Le Japon : un déclassement prévisible ?

Le Japon a cédé sa place de troisième puissance économique mondiale fin 2023 selon les dernières estimations du Fonds monétaire international. L’Allemagne prend la troisième place avec un PIB estimé à 4 400 milliards de dollars américains contre 4 200 milliards pour le Japon en 2023. L’augmentation du PIB allemand est notamment due à l’inflation, qui a augmenté son PIB nominal. C’est un déclassement symbolique, annonciateur de difficultés économiques et démographiques à venir pour le pays. 

Économie stagnante 

Si l’on devait trouver une seule raison au déclassement japonais, celle-ci se trouverait dans la faiblesse du yen. En effet, la monnaie japonaise a chuté de 27% entre 2022 et fin 2023. En parallèle, l’inflation a durement touché le pays. Bien que le Japon ne connaisse pas le chômage, les travailleurs font face à une érosion de leurs salaires réels. Leurs revenus n’ont pas augmenté, alors qu’ils doivent encaisser une inflation de 2,5%. Le pouvoir d’achat diminue, en conséquence il en est de même pour la consommation des ménages. 

Mais si l’on analyse la situation économique depuis les années 90, ce déclassement n’est pas une surprise. Depuis la crise japonaise de 1989 à 1999, nommée “la décennie perdue”, le Japon a connu de nombreuses périodes de reprise économique à chaque fois avortées par des contextes non favorables. La récente croissance économique observée après la crise de la covid-19 avec un PIB estimé à 2,15% en 2022 n’était qu’un mirage avant une stagnation de sa croissance à 1,08% en 2023 et 1,02%[1] en 2024. La croissance ne devrait faire que baisser selon les prévisions économiques du Fonds monétaire international, pour atteindre un taux autour de 0,4% de croissance annuelle pour la fin de la décennie. 

Cela est dû à plusieurs facteurs : la faiblesse du yen sur le marché international, mais également le vieillissement de la population, la dette publique japonaise, et la dépendance massive du Japon aux importations. 

Vieillissement de la population

Si le Japon a été évincé du podium des puissances économiques mondiales au profit de l’Allemagne, la faute revient davantage aux aspects démographiques qu’économiques. Avec le record mondial du nombre de séniors et un taux de natalité parmi les plus bas, l’équation démographique n’est pas bonne et la population active décline gravement.

La population japonaise a atteint son maximum en 2006, avec 128 millions d’habitants, mais depuis le solde naturel est négatif et la population diminue de 800 000 habitants par an. D’ici la fin du siècle, le pays nippon pourrait même perdre près d’un tiers de sa population. Des estimations alarmantes qui ont fait de la natalité la priorité du gouvernement japonais. Même si les politiques publiques visant à stimuler la natalité se sont longtemps limitées à des incitations morales, le phénomène n’est pourtant pas nouveau.

Face à la crise démographique, la pénurie de main d’œuvre se fait sentir pour les postes les moins qualifiés d’autant plus que l’ouverture migratoire reste faible. Ainsi les entreprises japonaises ne peuvent maintenir leurs niveaux de production à l’instar de Toyota qui a exporté 5 % de voitures en moins en 2022. Cet effondrement inexorable de la natalité trouve notamment ses sources dans l’accroissement du coût de la vie (études, éducation) mais aussi dans un profond changement des mentalités. En premier lieu, le report des maternités s’est largement répandu, limitant la fécondité des femmes. Il est aussi alimenté par une plus grande précarité au sein de la jeunesse japonaise, dont 30% est employée en temps partiel. Cela tend, en plus des évolutions culturelles, à repousser l’âge du mariage et donc des premières naissances.

Le premier ministre, Fumio Kishida, a annoncé « des mesures sans précédent pour enrayer la chute de la natalité et permettre à chacun de participer à l’éducation des enfants ». Assurément, pour changer la donne, le Japon devra se poser des questions de fond et aura surtout besoin de temps. La situation démographique préoccupante pourrait être celle à laquelle seront confrontés beaucoup de pays développés où la chute des naissances est une réelle menace à moyen et long termes. En plus du différentiel démographique, les contrastes régionaux et les mutations socio-spatiales récentes ont produit un Japon multiforme, marqué par des dynamiques et des réalités de plus en plus divergentes. 

Selon l’économiste Evelyne Dourille-Feer, le Japon constitue un cas démographique emblématique, celui du laboratoire du vieillissement.  

Dette publique

Le Japon est le pays le plus endetté au monde, pour autant il finance la quasi-totalité de sa dette sur le marché intérieur. En même temps, le compte courant excédentaire du Japon, notamment grâce à ses exportations et ses entreprises au rayonnement mondial, lui permet de maintenir les taux d’intérêt les plus faibles au monde autour de -0,1%. En outre, la dépréciation progressive du yen sur le marché international a donné de la valeur aux filiales des entreprises japonaises à l’étranger, surtout lorsqu’elles convertissent leurs dollars en monnaie locale. Aujourd’hui la banque du Japon se trouve devant un dilemme. Si elle augmente son taux d’intérêt, passant alors à 0 ou 0,1%, elle doit avoir la certitude que cela se traduira par le retour d’une inflation saine et une hausse des salaires. 

Importations

Le Japon importe environ 60% de ses produits alimentaires et 90% de son énergie. Or avec la dépréciation du yen, les prix à l’importation augmentent. Les Japonais sont alors vulnérables, notamment lorsque leur revenu n’évolue pas. 

Entreprises internationales et capacités industrielles

Le Japon n’en reste pas moins la quatrième puissance économique mondiale. Ses entreprises internationales et spécialisées lui permettent d’entretenir un compte courant bénéficiaire. Le secteur de la robotique et des semi-conducteurs sont au cœur de l’économie japonaise. Le pays possède 46% du marché dans le secteur mondial de la fabrication de robots industriels, selon la Fédération internationale de la robotique. 

Entre autres, le Japon est bien positionné dans la guerre économique entre la Chine et le Japon. Dans la recherche de diversification des chaînes d’approvisionnement, le Japon est une bonne alternative à la Chine. Il bénéficie notamment de l’accès aux crédits d’impôt américains grâce à la loi sur la réduction de l’inflation (Inflation Reduction Act). 

Sur le plan intérieur, avec une monnaie nationale en chute libre, un effondrement démographique, une compétitivité en berne, les marges de manœuvre du gouvernement nippon sont très réduites. Selon les dernières projections du Fonds monétaire international (FMI), le PIB national a diminué et le Japon, déjà très endetté, pourrait donc être contraint de faire des choix budgétaires drastiques. Et si l’appel à l’immigration s’apparente à une solution pour enrayer le problème démographique, le nationalisme dominant dans le pays s’y refuse. A terme, le Japon pourrait perdre bien plus que sa troisième place de puissance économique mondiale. 

Japan: a predictable downgrade?

According to the latest estimates from the International Monetary Fund, Japan lost its place as the world’s third largest economy at the end of 2023. Germany takes third place, with an estimated GDP of USD 4,400 billion, compared with Japan’s USD 4,200 billion in 2023. The increase in German GDP is due in particular to inflation, which has increased its nominal GDP. This is a symbolic downgrade, heralding future economic and demographic difficulties for the country.

A stagnant economy 

If we were to find just one reason for Japan’s downgrading, it would be the weakness of the yen. Indeed, the Japanese currency fell by 27% between 2022 and the end of 2023. In parallel, inflation has hit the country hard. Although there is no unemployment in Japan, workers are facing an erosion of their real wages. Their incomes have not risen, even though they are facing inflation of 2.5%. Purchasing power is falling, and so the same applies to household consumption.

But if we analyze the economic situation since the 1990s, this downgrading is not a surprise. Since the Japanese crisis of 1989 to 1999, dubbed ‘the lost decade’, Japan has experienced numerous periods of economic recovery, each time aborted by unfavorable conditions. The recent economic growth seen after the covid-19 crisis, with GDP estimated at 2.15% in 2022, was no more than a mirage before growth stagnated at 1.08% in 2023 and 1.02% in 2024. According to the International Monetary Fund’s economic forecasts, growth is set to fall to around 0.4% per annum by the end of the decade. 

This is due to several factors: the weakness of the yen on the international market, but also the ageing of the population, Japan’s public debt, and Japan’s massive dependence on imports.

An ageing population

If Japan has been ousted from the podium of the world’s economic powers for the benefit of Germany, the fault lying more in demographic aspects than in economic aspects. With the highest number of senior citizens in the world and one of the lowest birth rates, the demographic equation is not good, and the working population is in serious decline.

Japan’s population peaked in 2006, at 128 million, but since then the natural balance has been negative and the population is falling by 800,000 a year. By the end of the century, Japan could even lose almost a third of its population. These alarming estimates have made the birth rate the Japanese government’s top priority. Although public policies aimed at stimulating the birth rate have long been limited to moral incentives, the phenomenon is not new.

In the face of the demographic crisis, there is a shortage of labor for the least skilled jobs, especially as migration openness remains low. Thus, Japanese companies are unable to maintain their production levels, as Toyota has done, exporting 5% fewer cars in 2022. This inexorable collapse of the birth rate finds its sources in particular in the increase of the cost of living (studies, education) but also in a profound change of mentalities. Firstly, the postponement of childbearing has become widespread, limiting women’s fertility. It is also fueled by greater job insecurity among young people in Japan, 30% of whom work part-time. In addition to cultural changes, this is tending to push back the age of marriage and therefore of first births.

The Prime Minister, Fumio Kishida, has announced « unprecedented measures to stop the decline in the birth rate and enable everyone to participate in raising children ». Surely, to change the situation, Japan will have to ask itself some substantive questions and will especially need time. The worrying demographic situation could be that faced by many developed countries where falling birth rates are a real threat in the medium and long term. In addition to the demographic differentiation, regional contrasts and recent socio-spatial changes have produced a multiform Japan, marked by increasingly divergent dynamics and realities. 

According to economist Evelyne Dourille-Feer, Japan is an emblematic demographic case, a laboratory for ageing.

Public debt 

Japan is the most indebted country in the world, yet it finances almost all its debt on the domestic market. At the same time, the Japanese surplus current account, thanks in particular to its exports and its world-class companies, has enabled it to maintain the lowest interest rates in the world at around -0.1%. In addition, the gradual depreciation of the yen on the international market has given value to the subsidiaries of Japanese companies abroad, especially when they convert their dollars into local currency. The Bank of Japan now faces a dilemma. If it raises its interest rate to 0 or 0.1%, it must be certain that this will result in a return to healthy inflation and higher wages.

Imports

Japan imports around 60% of its food and 90% of its energy. But with the depreciation of the yen, import prices are rising. The Japanese are then vulnerable, especially when their income does not change.

International companies and industrial capacities

Japan remains the world’s fourth largest economy. Its international and specialized companies enable it to maintain a profitable current account. The robotics and semi-conductor sectors are at the heart of the Japanese economy. The country has 46% of the world market in the manufacture of industrial robots, according to the International Federation of Robotics. 

Among other things, Japan is well positioned in the economic war between China and Japan. In the quest to diversify supply chains, Japan is a good alternative to China. In particular, it benefits from access to US tax credits thanks to the Inflation Reduction Act. 

Domestically, with a free-falling national currency, a demographic collapse, competitiveness at half-mast, the Japanese government’s room for maneuver is very limited. According to the latest projections from the International Monetary Fund (IMF), national GDP has shrunk and Japan, already heavily in debt, could be forced to make drastic budgetary choices. And while the call for immigration appears to be a solution to the demographic problem, the country’s dominant nationalism rejects it. In the long term, Japan could lose much more than its position as the world’s third largest economy.

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