La guerre, dans l’imaginaire collectif, est associée aux champs de bataille, aux armées se faisant face et par conséquent aux horreurs et aux morts. Néanmoins, l’acte de guerre diffère bien souvent de celui que nous imaginons. La guerre, qui se définit comme un conflit, une lutte entre deux États, n’est pas nécessairement armée, elle peut aussi être menée par des cols blancs. La guerre se manifeste également sur d’autres terrains, comme le commerce, le cyber, les sciences ou l’espace.
Ici, nous allons donc nous intéresser à ces différents champs de conflictualité, nous reviendrons sur les conflits en cours, sur leurs manières de s’exprimer et sur leurs conséquences.
« La conquête des marchés et technologies a pris la place des anciennes conquêtes territoriales et coloniales », voilà ce qu’écrivait B. Escambet en 1991 à propose des luttes économiques.
La première guerre à laquelle on pense, si l’on excepte la lutte armée, est la guerre économique. Celle-ci est la poursuite de la guerre par d’autres moyens, cela reste un combat entre pays ou acteurs étant mues par une volonté de puissance. Ce type de guerre vise à affaiblir l’adversaire, elle peut être menée de façon institutionnelle par des États, mais aussi de façon moins générale par des acteurs économiques. Cette forme de guerre est prépondérante depuis que l’économie et les échanges commerciaux sont des facteurs importants pour qualifier la puissance d’une entité. Colbert disait déjà du temps de Louis XIV que « faire la paix avec ses voisins pour se procurer les avantages d’un grand commerce, c’est faire la guerre à ses ennemis ». Néanmoins, l’avènement de la mondialisation et l’intensification des échanges internationaux ont rendu ce type de conflit et ses armes plus efficients. En effet, l’interconnexion économique crée des dépendances, voire des interdépendances, ce qui permet de mettre sous pression un adversaire.
A l’heure actuelle, les Etats-Unis restent le pays utilisant le plus cette arme, auparavant de façon discrète comme sous B. Obama, comme en attestent les sanctions infligées au nom de l’extraterritorialité du droit américain à des multinationales concurrentes des Américaines, puis de façon ouverte depuis la présidence de D. Trump et les sanctions contre la Chine. Si cette arme reste fortement utilisée, son efficacité est aujourd’hui disputée et contestée puisque le monde devient plus apolaire ou multipolaire, ce qui limite la portée des sanctions prises par une puissance du fait de la dilution de son pouvoir et de son influence au milieu du pouvoir des autres.
Si nous estimons que l’arme et la guerre économique ont des conséquences et une influence déclinante, d’autres moyens de faire la guerre prennent de l’ampleur. C’est notamment le cas de l’arme cyber. L’utilisation et l’influence de cette dernière se développent en même temps que notre utilisation des outils cyber et de leur puissance. La cyberguerre et la cybersécurité deviennent désormais des enjeux majeurs pour les particuliers, les entreprises ou les États. Dorénavant, tout est connecté au cyber, l’hôpital, le fret, l’information, ce qui donne un immense pouvoir à celui maîtrisant des capacités cyber offensives.
Les possibilités offertes par la guerre cyber sont vastes, ce genre de guerre peut voir des États s’affronter, au travers d’attaques, d’espionnage, … les États se donnent pour mener cette guerre de commandements spécialisés : le COMCYBER pour la France ou l’unité 61398 pour la Chine. Néanmoins les États ne sont pas les seuls acteurs de la cyber guerre, hackeurs privés et groupes terroristes sont également présents. Ils mènent à travers le monde cyber des actions criminelles pour promouvoir leur idéologie ou gagner de l’argent.
In fine, les fortes capacités de la guerre cyber peuvent permettre de mener de façon indirecte les autres guerres : commerciale en bloquant les échanges, nucléaire ou chimique en piratant des codes dans la pire des éventualités, technologique au travers de l’espionnage, …
Le passage en revue de ces différentes guerres nous permet donc de voir que le but direct de celles-ci est d’affaiblir l’adversaire, l’ennemi et d’obtenir un avantage sur lui pour se placer en position de force et pourquoi pas négocier par la suite. Néanmoins, d’autres formes de guerre n’ont pas comme finalité directe l’affaiblissement de l’ennemi. En effet, avec les politiques de grandeur menées par certains États, nous assistons à des dépenses impériales afin de mener des guerres de communication et d’apparence.
Les « guerres scientifiques » peuvent avoir cet objectif de démontrer la supériorité d’un modèle, d’une nation face à une autre, le tout afin de discréditer l’adversaire aux yeux de la communauté internationale et de l’isoler. Cette guerre de communication et des exploits scientifiques sont totalement illustrés par la course à l’espace entre l’URSS et les Etats-Unis pendant la guerre froide et aujourd’hui encore par le retour de la course à la Lune, comme démontrent les récents exploits des Chinois, Indiens et Japonais, ou bien la volonté de recommencer les voyages habités vers la Lune (puis Mars) pour les Américains.
Notons également, que ces guerres scientifiques ont des buts plus pratiques comme la souveraineté. Ce fut le cas pour la course aux vaccins COVID entre les Chinois, Russes, Européens et Américains, ou aujourd’hui celle des microprocesseurs indispensables à nos produits connectés.
In fine, la guerre concerne tous les champs de compétition possible. Les États se livrent des batailles pour s’affirmer comme des puissances importantes de ce monde. Ces guerres, ne sont pas toujours médiatisées et peuvent mêmes être invisibles (cf Thomas Gomart, Guerres invisibles). La finalité est toujours l’affirmation d’une puissance face à une autre, mais le but spécifique diffère en fonction des formats de conflictualité, les guerres peuvent servir de propagande pour démontrer la puissance et les capacités des acteurs, elles peuvent viser à contraindre l’adversaire en le fragilisant (nous en revenons donc à la définition de puissance donnée par Raymond Aron) et en l’empêchant d’effectuer certains actions, et elles peuvent avoir un but moins offensif en permettant d’assurer l’autonomie et la souveraineté des États.
Il nous faut également revenir sur un autre aspect des guerres de notre temps : autrefois, elles ne concernaient que les États et entités se revendiquant comme responsables d’un espace géographique. Néanmoins, cette époque est révolue, désormais la guerre ne fait plus partie de la compétence exclusive des nations, les entreprises de par leur taille et puissance, accrues par la Mondialisation sont désormais des compétiteurs pouvant mener des guerres, ou du moins s’impliquer dans certaines, non pas pour servir leur pays d’origine mais pour remplir leurs objectifs propres. Au-delà de la taille et de la puissance des entreprises, les nouvelles formes de guerres ont simplifié les moyens de la mener, les limites de la conflictualité ont été abaissées. Tous ces éléments provoquent également le retour de la guerre comme une option stratégique envisageable pour atteindre ses objectifs.
Invisible wars, another way of fighting
In the collective imaginary, war is associated with battlefields, armies facing each other, and consequently with horror and death. However, the act of war is often very different from what we imagine. War, which is defined as a conflict, a struggle between two states, is not necessarily armed; it can also be waged by white-collar workers. War also manifests itself on other terrains, such as trade, cyber, science and space.
In this section, we’ll be looking at these different areas of conflict, looking at the conflicts that are currently taking place, the ways in which they are expressed, and their consequences.
« The conquest of markets and technologies has taken the place of the old territorial and colonial conquests », wrote B. Escambet in 1991 about economic struggles.
The first war we think of, apart from armed conflict, is economic warfare. This is the continuation of war by other means and remains a struggle between countries or actors driven by a desire for power. This type of war aims to weaken the adversary, and can be waged institutionally by states, or less often by economic actors. This form of warfare has been prevalent ever since the economy and trade became important factors in determining an entity’s power. As early as the time of Louis XIV, Colbert said that « to make peace with one’s neighbors in order to obtain the advantages of a great trade, is to make war on one’s enemies ». Nevertheless, the advent of globalization and the intensification of international trade have made this type of conflict and its weapons more effective. Indeed, economic interconnection creates dependencies, even interdependencies, which make it possible to put pressure on an adversary.
At present, the United States is still the country that uses this weapon most extensively, previously in a discreet manner under Obama, as evidenced by the sanctions imposed in the name of the extraterritoriality of US law on multinationals competing with Americans, then openly since Trump’s presidency and the sanctions against China. While this weapon is still widely used, its effectiveness is now disputed and contested as the world becomes ever more non-polar or multipolar, which limits the sanctions taken by one power due to the dilution of its own power and influence amidst the power of others.
While we believe that weapons and economic warfare are declining in influence and impact, other means of waging war are gaining ground. This is particularly true about cyber weapons. As our use of cyber tools and their power grows, so does its use and influence. Cyberwarfare and cybersecurity are becoming major issues for individuals, businesses and governments alike. From now on, everything is connected to the cyberspace – hospitals, freight, information – giving immense power to those who master offensive cyber capabilities.
The possibilities offered by cyber warfare are vast, and this type of war can see states confronting each other, through attacks, espionage, etc. To wage this war, states have set up specialized commands: France’s COMCYBER or China’s 61398 unit. However, governments are not the only actors in cyber warfare: private hackers and terrorist groups are also rampant. Throughout the cyber world, they carry out criminal actions to promote their ideology or make money as demonstrated by the sharp rise in ransomware (+ 627% in 2022 compared with 2021).
In the end , the strong capabilities of cyber warfare can be used to wage other wars indirectly: commercial warfare by blocking trade, nuclear or chemical warfare by hacking codes in the worst-case scenario, technological warfare through espionage, etc.
A review of these different forms of warfare shows that their direct aim is to weaken the adversary, the enemy, and gain an advantage over him, so as to gain a position of strength and, why not, negotiate later. However, other forms of war do not have the direct aim of weakening the enemy. Indeed, with the policies of grandeur pursued by certain states, we are witnessing imperial spending to wage wars of communication and appearance.
Infamous “scientific wars » can have the objective of demonstrating the superiority of one model or nation over another, in order to discredit and isolate the adversary in the eyes of the international community. This war of communication and scientific feats is fully illustrated by the space race between the USSR and the USA during the Cold War, and even today by the return of the race to the Moon, as demonstrated by the recent feats of the Chinese, Indians and Japanese, or the desire to restart manned trips to the Moon (and then Mars) for the Americans.
It should also be noted that these scientific wars have more practical aims, such as sovereignty. This was the case for the race for COVID vaccines between the Chinese, Russians, Europeans and Americans, or today for the microprocessors essential to our connected products.
Ultimately, war concerns every possible field of competition. States fight to assert themselves as major world powers. These wars are not always publicized by the media, and can even be invisible (cf. Thomas Gomart, Guerres invisibles). The aim is always the assertion of one power against another, but the specific goal differs according to the format of the conflict. Wars can serve as propaganda to demonstrate the power and capabilities of the actors, they can aim to coerce the adversary by weakening him (circling back to Raymond Aron’s definition of power) and preventing him from carrying out certain actions, they can have a less offensive goal by ensuring the autonomy and sovereignty of states.
We also need to look at another aspect of modern warfare: in the past, wars were fought only by states and entities claiming responsibility for a given geographical area. However, those days are gone, as war is no longer the exclusive preserve of nations. Corporations, with their increased size and power as a result of globalization, are now competitors who can wage wars, or at least get involved in some of them, not to serve their country of origin, but to fulfill their own objectives. Beyond the size and power of companies, the new forms of warfare have simplified the means of waging them, and the limits of conflict have been lowered. All these factors have also led to the return of war as a possible strategic option for achieving one’s objectives.