Le changement climatique, la raréfaction des ressources, la multiplication des risques environnementaux et la perte accélérée de biodiversité sont autant de manifestations de l’urgence écologique à laquelle nous faisons face aujourd’hui. Bien que les États aient pris conscience de la nécessité d’opérer une transition écologique, aucun plan précis n’a été établi. La COP27 s’étant déroulée à Charm-el-Cheikh en Égypte en est un parfait exemple. En effet, plusieurs projets ont vu le jour dont la création d’un fonds d’aides pour les pertes et dommages. Toutefois, les modalités précises de son fonctionnement n’ont pas été définies lors de ce sommet et doivent l’être avant la prochaine COP, c’est-à-dire, la COP28 qui se tiendra à Dubaï. Enfin, il n’y a eu aucune avancée significative en termes de lutte contre les causes du réchauffement climatique. C’est ce qu’António Guterres, le secrétaire général de l’ONU, a déploré à l’issue de la 27ème Conférence des Parties.

Le défi des pays du Sud : réussir à concilier respect de l’environnement et développement

Les pays du Sud, autrement dit l’ensemble des pays en développement ou pauvres se retrouvent dans une situation extrêmement délicate. D’une part, ils subissent déjà de lourdes conséquences du réchauffement alors que l’Afrique est à l’origine de moins de 4% du total mondial des émissions de gaz à effet de serre cumulées depuis le début de l’ère industrielle selon la Banque mondiale. Le Nigeria a dû faire face en automne 2022 à des inondations d’une rare intensité qui ont entraîné le décès de 600 personnes et le déplacement de 1,3 million de citoyens. Autre exemple : le Pakistan. Ce pays a en effet subi de très fortes inondations en juillet 2022 dues à la mousson. 86 000 km2, soit 10% de la superficie totale du pays a été inondée, entraînant ainsi le décès de 1300 personnes et blessant plus d’un million de personnes. Ce ne sont pas des cas isolés. De manière générale, les rendements agricoles du maïs ou du blé déclinent progressivement sous l’effet de vagues de chaleur accrues, de périodes de sécheresses intenses et de pluies de plus en plus erratiques. Le pire reste encore à venir avec une potentielle augmentation du nombre de jours dans l’année où la température moyenne dépasserait un seuil jugé létal pour les humains. Selon l’Agence française pour le développement, en Afrique de l’Ouest, le nombre de jours avec une température supérieure à 40,6 degrés pourrait plus que doubler. Ainsi, il passerait d’environ 60 jours par an à une fourchette de 105 à 196 jours d’ici à la fin du siècle.

D’autre part, les pays du Sud se retrouvent face à la difficulté de concilier respect de l’environnement et développement. Malgré les progrès réalisés au cours de ces dernières décennies, l’Afrique, par exemple, concentre encore 60% de l’extrême pauvreté au niveau mondial. Comment prendre en compte la dimension environnementale sans pour autant remettre en question les problématiques économiques, financières et sociales dans leurs stratégies de développement ? Les réponses à cette question ne sont pas simples. Nombreux sont les pays continuant d’exploiter les énergies fossiles qui sont essentielles à leur croissance et facilitent l’accès à de meilleures conditions de vie à pour leur population. 

Une transition juste ?

La crise énergétique provoquée par le conflit russo-ukrainien a fait naître un débat : pourquoi l’Afrique devrait-elle renoncer à l’exploitation de ses énergies fossiles pour répondre aux enjeux de l’urgence climatique alors que beaucoup de pays développés reviennent sur leurs engagements ? Le Royaume-Uni relance la prospection en mer du Nord. L’Allemagne et l’Italie se tournent vers les pays producteurs d’énergies fossiles parmi lesquels ceux du continent africain pour sécuriser leurs approvisionnements énergétiques. En janvier 2022, les quantités de gaz naturel liquéfié importées par l’UE provenant du Qatar, des Etats-Unis, d’Égypte et d’Afrique de l’Ouest sont inédites et ont permis d’assurer l’approvisionnement en gaz pour l’hiver. Ils pourraient même importer 50 milliards de m3 supplémentaires chaque année. Le Parlement européen a également décidé le 6 juillet 2022 d’intégrer le gaz dans la taxonomie, c’est-à-dire, l’ajouter à sa liste d’énergies durables qui bénéficieront d’investissements communautaires. Dans ce contexte, les dirigeants des pays du sud estiment qu’il est légitime qu’ils puissent continuer à exploiter leurs énergies fossiles pour à la fois améliorer leur compétitivité économique et fournir l’électricité à leurs habitants. Les pays du sud paient déjà cher les conséquences du réchauffement climatique dont ils ne portent pas l’entière responsabilité et ont donc voulu faire de la transition énergétique juste, leur cheval de bataille pour la COP27.

L’aide des pays du Nord : la condition sine qua non à la réussite de cette transition

« Nous sommes très engagés dans l’action climatique. Mais le financement est un problème essentiel, et déterminera notre capacité à tenir nos engagements » a déclaré la ministre des Finances indonésienne lors d’une intervention à la COP26. Cela ne concerne pas seulement l’Indonésie mais bien tous les pays du Sud. Les clés de la réussite de cette transition écologique sont un accompagnement concret de la part des États les plus développés disposant de moyens avancés pour répondre aux problèmes climatiques ainsi que l’application du principe des responsabilités communes mais différenciées. Pour les États, cela impliquerait une participation aux réparations qui soit proportionnelle à leur part de responsabilité dans la dégradation de l’environnement et le réchauffement climatique. 

Après d’âpres négociations et avoir essuyé plusieurs refus, les pays souffrant des conséquences du changement climatique depuis 30 ans ont enfin obtenu lors de la COP27 le financement des « pertes et dommages » par les pays développés. Cela se traduit entre autres par la création d’un fonds ; par la promesse du versement de 100 milliards de dollars entre 2023 et 2024 qui avait été actée lors de la COP21 en 2015 ; et enfin par l’idée d’une réforme du système financier international. À noter qu’un partenariat a également été conclu entre l’Indonésie et plusieurs pays menés par le Japon et les Etats-Unis afin de soutenir la transition énergétique de l’archipel à travers un financement initial de 20 milliards de dollars. Sans ces aides de la part des pays développés, les pays en voie de développement seraient dans l’incapacité de tenir leurs engagements dans ce domaine car leur priorité est l’accès de leur population aux produits de première nécessité : à l’électricité, à l’eau potable, à la nourriture, et au logement. Cette aide est bénéfique à tous car les efforts fournis à l’échelle mondiale pourraient partir en fumée si quelques États continuaient d’exploiter à grande échelle les énergies fossiles pour aboutir à un développement.

Une solution multiscalaire et multidimensionnelle à un problème global

Face à l’urgence climatique, d’autres initiatives voient le jour. La COP26, s’étant tenue à Glasgow en 2021, a notamment permis le lancement d’un plan d’accès aux nouvelles technologies nommé « The Breakthrough Agenda », ayant pour but de fournir une technologie « propre » et surtout « abordable » « à travers le monde » d’ici à 2030. Il a été initié par le Royaume-Uni, État à la tête de la présidence de la COP cette année-là. Celui-ci a été rejoint par plus de quarante dirigeants de gouvernements issus de pays développées, de pays en voie de développement et certains des pays les plus vulnérables au changement climatique. L’idée est de faciliter l’accès à des technologies telles que l’hydrogène vert ou les véhicules routiers à zéro émission par le biais de subventions dans le but de réellement atteindre la neutralité carbone. Le Royaume-Uni l’a bien compris, l’entraide est indispensable à la réussite de cette transition. Dans ce contexte d’urgence climatique, on ne peut pas prendre le risque qu’une poignée d’États réduise à néant les efforts réalisés par les autres du fait d’un manque de moyens financiers. 

De manière plus générale, les partenariats interétatiques avec des approches systémiques pourraient devenir une référence en matière de réponse à l’impératif de la transition écologique. L’Europe et l’Afrique l’ont bien compris. En effet, dans le cadre des objectifs de décarbonation par exemple, ils ont développé/mis en place un partenariat afin de rendre les espaces urbains neutres pour le climat. C’est la ville de Marseille qui a pris contact avec des villes africaines fortement investies dans la décarbonation telles que Tunis dans une optique d’influence mutuelle. Le projet ACE Partners en est un parfait exemple. Les incubateurs ont accès à un réseau très performant où ils ont la possibilité de conclure des partenariats et échanger avec d’autres chercheurs. Ceci a permis de favoriser la mise en place de réseaux d’hubs d’innovation entre l’Afrique et l’Europe.

Conclusion

Pour résumer, une transition écologique juste pour les pays du Sud, c’est une transition répondant de manière intégrale aux enjeux sociaux, économiques, et environnementaux tout en adressant de manière commune la transition des pays en voie de développement vers des modèles de développement compatibles avec leurs impératifs socio-économiques. In fine, cette transition écologique juste ne pourra se faire que si elle devient une révolution technologique et sociétale profonde et multidimensionnelle. Les dés sont jetés, mais la partie reste à gagner.

Flora Jezequel
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