La rhétorique nucléaire, ou le nouvel art de faire la Guerre

La dissuasion nucléaire, outil stratégique majeur dans le paysage géopolitique mondial depuis la Guerre froide, repose sur la conviction que la possession d’armes nucléaires dissuade les adversaires potentiels d’entreprendre des actions hostiles car cette arme leurs infligerait des dommages sans précédent. Par conséquent, la dissuasion nucléaire est devenue un élément structurant les relations internationales contemporaines. Au travers de cet article, nous allons chercher à comprendre pourquoi et comment l’arme nucléaire est devenue un outil de dissuasion majeur mais aussi à démontrer en quoi la guerre en Ukraine constitue un tournant dans l’histoire de la dissuasion nucléaire.  

La première apparition de l’arme atomique eut lieu le 16 juillet 1945 au Nouveau Mexique lorsque l’armée américaine testa la première bombe à fission nucléaire. Cela correspond à l’aboutissement du projet Manhattan lancé à l’été 1942. Celui-ci fut initié car les Etats-Unis craignaient le développement d’une bombe nazie qui n’aura finalement jamais lieu. C’est le 6 août 1945 que ce type d’arme a été utilisé pour la première fois contre un pays, lorsque Washington décida de lancer une bombe de 15 kilotonnes de TNT sur Hiroshima, tuant ainsi 145 000 personnes. Quelques jours plus tard, le 9 août 1945, c’est Nagasaki qui fut victime d’une bombe de 20 kilotonnes de TNT. Elle entraîna la mort de 70 000 personnes. Ce sont notamment ces événements qui conduisirent le Japon à capituler. C’est à ce moment précis que l’arme nucléaire est devenue le symbole de la puissance militaire absolue. 

Cette entrée dans l’ère atomique s’est alors traduite par une course à l’armement effrénée. C’est pourquoi, en 1949, l’URSS testa une bombe A au Kazakhstan et développa ensuite des bombes H, beaucoup plus puissantes. Par la suite, ce sont le Royaume-Uni, la France et la Chine qui firent leurs tests : le Royaume-Uni en 1952 sur les îles Montebello, la France en 1960 dans le désert algérien et la Chine en 1964 dans le Lob-Nor, immense marécage salé situé au nord-ouest de la Chine. Tout ceci conduisit à l’élaboration en 1968 d’un Traité de non-prolifération (TNP). Il a pour principal objectif de prévenir la prolifération des armes nucléaires, autrement dit que les pays n’étant pas dotés actuellement de l’arme nucléaire ne puissent pas la fabriquer ou se la procurer. Il fut reconduit sans limite en 1995. Aujourd’hui, neuf pays disposent de l’arme nucléaire : les membres du conseil de sécurité de l’ONU, seules puissances nucléaires officielles, ainsi que quatre autres pays considérés comme des puissances non officielles car ils ont refusé de signer le TNP en raison de leur géopolitique conflictuelle. Pour Israël, l’arme nucléaire sert d’assurance ultime face à ses ennemis. Quant à l’Inde et au Pakistan, ils se sont tous deux engagés dans leurs programmes nucléaires en 1974 et en 1971. En mai 1998, l’Inde réalisa cinq derniers essais qui avaient pour objectif de valider son programme nucléaire militaire. En réponse à cela, le Pakistan, quelques jours plus tard, réalisa à son tour une série de tests nucléaires. C’est après cela que ces deux États revendiquèrent la détention d’armes nucléaires. En ce qui concerne la Corée du Nord, c’est le docteur Khan, après avoir aidé le Pakistan, qui leur apporta également son aide pour développer leur programme nucléaire secret. Ayant été traumatisée par la menace de vitrification du pays par le général Douglas MacArthur, la Corée du Nord a relancé ses recherches après la première guerre du Golfe. Selon elle, il s’agit du meilleur moyen de survie face à la présence américaine au Japon, en Corée du Sud et à Guam. 

L’invasion de l’Ukraine par la Russie en février en 2022 constitue une rupture majeure dans l’histoire du 21ème siècle. Certes, il s’agit du retour de la guerre en Europe, mais il s’agit surtout du retour du brandissement de la menace nucléaire. Vladimir Poutine a changé les règles du jeu : désormais, il ne s’agit plus de faire connaître ses capacités nucléaires sans pour autant parler de s’en servir. En effet, peu de temps après l’invasion de l’Ukraine, Vladimir Poutine a recours dans ses discours offensifs à cette rhétorique nucléaire. Par exemple, il affirme que tout État qui entraverait les actions de la Russie devrait faire face à des conséquences encore jamais vues dans l’Histoire. Il a également demandé à son ministre de la Défense et au chef d’état-major des armées de réhausser le niveau d’alerte des forces de dissuasion lors d’une mise en scène filmée. De plus, depuis l’annexion de la Crimée en 2014, le Kremlin a rompu les mémorandums de Budapest datant de 1994, documents qui protégeaient jusqu’alors l’Ukraine après sa dénucléarisation postindépendance. En outre, en faisant tirer en mars 2022 l’un de ses missiles hypersoniques (volant à 10 fois la vitesse du son) sur l’Ukraine et qui a menacé, par la même occasion, les forces de l’OTAN en Pologne, la Russie a renforcé cette nouvelle course à l’armement s’opérant actuellement à l’échelle mondiale. Ainsi, les pays dits du seuil, c’est-à-dire les pays ayant la technologie et possédant de l’uranium enrichi ou du plutonium, hésitent à se doter de la bombe comme moyen de dissuasion. Il s’agit entre autres de la Corée du Sud et de l’Australie, qui se méfient de plus en plus de la puissance chinoise. C’est pourquoi, en 2021, l’Australie a décidé de se doter de huit sous-marins à propulsion nucléaire américains dans les prochaines décennies suite à l’accord de défense AUKUS et que la Corée du Sud développe son propre missile balistique. Néanmoins, cette nouvelle course à l’armement ne date pas d’hier. En effet, depuis que Trump a fait sortir les Etats-Unis de l’accord international de limitation du nucléaire iranien, l’usine iranienne de Natanz produit de l’uranium enrichi à 60%. Par conséquent, les pays de la région redoutant la mise au point d’une bombe iranienne se rapprochent : Israël, le Maroc, Bahreïn et les Émirats arabes unis. De plus, l’abandon des traités limitant les missiles moyenne portée ont été abandonnés ces dernières années, accroissant encore un peu plus l’intérêt des pays pour l’acquisition de ce moyen de dissuasion. Toutefois, l’ensemble des pays savent bien qu’il est préférable que l’utilisation de l’arme atomique reste seulement une menace. En effet, l’impact d’une ogive de 300 kilotonnes de TNT, ogive existant dans tous les arsenaux modernes et étant vingt fois plus puissante que celle utilisée sur Hiroshima, conduirait à la mort de 65 000 personnes et à un million de blessés. Quant à la Tsar Bomba soviétique, bombe la plus puissante jamais testée, elle ferait plus de six millions de morts. 

Enfin, malgré la dissuasion nucléaire, il reste un spectre pour la guerre conventionnelle, ce qui bouscule toutes les attentes des Occidentaux. En effet, cet outil de dissuasion n’a pas empêché le retour de la guerre en Europe avec la Guerre en Ukraine. Alors que l’objectif principal de la dissuasion nucléaire est de préserver et renforcer la paix et la sécurité internationale, il semblerait que dans le contexte actuel la dissuasion nucléaire et tous les traités qui y sont associés atteignent leurs limites. En effet, du fait des conséquences de celle-ci et de la volonté de ne pas risquer une destruction mutuelle, la dissuasion nucléaire ne protège pas toujours des guerres conventionnelles. Malgré tout, si l’Ukraine n’avait pas accepté de se défaire de l’arme nucléaire lors du mémorandum de Budapest en 1994, est-ce que la Russie aurait quand même décidé de l’envahir ? 

Nuclear deterrence, a safeguard from generalized armed conflicts? 

Nuclear deterrence, a major strategic tool in the global geopolitical landscape since the Cold War, is based on the conviction that the possession of nuclear weapons dissuades potential adversaries from taking hostile action, as such weapons would inflict unprecedented damage. As a result, nuclear deterrence has become a structuring element in contemporary international relations. 

In this article, we seek to understand why and how nuclear weapons have become a major tool of deterrence, and to demonstrate how the war in Ukraine represents a turning point in the history of nuclear deterrence. 

The first appearance of atomic weapons took place on July 16, 1945, in New Mexico, when the US army tested the first nuclear fission bomb. This was the culmination of the Manhattan Project launched in the summer of 1942. The project was initiated because the United States feared the development of a Nazi bomb, which in the end never materialized. It was on August 6, 1945, that this type of weapon was first used against a country, when Washington decided to drop a 15-kiloton TNT bomb on Hiroshima, killing 145,000 people. A few days later, on August 9, 1945, Nagasaki fell victim to a 20-kiloton TNT bomb. It killed 70,000 people. It was these events in particular that led to Japan’s surrender. It was at this precise moment that nuclear weapons became the symbol of absolute military power. 

This entry into the atomic age led to a frantic arms race. That’s why, in 1949, the USSR tested an A-bomb in Kazakhstan and went on to develop much more powerful H-bombs. Subsequently, the UK, France and China carried out their own tests: the UK in 1952 on the Montebello Islands, France in 1960 in the Algerian desert and China in 1964 in Lob-Nor, a vast salt marsh in north-west China. All this led to the drafting of the Non-Proliferation Treaty (NPT) in 1968. Its main aim is to prevent the proliferation of nuclear weapons, i.e. to ensure that countries which do not currently possess nuclear weapons cannot manufacture or acquire them. It was renewed without limit in 1995. 

Today, nine countries have nuclear weapons: the members of the UN Security Council, the only official nuclear powers, plus four other countries considered unofficial powers because they refused to sign the NPT due to their conflicting geopolitical situations. For Israel, nuclear weapons are the ultimate insurance against its enemies. India and Pakistan both embarked on nuclear programs in 1974 and 1971 respectively. In May 1998, India carried out five final tests to validate its military nuclear program. In response, Pakistan, a few days later, also carried out a series of nuclear tests. It was after this that both states claimed to possess nuclear weapons. As for North Korea, it was Dr Khan who, after helping Pakistan, also helped them develop their secret nuclear program. Having been traumatized by General Douglas MacArthur’s threat to vitrify the country, North Korea relaunched its research after the first Gulf War. In its view, this was the best means of survival in the face of the American presence in Japan, South Korea and Guam. 

Russia’s invasion of Ukraine in February 2022 represents a major break in the history of the 21st century. Of course, it means the return of war to Europe, but above all it means the return of the brandishing of the nuclear threat. Vladimir Putin has changed the rules of the game: from now on, it’s no longer a question of making his nuclear capabilities known without actually using them. Indeed, shortly after the invasion of Ukraine, Vladimir Putin resorted to this nuclear rhetoric in his offensive speeches. For example, he asserted that any state hindering Russia’s actions would face consequences never before seen in history. He has also instructed his Defense Minister and Chief of Staff to raise the alert level of deterrent forces in a filmed production. 

What’s more, since the annexation of Crimea in 2014, the Kremlin has broken the Budapest Memoranda dating back to 1994, documents that until then protected Ukraine after its post-independence denuclearization. When Russia fired one of its hypersonic missiles (flying at 10 times the speed of sound) at Ukraine in March 2022, threatening NATO forces in Poland at the same time, it increased the speed of the new global arms race. The so-called « threshold countries » – those with the technology, enriched uranium or plutonium – are reluctant to acquire bombs as a means of deterrence. These include South Korea and Australia, which are increasingly wary of China’s power. That’s why, in 2021, Australia decided to acquire eight American nuclear-powered submarines over the next few decades under the AUKUS defense agreement, while South Korea is developing its own ballistic missile. 

Nevertheless, this new arms race is not unprecedented. Indeed, since Trump pulled the USA out of the international agreement to limit Iran’s nuclear activities, the Iranian Natanz plant has been producing uranium enriched to 60%. As a result, countries in the region that fear the development of an Iranian bomb are moving closer together: Israel, Morocco, Bahrain, and the United Arab Emirates. 

Moreover, the abandonment of treaties restricting medium-range missiles in recent years has further heightened countries’ interest in acquiring this means of deterrence. However, all countries are well aware that it is preferable that atomic weapons remain only a threat. Indeed, the impact of a 300-kiloton TNT warhead, which exists in all modern arsenals and is twenty times more powerful than the one used on Hiroshima, would kill 65,000 people, and injure a million more. As for the Soviet Tsar Bomba, the most powerful bomb ever tested, it would have the capacity to kill over six million people. 

Finally, despite nuclear deterrence, there is still a specter of conventional warfare, which upsets all Western expectations. Indeed, this tool of deterrence has not prevented the return of war to Europe with the War in Ukraine. While the main aim of nuclear deterrence is to preserve and strengthen international peace and security, it would seem that in the current context nuclear deterrence and all the treaties associated with it are reaching their limits. Indeed, because of its consequences and the desire not to risk mutual destruction, nuclear deterrence does not always protect against conventional war. Even so, if Ukraine had not agreed to give up nuclear weapons in the 1994 Budapest Memorandum, would Russia still have decided to invade? 

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