En 2022, un tiers des accidents liés à la piraterie se sont déroulés dans le seul détroit de Singapour, selon le Bureau maritime international de la Chambre internationale de commerce. De nos jours, la piraterie maritime ne vise plus un certain type de navire. En effet, les bateaux de plaisance et les navires de commerce et de pêche sont tout autant touché les uns que les autres par la piraterie et le brigandage. Aujourd’hui, deux régions sont particulièrement touchées : le golfe de Guinée, notamment au niveau du Nigéria, ainsi que l’Asie du Sud-Est, comme il a été possible de le constater avec le détroit de Singapour. La piraterie est le reflet des enjeux qui se déroulent actuellement sur les mers et les océans. Le fait que le détroit de Singapour soit la zone la plus touchée par ce phénomène n’est pas un hasard. En effet, les détroits sont des espaces hautement stratégiques pour les différents acteurs souhaitant prendre le contrôle des mers et des océans, de manière douce ou plus coercitive. C’est pour cela qu’il est possible de constater que de nombreux Etats mettent en place différentes politiques afin de conserver le rapport de force en leur faveur dans ces zones. L’Egypte est certainement un des meilleurs exemples pour illustrer cette dimension avec le canal de Suez, dès sa nationalisation par Nasser en 1956. 

Les différents enjeux autour des détroits

Les détroits les plus importants sont les passages stratégiques des plus grandes routes maritimes mondiales. Le détroit d’Ormuz illustre bien ce propos. Bordé par l’Iran et le sultanat d’Oman, le détroit du golfe Persique voit passer environ 30% du pétrole mondial. Il est aujourd’hui aménagé et organisé en rails de navigation pour faciliter le passage. Il s’agit d’une zone hautement stratégique, mais également très dangereuse sous un angle géopolitique. Ceci explique que le budget militaire omanais soit si élevé, puisqu’il atteint depuis plusieurs années environ 10% du PIB du sultanat, ce qui le place au deuxième rang mondial derrière la Corée du Nord. Du côté de l’Iran, le détroit a joué un rôle essentiel notamment lors de la guerre qui opposait le pays à l’Irak, de 1980 à 1988. L’Iran avait à plusieurs repises miné le passage afin de contraindre les alliés occidentaux de l’Irak. Cependant, il existe de nouveau un risque que le détroit soit une fois encore utilisé par l’Iran pour mettre pression sur ses adversaires dans le contexte de montée des tensions en Téhéran et Washington. De plus, les pays frontaliers aux passages stratégiques sont loin d’être les seuls à avoir une présence dominante dans ces zones. En effet, il est possible de citer les Etats-Unis qui, avec la plus grande marine du monde, ont une présence sur l’entièreté du globe. Par exemple, les enjeux du détroit de Malacca sont, pour eux, essentiellement stratégiques. Dès les années 1970, le détroit de Malacca était au cœur de leur swing strategy, afin d’obtenir la possibilité d’un déplacement rapide des forces navales entre les océans Pacifique, Indien et le Moyen-Orient.

Les détroits représentent un enjeu économique très important, non seulement pour les pays frontaliers, mais également pour les pays les utilisant régulièrement. De plus, ils sont des points où les tensions géopolitiques régionales et mondiales se reflètent. Comme mentionné avec l’Iran plus tôt, les détroits sont des goulots d’étranglement des transports, laissant ainsi planer un risque de blocus. En effet, certains détroits étant proches des rives, ils sont bien plus facilement contrôlables que la haute mer. Ainsi, les pays frontaliers possèdent un moyen de pression important et leurs actions pourraient avoir des répercussions sur le monde entier. Enfin, ces détroits proches des rives sont alors également des espaces de mers intérieures pour les Etats riverains. Ils sont donc des sources de richesse importante, mais aussi des sources de tension pour leur souveraineté nationale, qui peut être aisément menacée par une présence étrangère importante.

Les espaces maritimes : entre appropriation étatique et coopération internationale

Les mers et océans ne sont plus seulement des espaces de circulation. Ils offrent désormais des potentialités immenses d’exploitation et d’exploration qui aiguisent l’appétit des Etats. La convention sur le compartimentage juridique des espaces maritimes en 1982 à Montego Bay régissant le territoire maritime n’a pas éteint les ambitions de conquêtes de certains États. Contrariée par la surface relativement réduite de sa ZEE (zone économique exclusive), la Chine s’affirme de plus en plus à travers sa stratégie du collier de perles qui suscite inquiétudes et contestations notamment de la part de l’Inde. La découverte récente de gisements d’hydrocarbures offshore autour de l’archipel de Spratley a également éveillé les convoitises en mer de Chine méridionale rendant le partage de la zone profondément difficile. Des images satellites ont également montré que Pékin menait d’intenses travaux de construction d’îlots artificiels et d’appontements sur l’archipel, certainement dans l’espoir d’assurer la maîtrise de ce territoire disputé. En son temps, le stratège naval américain Alfred Mahan avait déjà compris que la domination du monde passait par la maîtrise des mers. Contrôle, surveillance, souveraineté, les espaces maritimes sont conduits à la manière d’espaces terrestres avec leurs frontières légales et physiques mais aussi avec un lot de revendications et de tensions entre les parties prenantes.  

Mais cette soif de puissance ne doit pas occulter l’action coordonnée de nombreux États mise en œuvre pour garantir la libre circulation des marchandises et surveiller les océans, près de 103 exercices conjoints en 2018 de la part des pays de l’OTAN. L’amplification de la pollution et de la pêche intensive suppose évidemment une réflexion commune des Etats sur un usage davantage maîtrisé et raisonné de la mer. 

Dangers et menaces en zone maritime : l’appât du gain

La richesse croissante circulant sur les océans et l’intensification des flux maritimes depuis les années 1980 ne sont pas passées inaperçues des bandes criminelles, bien au contraire. Le 25 mars dernier, le pétrolier danois sous pavillon libérien Monsaja-Reformer est pris d’assaut par des pirates dans les eaux internationales au large des côtes de Sao Tomé-et-Principe et une partie de l’équipage est kidnappée. En témoigne cette dernière attaque en date, les actes de piraterie se multiplient et le Golfe de Guinée, point névralgique pour la navigation commerciale, en est devenu le centre. Profitant de l’immensité des « zones grises », de la réduction notable du nombre des membres d’équipage et la prolifération d’armes bon marché, les pirates se sont professionnalisés. Leur mode opératoire aussi a évolué. Ils sont plus audacieux et s’attaquent désormais à des navires en pleine mer, visant également tankers et plateformes pétrolières.

D’après un rapport des Nations Unies, les bandes criminelles impliquées dans la piraterie parviennent à soutirer chaque année près de 2 milliards de dollars aux navires commerciaux. Face à ce fléau, les États sont contraints de réagir et surtout de coopérer pour maintenir la sécurité du commerce maritime et de leur ZEE. A court terme, les Etats ont misé notamment sur le renforcement des dispositifs de sécurité des bateaux et sur l’appel de la flotte militaire. A plus long terme, réduire sensiblement la piraterie et contrôler les mers requièrent le déploiement de moyens importants, à la fois techniques et humains, le tout dans le cadre d’une coopération entre acteurs étatiques.

ENGLISH

Maritime spaces and strategic passages: what role do they have regarding States?

According to the International Chamber of Commerce’s International Maritime Office, in 2022, one-third of piracy-related accidents occurred in the Singapore Strait alone. Today, maritime piracy no longer targets a certain type of ship. In fact, pleasure craft and commercial and fishing vessels are also affected by piracy and brigandage. Today, two regions are particularly affected: the Gulf of Guinea, particularly at the level of Nigeria, as well as South East Asia, as we have seen with the Singapore Strait. Piracy reflects the current challenges on seas and oceans. The fact that the Singapore Strait is the area most affected by this phenomenon is no accident. The straits are highly strategic spaces for the various actors wishing to take control of seas and oceans, in a gentle or more coercive way. This is why it is possible to note that many States are implementing different policies to maintain the balance of power in their favour in these areas. Egypt is certainly one of the best examples to illustrate this dimension with the Suez Canal, since its nationalization by Nasser in 1956.

What are the various issues surrounding the straits?

The most important straits are the strategic crossings of the world’s largest shipping routes. The Strait of Ormuz illustrates this point. Bordered by Iran and the Sultanate of Oman, the Persian Gulf Strait receives about 30% of the world’s oil. It is now arranged and organized in navigation rails to facilitate the passage. This is a highly strategic area, but also very dangerous from a geopolitical perspective. This explains why the Omani military budget is so high, since it has for several years reached about 10% of the sultanate’s GDP, which ranks it second in the world behind North Korea. On the Iranian side, the strait played an essential role, especially during the war between the country and Iraq from 1980 to 1988. Iran had repeatedly undermined the passage to compel Iraq’s western allies. However, there is once again a risk that the strait will once again be used by Iran to put pressure on its opponents in the context of mounting tension in Tehran and Washington. Moreover, the countries bordering on strategic crossings are far from being the only ones with a dominant presence in these areas. In fact, it is possible to cite the United States which, with the largest navy in the world, has a presence on the entire globe. For example, the Strait of Malacca issues are primarily strategic for them. By the 1970s, the Strait of Malacca was at the heart of their swing strategy, to obtain the possibility of a rapid movement of naval forces between the Pacific, Indian and Middle Eastern oceans.

Straits are a very important economic issue, not only for border countries but also for countries that use them regularly. Moreover, they are points where regional and global geopolitical tensions are reflected. As mentioned with Iran earlier, straits are transportation bottlenecks, leaving a risk of blockade. Some straits being close to the shores, they are much more easily controllable than high seas. Thus, border countries have an important mean of pressure and their actions could have repercussions on the whole world. Finally, these straits close to the shores are then also interior sea spaces for the riparian States. They are therefore important sources of wealth, but also sources of tension for their national sovereignty, which can easily be threatened by the significant foreign presence.

Maritime spaces are between state ownership and international cooperation 

Seas and oceans are no longer just spaces for traffic. They now offer immense potential for exploitation and exploration that whet the appetite of States. The 1982 Convention on the Legal Subdivision of Maritime Spaces signed at Montego Bay which is about governing maritime territory did not extinguish the conquest ambitions of some States. Frustrated by the relatively small surface area of its EEZ, China is asserting itself increasingly more through its strategy of the pearl necklace which raises concerns and challenges, especially from India. The recent discovery of offshore hydrocarbon deposits around the Spratley Archipelago has also aroused lusts in the South China Sea, making the division of the area deeply difficult. Satellite images also showed that Beijing was engaged in intense constructions of artificial islets and wharves on the archipelago, certainly in the hope of securing control of the disputed territory. In his day, the American naval strategist Alfred Mahan had already understood that the domination of the world required the mastery of the seas. Control, surveillance, sovereignty, maritime spaces are conducted in the manner of terrestrial spaces with their legal and physical borders but also with a lot of claims and tensions between stakeholders.  

But this thirst for power must not obscure the coordinated action of many States implemented to guarantee the free movement of goods and monitor oceans, nearly 103 joint exercises were conducted in 2018 by NATO countries. The intensification of pollution and intensive fishing obviously presuppose a common reflection by the States on a more controlled and reasoned use of the sea. 

Marine Hazards and Threats are the Lure of Gain

On the contrary, the growing wealth circulating on oceans and the intensification of maritime flows since the 1980s have not gone unnoticed by criminal gangs. On 25 March, the Liberian-flagged Danish tanker Monsaja-Reformer was raided by pirates in international waters of the coasts of Sao Tome and Principe and part of the crew was kidnapped. As evidenced by this latest attack, acts of piracy are multiplying and the Gulf of Guinea, a hotspot for commercial shipping, has become the heart of this activity. Taking advantage on the vastness of the «grey zones», the significant reduction in the number of crew members and the proliferation of cheap weapons, the pirates have become professionalized. Their M.O.’s also changed. They are more daring and now attack ships in the open sea and target tankers and oil platforms.

According to a United Nations report, criminal gangs involved in piracy can extract nearly $2 billion from commercial ships every year. Faced with this scourge, States are forced to react and above all to cooperate to maintain the security of maritime trade and their EEZ. For example, in the short term, States have bet on the strengthening of the safety devices of ships and on the call of the military fleet. In the longer term, significantly reducing piracy and controlling seas require the deployment of many resources, both technical and human, all within the framework of cooperation between state actors.

Paul Liébard
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