Entre violence et nouvelles aspirations : Haïti s’enlise dans la crise  

Le lundi 4 mars les autorités haïtiennes ont proclamé l’état d’urgence et un couvre-feu de 18 heures à 5 heures du matin. Cette déclaration fait suite à des semaines de violence en Haïti largement dues aux gangs. Le mercredi 6 mars au soir, le Carribean Port Services, le plus important port de débarquement de conteneurs de la région métropolitaine, a été attaqué, puis pillé par des membres de gangs. Cette attaque affecte grandement la situation haïtienne déjà compliquée du point de vue sécuritaire, et l’enfonce encore plus dans une crise qui semble ne pas trouver de solution. 

La République d’Haïti est confrontée à une violence sans précédent. 

Que se passe-t-il depuis un mois et demi à Haïti ?  Lundi 11 mars, le Premier ministre haïtien a annoncé sa démission, dans un pays à feu et à sang, à l’image de sa capitale Port au Prince, en proie aux affrontements entre la police et les groupes armés.  Mais ce moment marque seulement le point culminant de la situation. Examinons donc les événements antérieurs de plus près.  

Avant toute chose, il convient de rappeler qu’Haïti est l’un des pays les plus pauvre du monde. A Haïti, 70 % des 11 millions d’habitants vivent sous le seuil de pauvreté et le taux de chômage varie entre 50% et 70%. De plus, situé dans la mer des Caraïbes, le pays est particulièrement vulnérable face aux catastrophes naturelles auquel il est régulièrement exposé. Comme le démontre le triste bilan du séisme de 2010 s’élevant à plus de 300 000 morts, 300 000 blessés et 1 000 000 de sans-abris.  

Mais depuis février, la situation politique du pays a pris un nouveau tournant. Ariel Henry, le très controversé Premier ministre s’accroche au pouvoir. La population lui reproche d’une part ses positions pro-occidentales, et d’autre part son illégitimité à gouverner à la suite de l’assassinat de l’ancien président J.Moïse en 2021. S’en suit alors une escalade de tensions entre les forces armées et les différents gangs locaux, qui s’organisent et laissent planer la menace d’une guerre civile pour obtenir, par la violence, l’aboutissement de leurs revendications.  

Après plus d’un mois, le bilan de ces affrontements laisse la capitale Port-au-Prince dans un état déplorable. Les sites stratégiques de la capitale ont été les premiers à être attaqués, comme le palais présidentiel, les prisons et les commissariats. Par exemple, la prison de Croix-des-Bouquets a été attaquée le samedi 2 mars et 4000 prisonniers se sont évadés. De plus, la plupart des activités commerciales sont à l’arrêt, les transports en commun ne circulent plus, les établissements scolaires sont fermés, tout comme l’aéroport international et le système de santé est proche de l’effondrement.  

Depuis début mars, l’état d’urgence est déclaré à Haïti mais cela ne suffit pas. La plupart des forces de police sont démissionnaires et la capitale est désormais contrôlée à 80% par les gangs. La violence de ces affrontements a poussé plus de 360 000 personnes à quitter leur logement à Port-au-Prince.  

D’où proviennent les maux haïtiens ? 

L’origine des maux actuels haïtiens résulte sans doute de la crise politique qui débute avec l’assassinat du président haïtien Jovenel Moïse le 7 juillet 2021. En effet, à Haïti les gangs jouent un rôle important dans la société haïtienne depuis toujours, mais la violence ainsi que le déploiement de ces gangs a atteint son paroxysme après l’assassinat du président haïtien. Ce manque de personne au pouvoir a permis aux gangs de prendre le contrôle de plus en plus de territoires et d’accroître leur influence pour atteindre jusqu’à 80% du contrôle de Port-au-Prince. Le mécontentement des Haïtiens prend de l’ampleur au fil des années car le pays n’a pas organisé d’élections législatives ou générales depuis 2019 et qu’il est de fait (sans avoir été élu démocratiquement), dirigé par le Premier ministre, Ariel Henry, depuis le 7 juillet 2021. Ce mécontentement est exacerbé en janvier 2023 quand le gouvernement refuse d’organiser des élections et accélère, de fait, le déclin démocratique. Les Haïtiens n’ont plus confiance envers les dirigeants institutionnels, car ils leur reprochent de ne pas accorder d’importance au problème de l’insécurité. 

La seconde cause principale de la crise sécuritaire haïtienne est sûrement le voyage du Premier ministre au Kenya pour signer un accord sur le déploiement d’une force de police multinationale pour lutter contre la violence des gangs. Les attaques ont effectivement commencé le jour où Ariel Henry est arrivé à Nairobi. L’escalade actuelle de la violence vise à renverser Ariel Henry, Premier ministre haïtien, dénonçant son illégitimité, sa complicité, son incompétence et son absence de volonté de battre les gangs en Haïti. 

Une autre cause des maux haïtiens est la police. Les policiers haïtiens ont eux aussi perdu espoir en leur institution puisqu’ils sont attaqués par les gangs sans être protégés par le gouvernement. « On ne peut pas exiger de la police un engagement total, quand l’État, sa tutelle, ne remplit pas ses propres fonctions. » Romain Le-Cour-Grandmaison, chercheur de l’organisation Global Initiative. Ils sont aussi en infériorité numérique comparé aux besoins réels : en 2023 la police haïtienne compte 9000 agents contre 26000 suggérés par les Nations unies. 

Il faut ajouter à cela, le fait que les gangs jusqu’à récemment rivaux, ont uni leurs forces pour se faire entendre. 

Le problème, enfin, trouve sa source dans un défaut structurel. Malgré les dizaines de millions de dollars investis par les États-Unis, la France ou le Canada, la Police nationale Haïtienne n’a jamais pu assurer la sécurité su pays. Il ne faut aussi pas oublier qu’à l’origine des gangs il y a des hommes politiques qui voulaient assurer leur propre sécurité. Pour cela, ils leur ont donné des armes, du pouvoir, des munitions. Il existe même un rapport de l’ONU rendu publique en 2023 qui a dénoncé le rôle de l’ancien président Michel Martelly dans le financement de gangs pendant son mandat (2011-2016). 

Comment envisager l’avenir ?  

Avec le départ d’Ariel Henry du pouvoir, Haïti est confronté à divers défis. La principale priorité est de calmer les violences qui sévissent dans la capitale et de relancer les activités économiques et les services publiques du pays. Haïti doit également s’assurer d’un avenir politique stable et doit élire au plus vite – et dans les meilleures conditions – un nouveau gouvernement.  

Afin d’aider le pays à se reconstruire, la communauté internationale se mobilise pour apporter une aide humanitaire aux habitants de Port-au-Prince. L’ONU a annoncé la mise en place d’un pont aérien entre Haïti et la République Dominicaine pour acheminer d’une part des provisions du Programme Alimentaire Mondial vers la capitale, et d’autre part pour délocaliser les troupes onusiennes en République Dominicaine afin qu’elles puissent opérer plus efficacement. L’Union européenne, qui a également évacué l’ensemble de son personnel de Haïti, a annoncé apporter une aide humanitaire de 20 millions d’euros au pays en raison du « niveau sans précédent de la violence des gangs ». 

La communauté internationale se mobilise également pour reconstruire la démocratie haïtienne. En effet, suite à la pression de la Communauté des Caraïbes (Caricom), de l’ONU et de plusieurs pays comme les Etats-Unis et la France, un conseil de transition a été créé dans l’urgence pour diriger le pays.  

Néanmoins cette aide n’est pas forcément vue d’un bon œil de la part de la population locale. En effet, les Haïtiens veulent avant tout avoir le droit de décider de leur avenir et selon leurs propres règles. Ne s’étant pas rendue aux urnes depuis 2016, la population locale ne veut pas d’un nouveau dirigeant aux mains des Etats-Unis, comme ce fut le cas pour Ariel Henry. C’est d’ailleurs l’hypothétique arrivée à Haïti de troupes onusiennes sous le commandement du Kenya qui a exacerbé les affrontements entre les gangs et le gouvernement.  

Dans l’hypothèse de futures élections présidentielles, plusieurs candidats se profilent. Tout d’abord, la coalition proche du président assassiné Jovenel Moïse a déjà soumis sa représentante, Marie Ghislaine Mompremier (ancienne ministre). De son côté, le groupe d’Ariel Henry, en proie au désaccord, n’a pas encore soumis de candidat mais il semble évident que le groupe pro-américain sera représenté lors du scrutin. Enfin, une autre personnalité venant de la rue pourrait s’inviter à la fête. En effet les gangs ont gagné en popularité et en influence lors des affrontements. Ils se sont organisés autour d’une figure émergente : Jimmy « Barbecue » Chérizier. C’est notamment lui qui a menacé Ariel Henry de déclencher une guerre civile s’il ne démissionnait pas. Néanmoins « Barbecue » n’a pas fait part de son intention de se présenter aux élections pour l’instant.  

Quoiqu’il arrive, il est certain que le prochain gouvernement haïtien aura fort à faire pour reconstruire et réunir le peuple et le pays.  

À la suite de la démission du Premier ministre haïtien, Ariel Henry, le lundi 11 mars, rien n’est plus sûr quant à l’avenir d’Haïti. Qu’est-ce qu’il adviendra des promesses de la communauté internationale pour résoudre cette crise multidimensionnelle complexe et urgente ? Pour espérer une résolution de la situation haïtienne, il faudra adopter une approche holistique qui s’attaque aux causes profondes de la crise, y compris la faiblesse des institutions, l’impunité et la pauvreté. Sans oublier, la détresse des Haïtiens. « Nous ne sommes pas moins dignes que les Ukrainiens de votre solidarité » Jean-Marie Théodat, un écrivain haïtien. 

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