Au printemps prochain, plus d’un milliard d’Indiens seront appelés à participer aux élections législatives pour désigner leur dirigeant. Tous les signaux semblent indiquer que le parti hindou BJP (Bharatiya Janata Party), sortira vainqueur des élections générales et que Narendra Modi, Premier ministre actuel, sera reconduit pour un troisième mandat consécutif après ceux de 2014 et 2019. Immense favori des élections, figure de proue du BJP, Narendra Modi (74 ans), issu d’une basse caste a débuté son ascension vers le pouvoir en tant que ministre en chef de l’État du Gujarat entre 2001 et 2014 avant de devenir Premier ministre. S’il s’est distingué très tôt par ses excellentes qualités d’orateur, Narendra Modi a surtout consolidé sa popularité grâce à un discours identitaire hindou et des propositions fortes. La croissance importante du PIB, l’amélioration des infrastructures dans le pays, les aides versées aux plus pauvres se sont révélées être des avancées concrètes sous ses deux premiers mandats. L’absence d’opposition lui a aussi permis d’étendre son influence au fil des mandats et de développer un culte de la personnalité propice à façonner une Inde à son image. Malgré sa popularité, Narendra Modi demeure une figure controversée et très critiquée, notamment en matière de respect des droits humains. En plus de ses dérives autoritaires, Modi a été accusé d’ignorer, voire de cautionner la discrimination et les violences contre les minorités religieuses. La diversité ethnique et culturelle, le respect, la laïcité et la recherche d’égalité ont constitué de tout temps les piliers de l’aura indienne. Modi a engagé la plus grande démocratie du monde dans un virage populiste et autoritaire pour instaurer un pouvoir ethnique hindouiste. Quelles sont ses motivations profondes, et de quelle manière opère-t-il pour remodeler le paysage politique et social de l’Inde ? A quelques mois des élections en Inde et certainement du début d’un troisième mandat du leader du BJP, faisons un point sur la stratégie de Narendra Modi.
Une idéologie nationaliste hindoue comme ligne de conduite
Pour débuter sa campagne électorale et poser les jalons de son programme, Narendra Modi a voulu envoyer un signal fort. Le lundi 22 janvier, le Premier ministre a convié tout le pays dans la ville d’Ayodhya pour une cérémonie exceptionnelle dédiée à l’inauguration du temple Ram Mandir. Troisième plus grand temple hindouiste du monde, cet immense bâtiment a été érigé sur les ruines d’une mosquée détruite en 1992. Jamais auparavant une personnalité politique indienne de ce rang ne s’était emparée d’un tel évènement religieux. Au-delà de se positionner comme le gardien de la foi, Narendra Modi s’est confié la mission de faire de l’Inde une nation hindoue. Ses détracteurs lui reprochent d’enterrer l’héritage séculaire de l’Inde multiculturelle, composée d’une majorité d’hindous, mais aussi de musulmans, la plus forte minorité au monde, ainsi que de chrétiens, de sikhs et de jaïns. Ces dernières années, la promotion de l’idéologie nationaliste hindoue s’est également accompagnée d’un ensemble de lois réduisant les droits de ces minorités, criminalisant tous ceux qui s’y opposaient. A titre d’exemple, en novembre 2019, une loi refusant la naturalisation des réfugiés musulmans en Inde a été mise en place. Modi a construit méthodiquement année après année un nouveau régime ultranationaliste où la religion et la politique ne font qu’un. Encore aujourd’hui, à l’aube d’un troisième mandat, l’instrumentalisation de l’hindouisme à des fins politiques continue d’être une stratégie privilégiée par Modi.
Alors que le BJP a longtemps représenté les hautes castes, Narendra Modi a également réussi à prospérer en attirant les plus démunis parmi ses électeurs avec la promotion de l’hindouisme. Pour ainsi dire, la religion est devenue pour ces catégories discriminées une fierté identitaire qui contrebalance avec leur marginalisation sociale. Modi a considérablement augmenté les distributions directes d’aide aux plus pauvres, que ce soit à travers la fourniture de biens (distributions gratuites de bouteilles de gaz) ou la création d’infrastructures (réseau électrique). En 2019 et 2020, près de 26 milliards d’euros ont été versés à 700 millions de personnes dans le pays, un chiffre impressionnant par rapport à ceux produits par ses prédécesseurs. La concrétisation des promesses sociales destinées aux plus démunis avec des résultats convaincants a garanti une longueur d’avance pour Modi qu’il s’évertue de conserver avant les élections.
Réduire les voix critiques
L’autoritarisme du régime de Narendra Modi ne se perçoit pas uniquement à travers le prisme religieux. Le gouvernement de Modi, en place depuis plus de neuf ans est souvent accusé d’utiliser la justice pour museler ses opposants. Rahul Gandhi, héritier direct de la lignée historique Nehru-Gandhi et principal chef de l’opposition, a notamment été condamné en août dernier dans une affaire de diffamation à l’encontre du Premier ministre qui a entrainé son éviction du Parlement. M. Gandhi avait déclaré lors d’une campagne électorale que « tous les voleurs ont Modi comme nom de famille ». Tous ceux qui tenteraient de critiquer les objectifs du BJP et les dérives du pouvoir sont susceptibles d’être la cible de campagnes d’intimidation et de harcèlement : une réalité préoccupante pour la « plus grande démocratie du monde ». Par ailleurs, toute couverture malveillante de l’actualité, propos déplacés sont rapidement détectés dans un pays où les principales télévisions indiennes sont contrôlées par des sociétés proches du pouvoir et où les journalistes étrangers sont surveillés de près. En janvier dernier, les bureaux de la BBC à New Delhi ont été perquisitionnés par le fisc après la diffusion d’un documentaire sur le rôle supposé du Premier ministre dans les pogroms islamophobes de 2002. Classé 142e sur 180, l’Inde a reculé à la 150e place en 2022 dans le classement de liberté de la presse de « Reporters sans frontières ».
En plus de l’affaiblissement généralisé des contre-pouvoirs, la corruption des élus reste endémique en Inde. Le système des bonds électoraux institué en 2018 permet aux entreprises et particuliers de réaliser des dons pour le financement des partis politiques, le tout sans plafond et de manière anonyme. Cette mesure renforce le rôle de l’argent dans le système électoral indien, désormais plus opaque.
Depuis son arrivée en 2014, Narendra Modi a relégué l’Inde multireligieuse et multiculturelle au second plan pour faire flotter la couleur safran des hindous dans tout le pays au point de marginaliser les minorités. En muselant la société civile, Modi a engagé l’Inde dans un virage autoritaire et populiste. N’appréciant guère le multilatéralisme, le Premier ministre compte aussi projeter sa stratégie intérieure sur sa politique étrangère. Face à la recrudescence des tensions à l’échelle régionale comme nationale, cette Inde qui cultive le non-alignement tend de plus en plus à sélectionner ses amis et cibler ses ennemis.