“Qui commande la mer commande le commerce (…) et par conséquent le monde lui-même”

“Celui qui commande la mer commande le commerce, celui qui commande le commerce commande la richesse du monde, et par conséquent le monde lui-même”.  Tels sont les mots de Sir Walter Raleigh, célèbre explorateur britannique du XVIe siècle. Cela se vérifie toujours aujourd’hui. Dans un monde de plus en plus interconnecté et globalisé, le contrôle des mers revêt une importance stratégique capitale. L’adage “qui contrôle la mer contrôle le monde” prend tout son sens à l’ère de la mondialisation, où les enjeux liés à la maîtrise des voies maritimes sont multiples. Toute géopolitique est donc aussi une géopolitique de l’espace marin. Les mers sont au centre de cette mondialisation : 90% des flux commerciaux se font par mer et la quasi-totalité du trafic Internet se fait à travers les câbles sous-marins. Dès lors, un pays peut-il de nos jours disposer des atouts indispensables pour prétendre imposer sa loi sur les mers et océans, et s’arroger ainsi la maîtrise de la mer ?

Les facteurs maritimes de la puissance économique

Les facteurs maritimes jouent un rôle prépondérant en ce qui concerne la puissance économique d’un pays à différentes échelles, passant des infrastructures locales aux relations commerciales mondiales.

Tout d’abord, la puissance économique d’un État se reflète dans sa capacité à dominer les activités maritimes à l’échelle mondiale. Le fait de maîtriser les voies maritimes constitue donc un enjeu crucial pour les pays. Selon les données du rapport de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (UNCTAD), les navires transportent de nos jours plus de 80% du volume du commerce mondial. Malgré la réduction de la part des États-Unis dans ce domaine, leur influence reste significative, avec près de 7% du trafic mondial.

De plus, la diversification des liaisons commerciales maritimes a bouleversé la géopolitique des échanges. Alors que l’Europe et l’Amérique du Nord étaient autrefois les pôles majeurs du trafic maritime, un système multipolaire émerge, complexifiant le contrôle des flux commerciaux. On peut penser à l’Égypte : “avec une hausse annuelle de 13%, le canal de Suez a rapporté aux caisses de l’État 6,3 milliards de dollars en 2021, le chiffre d’affaires le plus important jamais enregistré pour cette voie cruciale pour le commerce maritime mondial” selon La Tribune Afrique

Enfin, l’accès élargi aux marchés internationaux a contribué à une interdépendance croissante entre les nations. Si autrefois le système exclusif garantissait un monopole commercial aux puissances coloniales, aujourd’hui la dépendance à l’égard de certains fournisseurs est omniprésente. Par exemple, on assiste à une dépendance de nombreux pays occidentaux à l’égard de la Chine pour certains produits manufacturés. Par conséquent, toute perturbation de la chaîne d’approvisionnement en provenance de la Chine, comme ce fut le cas lors du COVID-19, peut avoir des répercussions significatives sur l’économie mondiale et sur la capacité des pays à répondre à leurs besoins essentiels.

D’où l’enjeu de l’aménagement et du contrôle des mers

Pour sécuriser leurs espaces maritimes, les États ont demandé à contrôler une partie des océans. Un compromis a été trouvé par la Convention de Montego Bay (CNUDM) en 1982. Le texte fixe notamment des Zones Économiques Exclusives (ZEE) où chaque État bénéficie d’une souveraineté totale mais il garantit également la liberté en haute mer pour tous les pays. L’accroissement du trafic mondial engendré par cette nouvelle législation a considérablement amplifié le rôle géopolitique des routes maritimes et des détroits comme ceux du Bosphore et des Dardanelles que la Turquie a récemment fermé aux bâtiments de guerre. Les espaces maritimes deviennent ainsi décisifs dans l’affirmation de la puissance ce qui explique l’augmentation du budget naval de certains pays émergents : augmentation de 57% pour la Chine entre 2011 et 2016 ou encore de 67% pour l’Inde. 

L’objectif de cette territorialisation est de garantir l’accès exclusif à certaines ressources halieutiques et énergétiques. Alors que 55% des surfaces des mers du globe sont exploitées, et que les poissons se font de plus en plus rares (en Baltique, les prises de cabillauds ont été divisées par vingt depuis 1985), la possibilité de choisir qui a accès à ses zones de pêche représente un enjeu crucial pour certaines régions comme l’Afrique Occidental où le poisson représente plus de la moitié de l’apport en protéine de la population. A cela s’ajoute l’enjeu des ressources énergétiques comme en témoigne l’essor des exploitations offshores qui ont fait des océans les producteurs d’un tiers du pétrole mondial. Sans oublier l’intérêt de certaines nations pour des ressources non conventionnelles comme les encroûtements riches en terres rares, essentielles pour la construction de matériels informatiques.

Pour capter ces flux et ces ressources, les États investissent dans des zones industrialo-portuaires qui sont à la fois signes et vecteurs de la puissance industrielle et commerciale. En 2002, les dix premiers ports mondiaux traitaient 1,9 milliard de tonnes de marchandises et en 2019, le volume a atteint 11 milliards de tonnes. La polarisation est importante, puisque les vingt premiers concentrent 55% du trafic. L’objectif pour les États est de capter le plus de trafic possible afin d’en faire bénéficier leurs hinterlands. Souvent rattachés à ces ports, les câbles sous-marins, essentiels pour les flux d’informations, font transiter 97% des données numériques échangées. En empruntant le même tracé que les voies maritimes, ces câbles sont sujets aux mêmes risques.

Mais ce sont des fondements fragiles de la puissance qui sont sources de nouveaux conflits

Face à l’importance des espaces maritimes, les tensions se multiplient entre les États. C’est le cas en mer de Chine où les pays côtiers se disputent les îles Spratleys à cause de leur positionnement stratégique et de la ZEE qui leurs est associée. Ces tensions peuvent aussi être plus concrètes comme l’illumination radar du navire français Le Courbet par un navire de guerre turque en 2020. Plusieurs solutions s’offrent aux États pour éviter cela. Certains pays, comme la Russie, se tournent vers des routes maritimes alternatives moins sujettes aux risques géopolitiques comme celles passant par l’Arctique. D’autres cherchent à sécuriser leurs routes existantes à l’image de la Chine et de sa stratégie du “collier de perle” en installant des bases militaires ou en construisant des ports détenus en partie par des entreprises chinoises le long de la route maritime reliant le pays au Moyen-Orient.

L’augmentation des flux de richesses, l’appauvrissement des stocks de poissons et la défaillance des États les plus pauvres ont accéléré le renouveau de la piraterie disparu au XXe siècle. La Corne de l’Afrique est particulièrement touchée depuis le début du XXIe siècle. La présence des forces navales des grandes puissances (opération Atalante pour l’UE, mais aussi navires américains, chinois et indiens) ont fait passer de 439 en 2011 à 201 en 2018 le nombre d’actes de piraterie dans le monde. Pour autant, certains foyers se sont réactivés comme au Moyen-Orient avec les rebelles houthistes du Yémen ciblant les navires occidentaux au niveau du détroit de Bab-el-Mandeb. Équipés de drones abordables, ils ont réussi à menacer l’économie asiatique et européenne.

Les mers sont aussi au cœur d’un défi écologique existentiel pour l’humanité. En mars 2023, les pays membres de l’ONU sont parvenus à un accord destiné à « assurer la conservation et l’utilisation durable de la diversité biologique marine dans les eaux internationales » qui bénéficiaient jusque-là d’aucune protection internationale. A cela s’ajoute le problème de certaines îles et mégapoles côtières comme Jakarta, victimes de la montée des eaux et dont il faudra évacuer mais également reloger des millions de résidents. Enfin, l’aquaculture représente la moitié de la production de poissons et répond ainsi à sa raréfaction mais les problèmes environnementaux et sanitaires que ces cultures engendrent font néanmoins peser de nombreuses hypothèques sur cette activité.

Conclusion : 

Les conflits pour la souveraineté maritime ne datent pas d’hier. En effet, les tensions entre les puissances maritimes, les thalassocraties, et les puissances terrestres, les tellurocraties, ont façonné l’histoire de l’humanité depuis des siècles. Des exemples classiques incluent le conflit entre Athènes, symbole de la puissance maritime, et Sparte, représentant la puissance terrestre. Cependant, ces tensions ont gagné en intensité au cours des dernières années. Ainsi, selon Thomas Gomart, nous sommes entrés dans une nouvelle ère de “navalisme”, une ère où les grandes puissances évaluent leur domination à travers leurs forces navales, reflétant alors la vigueur de leur secteur industriel et les décisions stratégiques de leurs dirigeants. La mondialisation et la maritimisation des échanges créent une interconnexion entre les économies de chaque puissance, ce qui nécessite de prendre certaines mesures venant perturber les rapports entre chaque État.

“He who rules the sea rules trade (…) and therefore the world itself”

“He who commands the sea commands commerce, he who commands commerce commands the wealth of the world, and therefore the world itself.”  These are the words of Sir Walter Raleigh, a famous British explorer of the 16th century. This is still true today. In an increasingly interconnected and globalized world, the control of the seas is of paramount strategic importance. The adage “who controls the sea controls the world” takes on full meaning in the age of globalization, where the stakes associated with the control of sea lanes are manifold. Global geopolitics therefore also encompasses the geopolitics of the marine space. The seas are at the heart of this globalization: 90% of trade flows are made by sea and almost all Internet traffic is made through submarine cables. So, can any country today claim to have the indispensable assets to impose its law on the seas and oceans, and thus take control of the sea?

The maritime factors of economic power.

Maritime factors play a major role in determining a country’s economic power at different scales, from local infrastructure to global trade relations.

First, the economic power of a state is reflected in its ability to dominate maritime activities on a global scale. Control of sea lanes is therefore a key challenge for countries. According to the United Nations Conference on Trade and Development (UNCTAD) report, ships now carry more than 80% of the volume of world trade. Despite the decline in the share of the United States in this area, their influence remains significant, accounting for almost 7% of world traffic.

In addition, the diversification of maritime trade links has changed the geopolitics of trade. While Europe and North America were once the major hubs of maritime traffic, a multipolar system is emerging, making it more difficult to control trade flows. Think of Egypt: “With an annual increase of 13%, the Suez Canal brought in $6.3 billion to the state coffers in 2021, the largest turnover ever recorded for this crucial route for global maritime trade,” according to La Tribune Afrique.

Finally, increased access to international markets has contributed to a growing interdependence among nations. Whereas in the past the exclusive system guaranteed a commercial monopoly to the colonial powers, today dependence on certain suppliers is ubiquitous. For example, many Western countries are dependent on China for some manufactured goods. As a result, any disruption of the supply chain from China, as was the case with COVID-19, can have significant repercussions on the global economy and on the ability of countries to meet their basic needs.

Hence the challenge of managing and controlling the seas.

To secure their maritime spaces, States have asked to control part of the oceans. A compromise was reached with the Montego Bay Convention (UNCLOS) in 1982. Notably, the text establishes Exclusive Economic Zones (EEZs) where each state enjoys full sovereignty, but it also guarantees freedom on the high seas for all countries. The increase in global traffic generated by the new legislation has greatly increased the geopolitical role of sea routes and straits such as the Bosphorus and Dardanelles straits, which Turkey recently closed to warships. Maritime spaces thus become decisive in the assertion of power, which explains the increase in the naval budget of some emerging countries: an increase of 57% for China between 2011 and 2016 and a further 67% for India.

The aim of this territorialization is to guarantee exclusive access to certain fishery and energy resources. At a time when 55% of the world’s oceans are exploited, and fish are becoming increasingly scarce (in the Baltic, cod catches have doubled twenty-fold since 1985), the ability to choose who has access to their fishing grounds is a crucial issue for some regions such as West Africa, where fish account for more than half of the population’s protein intake. Added to this is the issue of energy resources, as evidenced by the rise of offshore exploitation, which has turned the oceans into the producers of a third of the world’s oil. Not to mention the interest of some nations in unconventional resources such as rare-earth-rich crusts, essential for the construction of computer hardware.

To capture these flows and resources, governments invest in industrial and port areas, which are both signs and vectors of industrial and commercial power. In 2002, the world’s top 10 ports handled 1.9 billion tonnes of cargo, and in 2019, the volume had risen to 11 billion tonnes. Polarization is significant, with the top 20 ports accounting for 55% of traffic. The objective for states is to capture as much traffic as possible for the benefit of their hinterlands. Often connected to these ports, submarine cables, essential for information flows, carry 97% of the digital data exchanged. As they follow the same route as sea routes, these cables are subject to the same risks.

But these fragile foundations of power give rise to new conflicts.

Given the importance of maritime spaces, tensions between States are multiplying. This is the case in the China Sea, where the coastal countries compete for the Spratley Islands because of their strategic positioning and the associated EEZ. These tensions may also be more concrete, such as the radar illumination of the French ship Le Courbet by a Turkish warship in 2020. States have several options to avoid this. Some countries, such as Russia, are turning to alternative sea routes that are less prone to geopolitical risks, such as those through the Arctic. Others, like China with its “pearl necklace” strategy, are seeking to secure their existing routes by setting up military bases or building ports partly owned by Chinese companies along the maritime route linking China to the Middle East.

Increasing flows of wealth, depleted fish stocks and the failure of the poorest states have accelerated the revival of piracy, which disappeared in the twentieth century. The Horn of Africa has been particularly affected since the beginning of the twenty-first century. The presence of the naval forces of the major powers (Operation Atalante for the EU, but also US, Chinese and Indian vessels) has reduced the number of piracy incidents worldwide from 439 in 2011 to 201 in 2018. However, some piracy hotspots have been reactivated, such as in the Middle East with the Houthi rebels in Yemen targeting Western ships in the Bab-el-Mandeb Strait. Equipped with affordable drones, they have managed to threaten the Asian and European economies.

The seas are also at the heart of an existential ecological challenge for humanity. In March 2023, UN member countries reached an agreement to « ensure the conservation and sustainable use of marine biodiversity in international waters » that previously had no international protection. Added to this is the problem of some islands and coastal megacities such as Jakarta, victims of rising waters and from which millions of residents will have to be evacuated but also relocated. Finally, aquaculture accounts for half of fish production and thus balances out the scarcity of fish worldwide, but the environmental and health problems associated with this type of farming nevertheless weigh heavily on this activity. 

Conclusion: 

Conflicts over maritime sovereignty are nothing new. Indeed, the tensions between the maritime powers, the thalassocracies, and the terrestrial powers, the tellurocracies, have shaped the history of mankind for centuries. Classic examples include the conflict between Athens, symbol of maritime power, and Sparta, representing land power. However, these tensions have intensified in recent years. Thus, according to Thomas Gomart, we have entered a new era of “navalism,” an era in which the great powers measure their dominance through their naval forces, reflecting the strength of their industrial sector and the strategic decisions of their leaders. Globalization and the maritimization of trade are creating interconnections between the economies of each Power, necessitating the implementation of certain measures that end up disrupting relations between States.

Par Juliette Neupont et Léo Castagnet

Traduit par Lina Bouamama

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