Les États-Unis : une “Puissance Indispensable” ?

« Si nous devons utiliser la force, c’est parce que nous sommes l’Amérique, nous sommes la nation indispensable. Nous avons la tête haute et nous voyons plus loin que les autres pays dans le futur ». Tels sont les mots de Madeleine Albright, secrétaire d’Etat de Bill Clinton entre 1997 et 2001. Le caractère indispensable de la puissance que représentent les Etats-Unis renvoie au rôle particulier que le pays serait prêt à assumer selon certaines valeurs conduisant à l’interventionnisme. Mais la question qui se pose est la suivante : pour qui les Etats-Unis apparaissent indispensables sur la scène internationale ?

Une puissance indispensable pour certains

Il est important de replacer la puissance des Etats-Unis dans un contexte historique. Selon la formule de Jefferson en 1801, les Etats-Unis seraient “l’empire de la liberté”.

Les États-Unis ont toujours été une force incontournable sur la scène mondiale, se positionnant comme les sauveurs du monde libre depuis 1917, lors de leur entrée dans la Première Guerre mondiale. Outre leur engagement militaire, les Etats-Unis ont également offert un soutien financier crucial, symbolisé par le Plan Marshall en 1941. Leur défense des valeurs démocratiques et libérales a justifié des politiques telles que le containment et même le roll-back pendant la Guerre froide. Les États-Unis ont par la suite adopté un néo-wilsonisme pragmatique, selon Anthony Lake (diplomate et homme politique américain), entrant ainsi dans ce que Frank Ninkovich a qualifié de “siècle wilsonien”. Cette volonté d’un monde unipolaire combinée à leur rôle de moteur de la mondialisation, a consolidé la position des Etats-Unis en tant que puissance dominante sur l’échiquier mondial.

Les États-Unis ont joué un rôle crucial dans la lutte contre les ennemis de l’Occident, en particulier depuis les événements tragiques du 11 septembre 2001. Cette rupture a marqué l’avènement d’une ère d’unilatéralisme et de néo-conservatisme, avec des penseurs tels que Robert Kagan. Les États-Unis ont dirigé la guerre contre le terrorisme, déployant des ressources massives pour éliminer des organisations comme Al-Qaïda et l’État islamique. Leur leadership dans la coalition internationale contre le terrorisme a abouti à des opérations militaires conjointes et à des actions antiterroristes coordonnées à travers le monde, illustrant ainsi leur rôle crucial dans la défense des valeurs occidentales.

Certains pays, tels que le Japon et l’Allemagne, ont trouvé une nécessité stratégique à dépendre des États-Unis, en particulier à travers des alliances telles que l’OTAN. Pour le Japon, la sécurité régionale est étroitement liée à la présence militaire américaine, en particulier face aux tensions avec la Corée du Nord et à la montée en puissance de la Chine. De même, l’Allemagne, en tant que membre de l’OTAN, s’appuie sur l’engagement continu des États-Unis pour sa défense, en particulier dans le contexte de la situation géopolitique instable en Europe de l’Est. Ces exemples illustrent la manière dont certains pays continuent de compter sur la protection et l’influence des États-Unis pour assurer leur sécurité et leur stabilité.

Une puissance qui sait et qui a les moyens de se rendre indispensable

Les États-Unis ont déployé des moyens colossaux depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale qui ont été mis au service d’une puissance planétaire. Le budget américain consacré à la défense s’élève aujourd’hui à 850 milliards de dollars ce qui représente 3% du PIB et un tiers des dépenses mondiales dans ce secteur. Ces investissements leur permettent d’entretenir une armée de 2,3 millions de soldats (réservistes compris) avec une capacité de projection militaire de 400.000 hommes simultanément contre 60.000 pour la Russie et 40.000 pour la France. Tous ces éléments font dire à Washington que l’armée américaine pourrait pratiquer des frappes chirurgicales partout dans le monde avec une précision de 5 mètres. Cela donnerait lieu à un “militarisme théâtrale” mis en place par les États-Unis pour se rendre indispensable. Emmanuel Todd définissait l’expression ainsi : ne jamais résoudre définitivement un conflit, se fixer sur des micro-puissance pour valoriser l’armée américaine, développer de nouvelles armes pour donner une longueur d’avance aux États-Unis.

La puissance américaine passe également par son soft power. Eisenhower disait déjà : “pour étendre l’influence de l’amérique, je préfère une station de radio à un bombardier”. Les États-Unis ont plusieurs leviers à leur disposition pour exalter cet autre visage de la puissance. Ce soft power est évidemment défendu à travers Hollywood et son exaltation de l’American Way of Life. Le soft power passe aussi par l’emprise américaine sur le cyber-espace à travers les GAFAM comme le montre les révolutions du Printemps Arabe où Facebook a permis aux manifestants de s’organiser, de contourner les médias de masse et de diffuser des preuves d’exactions policières. Les États-Unis utilisent également l’extraterritorialité du droit américain pour influencer le reste du monde. Ce sont des lois qui permettent de poursuivre des entreprises non américaines à l’étranger, à condition qu’elles aient un lien avec les Etats-Unis (transactions en dollars, utilisation d’un iPhone…). En 2018, PSA, Renault, Total… ont été obligés de quitter l’Iran car ils seraient retrouvés passibles de sanctions américaines pour non-respect de l’embargo sur le pays.

La multitude d’alliances liant les États-Unis à ses partenaires internationaux lui permettent de bénéficier de rentes stratégiques. De l’OTAN (Europe), au Pacte de Bagdad (Moyen-Orient) ou encore au Pacte de Rio (Amérique du Sud), ces accords sont autant de symboles de l’Amérique souhaitant affirmer sa destinée manifeste. Par ces accords, les américains entendent garantir la sécurité aux régions concernées grâce notamment à leur parapluie nucléaire. Dans certains cas, les forces armées mises à dispositions de ces organisations peuvent se substituer aux armées locales comme le prévoient par exemples les accords “Berlin Plus” entre l’OTAN et l’Union Européenne. Cela fait notamment dire à R.Kagan : “Les américains font la cuisine, les européens font la vaisselle”.

Mais une puissance dont le caractère indispensable n’est pas toujours si évident

Pour une puissance qui se voulait indispensable, les États-Unis ont déjà connu plusieurs échecs. Le pays a notamment été ébranlé par la remise en cause de son impérium pendant la période suivant les attentats du 11 septembre 2001. B.Badie parle alors d’une “impuissance de la puissance” car malgré les moyens colossaux consacrés à la défense, ils ne peuvent pas empêcher des attentats sur leur territoires. A l’international, les Américains ont aussi dû faire face à plusieurs échecs comme ceux en Irak ou en Afghanistan. Après presque vingt ans de présence militaire occidentale, 800 milliards de dollars dépensés et 4 000 militaires occidentaux tués, l’opération afghane, plus longue guerre de leur histoire, a incontestablement tourné au piège pour les États-Unis. Concernant l’Irak, après le retrait des troupes états-uniennes en 2011, la prise de Mossoul moins de trois ans plus tard par l’État islamique a cruellement souligné que ce retrait était prématuré.

Les américains sélectionnent aussi avec attention leur interventionnisme. Dès 2011, malgré les demandes des pays européens, les États-Unis ont refusé de participer directement à l’intervention militaire en Libye. En effet, à partir de 2008, l’administration Obama cherche à rétropédaler en abandonnant sa casquette de “gendarme du monde” pour renouer avec une tradition plus wilsonienne. L’arrivée de D.Trump en 2016 avec son slogan “America First” est dans la continuité de B.Obama : il a commencé à enclencher le retrait d’Afghanistan que J.Biden a conclu. Le but pour le pays est d’éviter la “surextension impériale” et focaliser les ressources sur un possible conflit contre la Chine. Ce “pivot assiatique” se réalise au détriment de certaines régions du monde ou les interets stratégiques américains sont jugés moins importants comme l’Afrique ou l’Europe. En février dernier, D.Trump a affirmé qu’il encouragerait la Russie à attaquer les alliés de l’OTAN “qui ne payaient pas”.

Enfin, face à ce retrait américain, des nations essaient de les remplacer. C’est notamment le cas de la Chine car, comme le dit Xi Jinping, “la Chine doit avoir les ambitions de sa grandeur”. Cette envie se retrouve dans la stratégie des Nouvelles routes de la soie, la plan Made in Chine 2025 ou encore Vision 2035. Ces programmes permettent à Pékin d’attirer les investissements étrangers mais également d’investir dans les régions que Washington délaisse. La Chine parvient aussi à se rendre indispensable aux États-Unis grâce à son rôle de premier créancier du pays derrière la FED. Il y aussi l’Union Européenne qui, dans le domaine de l’économie et en particulier du commerce, est également très concurrentielle pour les États-Unis. En matière de changement climatique, le Vieux Continent prend aussi la main grâce à ses normes environnementales, sanitaires, de sécurité…

Conclusion

Ainsi, un monde où les visions divergent, les États-Unis et l’Europe incarnent des paradigmes géopolitiques distincts, comme l’illustre Robert Kagan. Si les Américains embrassent le réalisme et la force, les Européens s’orientent vers un idéalisme post-historique. Cette divergence engendre des perceptions mutuelles : l’Amérique perçoit l’Europe comme faible, tandis que l’Europe voit les États-Unis comme unilatéralistes. Cette dichotomie souligne les défis de la coopération transatlantique et les tensions inhérentes à la politique mondiale.

 

 

The United States: an « Indispensable Power »?

“If we must use force, it is because we are America, we are the indispensable nation. We have our heads held high and we see further into the future than other countries.” These are the words of Madeleine Albright, Bill Clinton’s Secretary of State from 1997 to 2001. The indispensable character of the power represented by the United States refers to the particular role that the country would be prepared to assume according to certain values that lead to interventionism. But the question is: for whom does the United States appear indispensable on the international stage?

An indispensable power for some.

It is important to place the power of the United States in a historical context. According to Jefferson’s formula in 1801, the United States would be “the empire of freedom.”

The United States has always been an unavoidable force on the world stage, positioning itself as the saviour of the free world since 1917, when it entered the First World War. In addition to its military commitment, the United States also offered crucial financial support, symbolized by the Marshall Plan in 1941. Their defence of democratic and liberal values justified policies such as containment and even roll-back during the Cold War. The United States subsequently adopted a pragmatic neo-Wilsonianism, according to American diplomat and politician Anthony Lake, thus entering what Frank Ninkovich called the “Wilsonian century.” This desire for a unipolar world, combined with its role as the driving force of globalization, has consolidated the position of the United States as the dominant power on the world stage.

The United States has played a crucial role in the fight against the enemies of the West, particularly since the tragic events of 11 September 2001. This rupture marked the dawn of an era of unilateralism and neo-conservatism, with thinkers such as Robert Kagan. The United States has led the war on terror, deploying massive resources to eliminate organizations like Al-Qaeda and the Islamic State. Their leadership in the international coalition against terrorism has led to joint military operations and coordinated counter-terrorism actions around the world, illustrating their crucial role in defending Western values.

Some countries, such as Japan and Germany, have found it strategically necessary to depend on the United States, particularly through alliances such as NATO. For Japan, regional security is closely linked to the US military presence, particularly in the face of tensions with North Korea and the rise of China. Similarly, Germany, as a NATO member, relies on the continued commitment of the United States to its defence, particularly in the context of the unstable geopolitical situation in Eastern Europe. These examples illustrate how some countries continue to rely on the protection and influence of the United States for their security and stability.

A power that knows and has the means to make itself indispensable.

The United States has deployed colossal resources since the end of the Second World War that have been put at the service of a global power. The US defence budget now stands at $850 billion, representing 3% of GDP and a third of global defence spending. These investments allow them to maintain an army of 2.3 million soldiers (including reservists) with a military projection capacity of 400,000 men simultaneously compared to 60,000 for Russia and 40,000 for France. All of this leads Washington to believe that the U.S. military could perform surgical strikes anywhere in the world with an accuracy of 5 metres. This would give rise to a “theatrical militarism” set up by the United States to make itself indispensable. Emmanuel Todd defined the term as never definitively resolving a conflict, focusing on micro-powers to enhance the American military, developing new weapons to give the United States a head start.

American power also comes from its soft power. Eisenhower already said: “To extend America’s influence, I prefer a radio station to a bomber.” The United States has several levers at its disposal to exalt this other face of power. This soft power is evidently defended through Hollywood and its exaltation of the American Way of Life. Soft power also comes from the American grip on cyberspace through the GAFAM, as shown by the Arab Spring revolutions, where Facebook allowed protesters to organize, bypass the mass media and spread evidence of police abuses. The US also uses the extraterritoriality of US law to influence the rest of the world. These are laws that allow non-American companies to be prosecuted abroad, provided they have a connection with the United States (transactions in dollars, use of an iPhone, etc.). In 2018, PSA, Renault, Total… were forced to leave Iran because they would find themselves liable to US sanctions for non-compliance with the embargo on the country.

The multitude of alliances between the United States and its international partners allow it to benefit from strategic rents. From NATO (Europe), to the Baghdad Pact (Middle East) and even the Rio Pact (South America), these agreements are all symbols of America’s desire to affirm its manifest destiny. With these agreements, the Americans intend to guarantee security in the regions concerned, in particular through their nuclear umbrella. In some cases, armed forces placed at the disposal of these organisations may substitute for local armies, as provided for, for example, in the “Berlin Plus” agreements between NATO and the European Union. This led R. Kagan to say: “The Americans cook, the Europeans do the dishes”.

But a power whose indispensable character is not always so obvious.

For a supposedly indispensable power, the United States has already experienced several failures. In particular, the country was shaken by the questioning of its empire in the period following the attacks of 11 September 2001. B. Badie then spoke of “powerlessness” because despite the colossal means devoted to defence, they could not prevent attacks on their territories. Internationally, the Americans have also had to face several setbacks, such as those in Iraq and Afghanistan. After almost 20 years of Western military presence, $800 billion spent and 4,000 Western soldiers killed, the Afghanistan operation, the longest war in its history, has undoubtedly turned into a trap for the United States. With regard to Iraq, after the withdrawal of US troops in 2011, the Islamic State’s takeover of Mosul less than three years later cruelly underscored that the withdrawal was premature.

The Americans are also carefully selecting their interventionism. As early as 2011, despite the demands of European countries, the United States refused to participate directly in the military intervention in Libya. Indeed, from 2008 onwards, the Obama administration sought to reverse the cycle by abandoning its “world policeman” cap in order to return to a more Wilsonian tradition. The arrival of D.Trump in 2016 with his slogan “America First” is in the continuity of B.Obama: he began to trigger the withdrawal from Afghanistan that J.Biden concluded. The goal for the country is to avoid “imperial over-extension” and focus resources on a possible conflict with China. This “Asian pivot” is being realized to the detriment of certain parts of the world where American strategic interests are considered less important, such as Africa or Europe. Last February, Trump said he would encourage Russia to attack NATO allies “who are not paying”.

Finally, in the face of this American withdrawal, nations are trying to replace them. This is especially true of China because, as Xi Jinping says, “China must have the ambitions of its greatness.” This desire is reflected in the strategy of the New Silk Roads, the Made in China 2025 plan and Vision 2035. These programs allow Beijing to attract foreign investment but also to invest in areas that Washington is neglecting. China also manages to make itself indispensable to the United States thanks to its role as the country’s leading creditor behind the Fed. There is also the European Union, which is also very competitive with the United States in terms of the economy and especially in terms of trade. When it comes to climate change, the Old Continent is also taking the lead thanks to its environmental, health and safety standards…

Conclusion

Thus, in a world of divergent views, the United States and Europe embody distinct geopolitical paradigms, as Robert Kagan illustrates. While Americans embrace realism and force, Europeans are moving towards a post-historical idealism. This divergence engenders mutual perceptions: America sees Europe as weak, while Europe sees the United States as unilateralist. This dichotomy highlights the challenges of transatlantic cooperation and the tensions inherent in global politics.

 

Ecrit par Juliette Neupont et Léo Castagnet, traduit par Lina Bouamama

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