and the idea of an attack against a member country have created a real threat, prompting European countries to ensure security to such an extent that the alliance now seems indispensable. This is a real turning point for an organization that was deemed « brain-dead » by French President Emmanuel Macron in 2019. The official accession of historically neutral Sweden in March 2024 as NATO’s 32nd member has also reshuffled the cards.

Although the organization is not currently sending troops to Ukraine, NATO Secretary General Jens Stoltenberg has made a long-term commitment to provide Kiev with valuable military aid promising up to 100 billion euros over 5 years (with each Alliance member state contributing according to its gross domestic product). This ambitious project will be decided when the 32 member states meet at the NATO summit in Washington in July. But while protecting Europe from an aggressive russian state is an obvious mission, Ukraine’s integration into the organization remains a hotly debated issue, giving rise to numerous bones of contention due to the divergent positions of its members. While the Baltic states and Poland are calling for Ukraine to join as soon as possible, the United States is more reluctant in doing so, and the fact that NATO is only a military alliance without a community of values makes the equation difficult to resolve. The organization remains a prisoner of its own contradictions, and the possibility of greater NATO involvement with Ukraine raises fears of exacerbating tensions with Russia. The probable return of Trump to the White House could also change the situation, as he puts into question the solidarity between NATO members.

The United States, an increasingly remote partner

America’s defense ambitions are increasingly at odds with those of Europe. While the European powers want to strengthen their alliance on the European continent, the United States is aiming to expand into the Indo-Pacific region. Japan, South Korea and Australia are privileged partners of the USA, which considers the region to be highly strategic. The reason for this is the region’s growing economic importance, and the emergence of China as a major regional power. The area has become a central pivot of US foreign policy, with initiatives such as President Obama’s rebalancing strategy towards Asia and the Trump administration’s Indo-Pacific strategy.

On the other hand, Ukraine’s membership of NATO does not meet with consensus in the United States. While some U.S. officials support membership, others fear it could escalate tensions with Russia. With presidential elections looming ahead, President Joe Biden has no interest in supporting accelerated integration of the war-torn country. For instance, Republicans blocked the last Congressional vote for the latest military aid package to Ukraine, after Donald Trump’s impetus.

Former President Donald Trump has a clear-cut position on NATO. Defending Europe, yes, but only if it’s in the interests of the United States. In his view, European countries are not investing enough in NATO, and without additional financial and material resources, there is no guarantee that the United States will help other member countries, which they describe as delinquents. The upcoming US presidential elections in November could well change all this. A possible US withdrawal from NATO cannot be ruled out, even though 80% of the defense of European allies depends on the USA. The USA, for its part, is multiplying its alliances in the Indo-Pacific, such as the AUKUS agreement between Australia, the UK and the USA, or the recent establishment of a joint air defense system between the USA, Japan and Australia.

NATO today

In 1949, the signatories of the North Atlantic Treaty Organization were determined to « safeguard the freedom of their peoples, their common heritage and their civilization ». 75 years later, the organization, enlarged to 32 states after the successive accessions of Finland and Sweden, continues in the same stride, and is even stronger than ever. While the return of war to Europe has strengthened the alliance, the conflict has brought the organization face to face with its contradictions, and the gap between some member countries continues to widen. By 2023, less than half of Europe’s allies have paid up the required 2% of GDP to the NATO defense fund, and the organization still today relies heavily on the weight of American protection. The integration of Ukraine, the prospect of Trump’s return, and divergent positions are therefore raising concerns about the health of the alliance on its 75th anniversary.

Bibliographie

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Ministère des Armées (2024). “75 ans de l’OTan: “il faut rester unis””, Ministère des Armées, Actualités. Consulté le 11 avril 2024 sur: https://www.defense.gouv.fr/actualites/75-ans-lotan-il-faut-rester-unis

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Poujade Olivier (2024). “75 ans de l’Otan: les Etats-Unis lorgnent vers l’Indo-Pacifique pendant que l’entente se craquelle avec l’Europe”, Franceinfo. Consulté le 11 avril 2024 sur: https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/un-monde-d-avance/75-ans-de-l-otan-les-etats-unis-lorgnent-vers-l-indo-pacifique-pendant-que-l-entente-se-craquelle-avec-l-europe_6436711.html

Rocca Nicolas, Nishimura Karyn & Plesse Grégory (2024). “L’Otan fête ses 75 ans : Corée du Sud, Japon et Australie, ces pays du Pacifique qui multiplient les signes de rapprochement”, Le club des correspondants, Franceinfo. Consulté le 11 avril 2024 sur: https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/le-club-des-correspondants/l-otan-fete-ses-75-ans-coree-du-sud-japon-et-australie-ces-pays-du-pacifique-qui-multiplient-les-signes-de-rapprochement_6436726.html


[1] OTAN (2024). “Pays membres de l’OTAN”, nato.int. Consulté le 11 avril 2024 sur: https://www.nato.int/cps/fr/natohq/topics_52044.htm#coldwar2

[2] OTAN (2024). “L’OTAN célèbre son 75e anniversaire pendant sa réunion des ministres des Affaires étrangères”, nato.int, Nouvelles. Consulté le 11 avril 2024 sur:  https://www.nato.int/cps/fr/natohq/news_224092.htm

[3] Poujade Olivier (2024). “75 ans de l’Otan: les Etats-Unis lorgnent vers l’Indo-Pacifique pendant que l’entrente se craquelle avec l’Europe”, Franceinfo. Consulté le 11 avril 2024 sur: https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/un-monde-d-avance/75-ans-de-l-otan-les-etats-unis-lorgnent-vers-l-indo-pacifique-pendant-que-l-entente-se-craquelle-avec-l-europe_6436711.html

[4] ibid

[5] Franceinfo & AFP (2024). “Les Etats-Unis, le Japon et l’Australie lancent un système de défense aérienne commun”, Franceinfo. Consulté le 11 avril 2024 sur:

https://www.francetvinfo.fr/societe/armee-securite-defense/les-etats-unis-le-japon-et-l-australie-lancent-un-systeme-de-defense-aerienne-commun_6478943.html

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