Introduction
L’accord de paix de Pretoria signé le 2 novembre 2022 entre le gouvernement éthiopien et le Front de libération du peuple du Tigré (FLPT) met fin à la guerre civile en Ethiopie. Pour autant, les tensions et conflits entre le gouvernement et la région du Tigré ne semblent pas avoir pris fin. Dans le même temps, le pays est sujet à de nouvelles revendications régionales.
Rappel Historique
En 1991, le renversement du régime communiste a conduit à la victoire de la guérilla tigréenne, plaçant les Tigréens au pouvoir. La population tigréenne représente 6 à 7 % de la population totale du pays. L’Éthiopie, composée de 80 communautés et de nombreuses ethnies, adopte alors un modèle fédéral pour trouver une solution au tribalisme. C’est un fédéralisme ethnique : chaque région représente un groupe ethnique. La mise en place de ce système par les Tigréens vise notamment à contrebalancer le fait qu’ils soient une ethnie minoritaire dans le pays. C’est un système qui leur est donc favorable. La constitution adoptée en 1994 prévoit tout de même à travers son article 39 le droit de sécession d’une province après un référendum.
En 2012, la mort du leader tigréen Meles Zenawi, au pouvoir depuis 1991, marque la fin de l’influence politique des Tigréens en Ethiopie.
L’arrivée au pouvoir, sans élection, du Premier ministre actuel Abiy Ahmed en 2018 suscite des tensions avec la région du Tigré. Il adopte notamment une vision unitariste et centralisée de l’Ethiopie. Suite à l’annulation des élections de 2020, la région du Tigrée met en place ses propres élections locales, qui ne sont pas un référendum d’indépendance. Un référendum serait pourtant constitutionnel selon le texte de 1994. Le gouvernement d’Abiy Ahmed considère les élections comme une tentative de sécession et attaque le Tigré afin de “maintenir l’ordre constitutionnel”.
La situation en Éthiopie atteint un niveau critique avec le déclenchement d’une guerre civile en novembre 2020, marquant une escalade dans les tensions régionales et ethniques. C’est le début d’une guerre meurtrière.
Une Guerre Civile Meurtrière
La guerre civile, débutée en novembre 2020, a été marquée par des revirements, des attaques, et des contre-attaques. Le nombre de morts de cette guerre est difficile à estimer du fait du confinement de la région du Tigré. En effet, il est très compliqué de se déplacer dans le pays et particulièrement au Nord, avec des contrôles routiers militaires nombreux. Cela limite donc le couvrement de l’actualité dans cette région par les journalistes. De plus, la coupure des télécommunications les empêche de vérifier toutes informations concernant le Tigré. Autrement dit, un voile entoure les événements meurtriers ayant lieu dans la région.
L’Union africaine a estimé à 600 000 le nombre de morts causés par la guerre civile. Une enquête a été lancée en 2021 par l’ONU pour de possibles crimes contre l’humanité. Elle n’est cependant pas reconduite en octobre 2023. Le dernier rapport de la Commission internationale d’experts sur les droits humains en Ethiopie (ICHREE) évoqué pourtant des : “meurtres de masse, actes de torture, siège imposé au Tigré, viols systématiques à grande échelle, profilage ethnique et expulsion forcée d’habitants de certaines régions”. Aujourd’hui plus d’un an après la signature des accords de paix, aucune justice n’a donc été faite pour les actes commis durant la guerre civile.
La Fin de la Guerre en Éthiopie ?
L’accord de paix signé fin 2022 est censé avoir mis fin à la guerre. La vérité est toute autre. L’accord signé entre les deux parties n’est pas respecté. Par exemple, les troupes érythréennes n’ont pas quitté le territoire éthiopien et notamment le Tigré. De fait, l’accord a été signé uniquement entre le gouvernement éthiopien et le FLPT, excluant le pouvoir érythréen, mais aussi les milices d’amhara des Fanos et l’Armée de libération oromo. Tous ces acteurs ont contribué à la guerre civile au Tigré, en tant qu’allié du gouvernement ethiopien contre les rebelles tigréens.
L’accord de paix a donc eu peu d’effets concrets, notamment, car il a exclu de nombreux acteurs investis dans la guerre. Le drame humanitaire s’est, lui, intensifié avec près de 400 000 personnes confrontées à la famine. La population tigréenne, privée d’aide alimentaire, souffre de malnutrition aiguë. En effet, le Programme alimentaire mondial (PAM) des Nations Unies a suspendu sa distribution de nourriture entre juin et décembre 2023 à cause d’un scandale, ayant mis au jour le détournement des aides par le gouvernement éthiopien. Pourtant, un quart de la population éthiopienne a besoin d’une assistance humanitaire, en faisant ainsi un des pays les plus nécessiteux sur ce plan. Ainsi, plus de deux millions de Tigréens sont menacés par la famine, qui risque également de toucher la région voisine de l’Amhara.
Question de la Guerre Éthiopienne dans la Communauté Internationale
Le prix Nobel de la paix attribué à Abiy Ahmed en 2018 pour l’accord de paix trouvé avec l’Erythrée avait été un vif espoir pour la communauté internationale, dans l’établissement d’une nouvelle démocratie stable en Afrique. Cela semble avoir perdu toute signification face à la guerre civile identitaire à laquelle le pays fait face. Abiy Ahmed, lauréat du prix Nobel de la paix est devenu chef de guerre.
Le soutien international a ainsi oscillé en 2020. La Chine, la Russie, la Turquie, et les Émirats arabes unis soutiennent le gouvernement éthiopien, tandis que les Occidentaux ont réduit progressivement leur soutien. Un Programme indicatif multiannuel de coopération a tout de même été signé entre l’Union européenne et l’Ethiopie, afin de normaliser leur relation dans le contexte de résolution des conflits dans le pays. Est-ce une hypocrisie des pays occidentaux, qui revendiquent pourtant bien haut leur étendard de valeurs ? Cela est difficile à dire, mais il est probable que l’UE veuille éviter une fragilisation de la paix, par le biais d’une enquête internationale, à l’exemple de ce qui s’est passé au Soudan. Cela explique que l’ICHREE (Commission internationale d’experts des droits de l’Homme sur l’Ethiopie) n’ait pas été renouvelée et que l’UE souhaite construire et aider le développement du pays.
Finalement, l’accord de paix accepté par la communauté internationale n’a pas permis de régler le conflit. Les efforts diplomatiques internationaux ont été entravés, soulevant des questions sur l’efficacité des institutions telles que l’ONU. Cette guerre pourtant meurtrière a également soulevé peu d’intérêt au sein des institutions internationales, reléguant encore une fois les guerres africaines au rang de guerre oubliée. À l’inverse, il convient de surveiller le rôle que jouera l’Union africaine dans la gestion des conflits en Afrique dans les années à venir, qui a joué un rôle majeur dans la signature de l’accord de Pretoria.
Perspectives d’Avenir pour l’Ethiopie
L’Ethiopie n’est pas épargnée par la possibilité d’une nouvelle guerre civile. Les milices amhara des Fanos et l’Armée de libération oromo, anciens alliés du gouvernement, se sont notamment retournés contre le gouvernement. La désagrégation de l’État est une menace réelle, mettant à l’épreuve le système diplomatique mondial et les organisations internationales dans la gestion de conflits en Afrique.
Conclusion
La guerre civile en Éthiopie transcende les frontières nationales, impliquant des acteurs régionaux et internationaux. La crise humanitaire et les violations des droits de l’homme nécessitent une attention urgente. Alors que l’Éthiopie est confrontée à des défis monumentaux, la communauté internationale doit redoubler d’efforts pour trouver des solutions pacifiques et durables afin d’éviter une détérioration encore plus grave de la situation. Pour cela, l’Ethiopie ne doit plus être reléguée au rang de guerre oubliée, mais faire l’attention d’une surveillance particulière.
Ethiopia’s Civil War: an uncertain future
Introduction
The Pretoria Peace Agreement signed on November 2, 2022 between the Ethiopian government and the Tigray People’s Liberation Front (TPLF) put an end to the civil war in Ethiopia. However, tensions and conflicts between the government and the Tigray region do not seem to have ended. At the same time, the country is subject to new regional demands.
Historical background
In 1991, the overthrow of the communist regime led to the victory of the Tigrayan guerrillas, bringing the Tigrayans to power. The Tigrayan population accounts for 6-7% of the country’s total population. Ethiopia, with its 80 communities and numerous ethnic groups, adopted a federal model as a solution to tribalism. This is ethnic federalism: each region represents an ethnic group. The Tigrayans set up this system to counterbalance the fact that they are a minority ethnic group in the country. It’s a system that favors them. However, article 39 of the constitution adopted in 1994 provides for the right of secession of a province after a referendum.
In 2012, the death of Tigrayan leader Meles Zenawi, in power since 1991, marked the end of Tigrayan political influence in Ethiopia.
The assumption of power, without an election, of the current Prime Minister Abiy Ahmed in 2018 has been causing tensions with the Tigray region. In particular, Prime Minister Ahmed adopted a unitary, centralized vision of Ethiopia. Following the cancellation of the 2020 elections, the Tigray region has been holding its own local elections, which are not a referendum on independence. A referendum, however, would be constitutional according to the 1994 text. Abiy Ahmed’s government regarded the elections as an attempt at secession and attacked Tigray in order to « maintain constitutional order ».
The situation in Ethiopia reached a critical level with the outbreak of civil war in November 2020, marking an escalation in regional and ethnic tensions. This announced the start of a deadly war.
A Murderous Civil War
The civil war, which began in November 2020, has been marked by reversals, attacks and counter-attacks. The death toll from this war is difficult to estimate due to the confinement of the Tigray region. Indeed, it was very difficult to move around the country, particularly in the north, with numerous military road controls. This limited journalists’ ability to cover the region’s news. What’s more, the cut-off of telecommunications prevented them from verifying any information concerning Tigray. In other words, a veil surrounded the deadly events taking place in the region.
The African Union has estimated the number of deaths caused by the civil war at 600,000. In 2021, the UN launched an investigation into possible crimes against humanity. However, it was not renewed in October 2023. The latest report by the International Commission of Experts on Human Rights in Ethiopia (ICHREE) refers to « mass murders, acts of torture, the siege imposed on Tigray, large-scale systematic rape, ethnic profiling and the forced expulsion of inhabitants from certain regions ». Today, more than a year after the signing of the peace agreements, no justice has been done for the acts committed during the civil war.
The End of the War in Ethiopia?
The peace agreement signed at the end of 2022 is supposed to have put an end to the war. The reality is quite different. The agreement signed by the two parties has not been respected. For example, Eritrean troops have not left Ethiopian territory, particularly Tigray. In fact, the agreement was signed only between the Ethiopian government and the FLPT, excluding not only the Eritrean authorities, but also the Fanos Amhara militia and the Oromo Liberation Army. All these players contributed to the civil war in Tigray, as allies of the Ethiopian government against the Tigrayan rebels.
The peace agreement had little concrete effect, not least because it excluded many of the actors involved in the war. The humanitarian drama has intensified, with almost 400,000 people facing starvation. The Tigrayan population, deprived of food aid, is suffering from acute malnutrition. Indeed, the United Nations World Food Program (UNWFP) suspended its food distribution between June and December 2023 due to a scandal that exposed the misappropriation of aid by the Ethiopian government. Yet a quarter of Ethiopia’s population is in need of humanitarian assistance, making it one of the most needy countries in the world. More than two million Tigrayans are threatened by famine, which may also affect the neighboring Amhara region.
The question of the Ethiopian War in the international community
The Nobel Peace Prize awarded to Abiy Ahmed in 2018 for the peace agreement reached with Eritrea had been a bright hope for the international community, in the establishment of a new stable democracy in Africa. This seems to have lost all meaning in the face of the identity-based civil war facing the country. Nobel Peace Prize winner Abiy Ahmed has become a warlord.
International support thus fluctuated in 2020. China, Russia, Turkey and the United Arab Emirates support the Ethiopian government, while Western countries have gradually reduced their support. A Multiannual Indicative Cooperation Program has nevertheless been signed between the European Union and Ethiopia, to normalize their relationship in the context of conflict resolution in the country. Is this hypocrisy on the part of Western countries, which are so proud of their values? It’s hard to say, but it’s likely that the EU wants to avoid undermining the peace through an international investigation, as happened in Sudan. This explains why the ICHREE (International Commission of Human Rights Experts on Ethiopia) has not been renewed, and why the EU wants to build and help develop the country.
In the end, the peace agreement accepted by the international community failed to resolve the conflict. International diplomatic efforts were hampered, raising questions about the effectiveness of institutions such as the UN. This deadly war also aroused little interest within international institutions, once again relegating African wars to the status of forgotten wars. Conversely, we need to keep an eye on the role that the African Union, which played a major role in the signing of the Pretoria Agreement, will play in conflict management in Africa in the years to come.
Future prospects for Ethiopia
Ethiopia is not spared the possibility of another civil war. In particular, the Amhara militias of the Fanos and the Oromo Liberation Army, former allies of the government, have turned against the government. The disintegration of the state is a real threat, putting the global diplomatic system and international organizations to the test when it comes to managing conflicts in Africa.
Conclusion
The civil war in Ethiopia transcends national borders, involving regional and international actors. The humanitarian crisis and human rights violations require urgent attention. At a time when Ethiopia is facing monumental challenges, the international community must intensify its efforts to find peaceful and lasting solutions in order to avoid an even more serious deterioration of the situation. To achieve this, Ethiopia must no longer be relegated to the status of a forgotten war, but must be the focus of special attention.
Ecrit par Paul Liebard et Eloïse Declerck
Traduit par Henry Mott