Le Sénégal se dirige-t-il vers une rupture ?

            Le 24 mars 2024, Bassirou Diomaye Faye est élu cinquième président du Sénégal. Le jeune président (44 ans) se présente comme le candidat de la rupture. Lui qui fait partie de l’opposition du gouvernement précédent, a été élu au premier tour à 54 %. Son élection redéfinit le paysage politique et démocratique sénégalais.

Les élections présidentielles se sont déroulées dans un contexte inattendu

Le samedi 3 février, Macky Sall annonce, trois semaines avant le début de la campagne, le report sine die des élections sénégalaises. Justifié par le président sortant expliquant un « différend entre l’Assemblée nationale et conseil constitutionnelle », ce report a été fortement contesté dans la rue avec de nombreuses manifestations et émeutes. C’est un événement qui semble improbable, et pourtant, il a été permis par le « pouvoir de retouche constitutionnelle ». Ce puissant pouvoir est notamment l’une des conséquences de l’hyperprésidentialisme sénégalais.

Le pays qui est pourtant connu pour sa stabilité politique dans une région contaminée par les coups d’État (Mali, Burkina Faso et Niger), a révélé ses failles politiques systémiques profondes avec cette annonce. Trois semaines après l’annonce présidentielle, le Conseil constitutionnel sénégalais a annulé la procédure de report. Ce même Conseil qui se plie habituellement aux désirs du président, décide d’en faire autrement cette fois. Le « Conseil des sages » admet tout de même l’impossibilité de maintenir les élections le 25 février 2024 et demande alors au gouvernement d’organiser les élections dans les plus brefs délais. La réaction du monde entier après l’annonce du 3 février ne se fait pas attendre : les États-Unis, par exemple, qualifient le report d’illégitime. La communauté internationale a immédiatement prié Macky Sall de replanifier les élections le plus vite possible. Cet événement a donc mené à un questionnement du système politique sénégalais et à par la suite, a affaibli sa cote de popularité.

Bassirou Diomaye Faye quant à lui n’était pas le candidat prévu pour représenter le Pastef. En effet, c’est le charismatique chef de file Ousmane Sonko qui était prévu, mais qui n’a pas pu se présenter pour des raisons judiciaires. Et pourtant, seulement deux semaines avant les élections, B. Diomaye Faye était encore en prison (il y était depuis 11 mois) pour cause d’outrage à magistrat pour avoir dénoncé sur les réseaux sociaux la « clochardisation » de la justice.

Malgré toutes ces circonstances, c’est bien Bassirou Diomaye Faye qui n’a cessé de faire campagne, même en prison, qui a été élu. Effectivement, il a été, pendant toute la campagne, l’un des favoris, profitant de la popularité d’Ousmane Sonko.

Le candidat de la rupture

On se demande à présent ce qui a fait qu’il a été l’un des favoris pendant la présidentielle de 2024. Il faut donc dès à présent s’intéressé au programme de B. Diomaye Faye, se présentant comme panafricaniste de gauche, qui semble suivre une ligne conductrice : la rupture. En effet, à travers plusieurs dimensions, le cinquième président veut créer une rupture dans le système politique sénégalais. Les Sénégalais semblent vouloir un profond désir de changement systémique pour avoir voté à 54% au premier tour pour lui.

Le premier point auquel le nouveau président sénégalais accorde beaucoup d’importance est la souveraineté, le terme apparaît d’ailleurs 18 fois dans son programme. Pour ce faire, il compte renégocier les rapports avec les grands groupes et les Etats pour une « coopération vertueuse, respectueuse et mutuellement productive ». Le jeune président a explicitement formulé cette volonté de souveraineté concernant l’exploitation de gaz et de pétrole offshore, en disant notamment « l’exploitation des ressources naturelles, qui, selon la Constitution, appartiennent au peuple, retiendra particulièrement l’attention de mon gouvernement ». Tout ceci dans le but de redonner au Sénégal l’image d’un pays stable, et effacer la très mauvaise publicité du report des élections.

Le second point phare du programme qui est lié à la souveraineté du pays est la restauration de la démocratie sénégalaise. Ce point va être traité par le combat qu’il veut mener contre la corruption, la lutte contre l’hyperprésidentialisme et la volonté pour plus de justice. Pour ce qui est de la lutte contre la corruption, elle est dénoncée depuis longtemps par le peuple sénégalais. L’hyperprésidentialisme, système politique centralisé autour du pouvoir présidentiel, estquant à lui largement remis en cause par le peuple sénégalais après cet épisode de troubles politiques. Pour ce qui est de la justice, une partie importante du peuple approuve, comme en témoigne l’applaudissement du public suite à sa mention de la « justice indépendante » pendant son discours d’investiture.

Enfin, B. Diomaye Faye souhaite établir la garantie d’une souveraineté économique à son pays. Il veut le recentrage du pays sur une économie locale afin qu’il y ait une meilleure allocation des ressources tout en baissant la dépendance du pays aux pays étrangers, surtout pour l’alimentation. En effet, le secteur alimentaire au Sénégal a été fortement touché par la crise suite à la guerre en Ukraine. Un autre point important est la réduction du coût de la vie. Les Sénégalais ont connu une très forte inflation en lien avec la pandémie de covid-19 et, encore une fois avec la guerre en Ukraine. Enfin, il désire mettre en place des réformes monétaires, il évoque notamment la suppression du franc CFA. Cette monnaie engendre aujourd’hui pour le pays une dépendance monétaire.

On l’a compris, le programme du nouveau président est clair sur un point : le changement systémique en profondeur du fonctionnement de la politique du pays de Léopold Sédar Senghor.

La rupture : entre attentes et réalité

            On a constaté précédemment que les Sénégalais sont en grande partie en accord avec le programme de B. Diomaye Faye, mais celui-ci est-il réalisable ? Les attentes des Sénégalais sont élevées, le risque de déception est donc important ; Bassirou Diomaye Faye réussira-t-il à satisfaire les Sénégalais ?

            Le nouveau président a un atout : il a un socle légitime robuste, ce qui lui permettra d’agir. Son handicap pour le moment est qu’il doit gouverner sans majorité au Parlement, il sera donc compliqué pour le jeune président de mettre en œuvre son projet de société.

Concentrons-nous sur la corruption : il veut éradiquer cette gangrène, mais il nomme au poste de premier ministre Ousmane Sonko, accusé à plusieurs reprises de corruption. Bassirou Diomaye Faye a aussi déclaré vouloir intégrer les bonnes idées des programmes des autres candidats, ce qui pourrait accroître sa popularité.

Ensuite, et c’est une volonté qui émane de la société, B Diomaye Faye veut revisiter l’alliance française. Les rapports entre France et Sénégal sont contrastés : les rapports diplomatiques sont bons, mais la population a un sentiment que la France adopte une posture néo-colonialiste. Ce n’est pas la première fois que la population fait entendre cette volonté, rappelons-nous de mars 2021 lorsque les Sénégalais ont saccagé et pillé les enseignes françaises présentent au Sénégal. Le gouvernement pourrait remettre en cause la présence militaire ou, comme dit plus tôt, le franc CFA, monnaie héritée du système colonial français. La France a tout intérêt à ce que le nouveau gouvernement réussisse, car elle le sait, s’il échoue, elle sera accusée comme responsable de cet échec. Emmanuel Macron tend donc la main au président sénégalais en le félicitant parmi les premiers, la suite nous dira si Bassirou Diomaye Faye la saisit.

Le Sénégal semble être sur la « voie de la construction » pour reprendre les mots du nouveau président sénégalais. Malgré des élections difficiles, la transition démocratique est réussie au Sénégal. Les Sénégalais attendent un réel changement systémique, Bassirou Diomaye Faye devra apporter une réponse satisfaisante. Tout de même, l’élection d’un président de 44 ans dans une partie du monde où la moyenne d’âge des chefs d’État en 2021 était de 66 ans, constitue en elle-même une rupture.

Is Senegal moving towards a break?

     On 24 March 2024, Bassirou Diomaye Faye was elected Senegal’s fifth president. The young president (aged 44) is presenting himself as the candidate for a break. He who is part of the opposition in the previous government was elected in the first round with 54% of the vote. His election redefines Senegal’s political and democratic landscape.

The presidential elections took place in an unexpected context

     On Saturday 3 February, three weeks before the start of the campaign, Macky Sall announced the sine die postponement of the Senegalese elections. Justified by the outgoing president as a « dispute between the National Assembly and the Constitutional Council », the postponement was strongly contested on the streets with numerous demonstrations and riots. It is an event that seems improbable, and yet it was allowed to happen by the « constitutional tinkering power ». This powerful power is one of the consequences of Senegal’s hyper-presidentialism.                                                                                 

     The country, which is known for its political stability in a region contaminated by coups d’état (Mali, Burkina Faso and Niger), revealed its deep systemic political flaws with this announcement. Three weeks after the presidential announcement, the Senegalese Constitutional Council cancelled the postponement procedure. This same Council, which usually complies with the President’s wishes, decided to do otherwise this time. The « Council of Wise Men » nevertheless admitted that it was impossible to hold the elections on 25 February 2024 and asked the government to organise the elections as soon as possible. The reaction from around the world to the announcement on 3 February was swift: the United States, for instance, described the postponement as illegitimate. The international community immediately urged Macky Sall to reschedule the elections as soon as possible. This event led to a questioning of the Senegalese political system and subsequently weakened his popularity rating.

     Bassirou Diomaye Faye was not the intended candidate to represent Pastef. Indeed, it was the charismatic leader Ousmane Sonko who was scheduled to stand, but who was unable to do so for judicial reasons. And yet, just two weeks before the elections, B. Diomaye Faye was still in jail (he had been there for 11 months) for contempt of court for having denounced on social networks the  » trampling » of justice.

     Despite all these circumstances, it was Bassirou Diomaye Faye, who never stopped campaigning, even in jail, who was elected. Indeed, throughout the campaign he was one of the favourites, taking advantage of Ousmane Sonko’s popularity.

The breakaway candidate

     We are now wondering why he was one of the favorites for the 2024 presidential election. We must now turn our attention to the programme of B. Diomaye Faye, who describes himself as a pan-Africanist of the left who seems to be following a conductive line: the break. Indeed, the fifth president wants to create a break with the Senegalese political system. The Senegalese seem to have a deep desire for systemic change, having voted 54% for him in the first round.

     The first point to which the new Senegalese president attaches great importance is sovereignty, the term appears 18 times in his programme. To achieve this, he intends to renegotiate relations with the major groups and states to ensure « virtuous, respectful and mutually productive cooperation ». The young President has explicitly expressed this desire for sovereignty over the exploitation of offshore oil and gas, saying in particular that « the exploitation of natural resources, which, according to the Constitution, belong to the people, will receive particular attention from my government ». All this in order to give Senegal the image of a stable country and erase the very bad publicity of the postponement of the elections.

      The second key point of the programme, which is linked to the country’s sovereignty is the restoration of Senegalese democracy. This point will be addressed by the fight against corruption, the fight against hyper-presidentialism and the desire for greater justice. The fight against corruption has long been denounced by the Senegalese people. Hyper-presidentialism, a political system centralised around the power of the president, is widely questioned by the Senegalese people after this episode of political unrest. In terms of justice, a significant proportion of the people approve, as shown by the applause from the audience following his mention of « independent justice » during his inauguration speech.

     Finally, B. Diomaye Faye wants to establish guaranteed economic sovereignty for his country. He wants the country to refocus on a local economy so that resources can be better allocated, while at the same time reducing its dependence on foreign countries, especially for food. Indeed, Senegal’s food sector has been hit hard by the crisis following the war in Ukraine. Another important point is to reduce the cost of living. The Senegalese people have experienced very high inflation as a result of the covid-19 pandemic and, once again, with,the war in Ukraine. Finally, he wants to put in place monetary reforms, in particular the abolition of the CFA franc. This currency currently makes the country monetarily dependent.

     We have understood, the new president’s programme is clear on one point: the profound systemic change in the functioning of Leopold Sedar Senghor’s country policy.

The break: between expectations and reality

     It was previously found that the Senegalese are largely in agreement with B. Diomaye Faye’s programme, but is it achievable? Senegalese expectations are high, so the risk of disappointment is high; will Bassirou Diomaye Faye succeed in satisfying the Senegalese?

     The new President has one advantage: he has a solid legitimate base, which will enable him to act. His handicap at the moment is that he has to govern without a majority in parliament, so it will be complicated for the young president to implement his society project.

     Let’s focus on corruption: he wants to eradicate this gangrene, but he appoints Ousmane Sonko as prime minister, accused several times of corruption.

     Bassirou Diomaye Faye has also said that he wants to incorporate good ideas from other candidates’ programmes, which could increase his popularity.

     Secondly, and this is a desire that emanates from society, B Diomaye Faye wants to revisit the French alliance. Relations between France and Senegal are mixed: diplomatic relations are good, but the population feels that France is adopting a neo-colonialist stance. It’s not the first time that the population has voiced this desire, let’s remember March 2021 when the Senegalese ransacked and looted French shops in Senegal. The government could question the military presence or as mentioned earlier, the CFA franc, a currency inherited from the French colonial system. France has every interest in the success of the new government because it knows that if it fails, it will be blamed for that failure. Emmanuel Macron is therefore extending his hand to the Senegalese president by congratulating him among the first to do so, and we shall see whether Bassirou Diomaye Faye takes it.

  

   Senegal seems to be on the «path of construction» to use the words of the new Senegalese president. Despite difficult elections, Senegal’s democratic transition has been a success. The Senegalese people are waiting for real systemic change, and Bassirou Diomaye Faye will have to provide a satisfactory response. All the same, the election of a 44-year-old president in a part of the world where the average age of heads of state in 2021 was 66, is in itself a break.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *