1er Mars 2023, Pékin, deux hommes se rencontrent et annoncent leur vision commune pour la sécurité internationale. Ces deux hommes, ce sont le président de la République du Belarus, Alexandre Loukachenko et l’actuel président de la République populaire de Chine et secrétaire général du Parti communiste chinois, Xi Jinping. Cette visite semble d’une importance cruciale, car la Biélorussie, premier allié de la Russie, soutient le « plan de paix » de la Chine. Cette approbation, des liens économiques et stratégiques plus forts entre Pékin et Minsk et un soutien militaire ambigu à l’opération spéciale de Poutine en Ukraine interroge les relations entre les deux anciennes Républiques Soviétiques.

La Biélorussie, soutien de la première heure de la Russie …

Le 24 février 2022, la Russie déclenche son « opération spéciale » en Ukraine, les colonnes de chars et les missiles tombant sur Kiev ne partent pas du territoire de la Fédération de Russie ou des territoires ukrainiens occupés par les séparatistes mais bien de la Biélorussie. Ici sans intervenir directement dans le conflit ukrainien, nous comprenons alors clairement que Loukachenko est engagé aux côtés du grand frère russe. Mais pourquoi s’engager avec la Russie dans cette guerre ? 

Ce soutien à l’égard de Poutine peut s’expliquer par plusieurs facteurs. En effet, la Biélorussie est un allié de Poutine depuis de nombreuses années. Loukachenko et Poutine partagent en effet la même vision d’un Occident décadent dont il faut se prémunir. Ainsi, l’idée de remplacer un gouvernement pro-européen en Ukraine, voisine de la Biélorussie, peut faire sens à Minsk. Ensuite, il faut comprendre que même si la Biélorussie ne souhaitait pas s’impliquer dans ce conflit, elle n’était pas vraiment maître de sa décision. La Russie, est plus ou moins le seul allié du gouvernement autoritaire de Minsk plus isolé que jamais des Européens depuis la réélection contestée d’Alexandre Loukachenko en août 2020 : en effet, des troubles liés à la réélection vraisemblablement truquée de Loukachenko à la tête du pays ont éclaté et des sanctions ont été prises par l’Union européenne et les Etats-Unis contre le chef d’État et son régime. Celui qui est considéré comme le dernier dictateur d’Europe par l’Occident n’a par exemple pas le droit de séjourner dans un pays de l’Union ou encore de pénétrer sur le territoire américain tandis que des sanctions économiques ont été prononcées à l’encontre de son État. La Russie en lui apportant son soutien militaire, diplomatique et économique peut donc faire pression sur la Biélorussie, qui est devenu ipso facto un État vassal du Kremlin. 

… qui craint une annexion de la Biélorussie par la Russie …

Cet état de vassalisation qui permet au régime biélorusse de survivre provoque toutefois des sueurs froides dans la capitale biélorusse. 

Le pays refuse en effet de s’engager dans une guerre totale en Ukraine ce qui fait craindre une hypothétique intervention russe en Biélorussie. 

En premier lieu, la Biélorussie n’a pas les moyens de s’engager militairement dans une guerre de haute intensité. Son armée, composée de 48 000 hommes uniquement (dont 19 000 sont aux services communs) ne semble pas être un atout essentiel pour l’invasion en Ukraine d’autant plus qu’elle est vieillissante. En effet, elle repose essentiellement sur du matériel soviétique comme les autres pays de la région, mais celui-ci est désormais totalement obsolète puisque la Biélorussie n’a pas investi dans son armée contrairement au grand frère russe.

Ensuite, les conditions intérieures du pays expliquent également la réticence de Loukachenko à s’engager dans la guerre. Depuis août 2020 et la réélection contestée de Loukachenko, la marge de manœuvre du gouvernement est pour le moins limitée. Après les élections, des manifestations visant à faire partir Loukachenko et ses hommes ont secoué le pays et ont obligé les forces de l’ordre à intervenir pour rétablir l’ordre public en réprimant de manière violente les manifestants. Même si le pays est désormais sous contrôle, le feu couve toujours et le gouvernement ne peut pas prendre le risque de raviver les braises de la révolte en envoyant au front des jeunes hommes alors que le pays est majoritairement contre la guerre (79% des Biélorusses considèrent comme inacceptables la mort de soldats biélorusses dans le conflit russo-ukrainien selon un sondage réalisé par Chatham House). 

Tous ces éléments expliquent l’engagement extrêmement prudent de la Biélorussie dans la guerre et plus encore la volonté de Minsk de sortir autant que possible de l’orbite moscovite.

… et qui cherche à diversifier ses alliances

La visite de Loukachenko à Pékin intervient donc dans ce contexte de diversification des alliances de la dernière dictature européenne. Le locataire de la Cité Impériale apparait alors comme une alternative attrayante à l’Ours russe. En effet, Xi Jinping est à la tête d’une puissance économique importante capable d’investir sur le territoire biélorusse, son pays n’étant pas particulièrement regardant en ce qui concerne les droits de l’Homme. Enfin, la République Populaire de Chine semble être le candidat idéal pour s’opposer à l’Occident tout en faisant de l’ombre au pouvoir du Kremlin dans l’ex-espace soviétique.

Par cette volonté de diversification, la Biélorussie cherche donc à s’éloigner et ainsi se protéger d’un grand frère russe potentiellement tyrannique. Si cet éloignement se réalise actuellement, c’est en partie à cause du fait que la Russie n’a plus les mêmes capacités de réaction qu’il y a un an, ce qui permet de tenter de prendre une autre voie sans risquer un changement de régime ou une annexion. 

Un Poutine qui semble affaibli en interne et à l’international

Poutine est aujourd’hui le leader d’une grande puissance isolée et embourbée dans une guerre qui ne semble pouvoir être gagnée. Cet affaiblissement est bien entendu visible sur la scène internationale puisque la Russie est désormais véritablement déconnectée de l’Europe et de Swift, mais aussi sur la scène nationale. 

Désormais, Poutine fait l’objet de critiques dans son propre camp. Son discours sur l’état de la Nation devant le Parlement est un bon moyen de connaître les forces en présence côté russe. Deux absences notables posent question : l’absence du chef du groupe paramilitaire Wagner, Evgueni Prigojine et celle du chef de la République tchétchène, Ramzan Kadyrov. Ces deux hommes, qui figuraient parmi les principaux vassaux de Poutine ont désormais des positions bien différentes. A la tête du groupe paramilitaire Wagner, Prigojine se permet désormais de critiquer le fonctionnement des armées russes et concurrence les généraux de Poutine publiquement, vantant les mérites de son armée, la seule capable de progresser et d’apporter des résultats sur le terrain ukrainien. Cela semblait d’ailleurs se faire sans problème majeur au départ, puisque son groupe semble être indispensable à l’effort de guerre russe en Ukraine. Il s’agit cependant de noter que cette action du dirigeant de Wagner, a pu lui valoir une diminution de l’effort russe en matière de fourniture d’armes au groupe, ce qui a pu mettre Wagner en difficulté sur le terrain et provoquer l’ire de celui qui est considéré comme le Cuisinier du Kremlin. Les tensions entre Prigojine et Poutine sont ainsi encore extrêmement tendues aujourd’hui.

Quant au leader Tchétchéne et fidèle vassal, Ramzan Kadyrov, ce dernier qui se targuait au début de la guerre en Ukraine de pouvoir mettre à disposition des frères russes les forces spéciales de son pays, qu’il décrivait alors comme l’une des forces les plus puissantes au monde, aurait été victime d’une tentative d’empoisonnement. Pour le truculent leader tchétchène, qui doit tout à Poutine, la débâcle serait totale sur le terrain militaire car ses forces auraient été dépassées par les soldats ukrainiens dans la région de Kherson notamment, se limitant désormais à de la simple formation des militaires des régions séparatistes ukrainiennes. L’affaiblissement de son importance stratégique et son empoisonnement expliquent donc en partie son absence lors du discours de Poutine à la Douma. Le soutien inconditionnel de Poutine au leader techétchène pourrait par ailleurs finir par avoir des limites : récemment, le locataire du Kremlin a reçu à Moscou le fils de l’actuel dirigeant tchétchène pour un entretien privé, ce qui ne peut que rappeler la manière dont Ramzan avait lui-même été adoubé après le décès de son père, Akhmad. Alors que des tensions apparaissent au grand jour avec ses alliés, le Kremlin ne peut pas se permettre de perdre des alliés tenant des territoires instables qui pourraient se rebeller et compliquer d’autant plus la guerre en Ukraine. 

Conclusion

In fine, nous pouvons donc dire que la Biélorussie reste un soutien à la Russie, néanmoins ce soutien est plus ou moins contraint ce qui explique les volontés de diversifications des alliances. Cette volonté biélorusse n’est pas un cas isolé dans l’ex-espace soviétique, mais plutôt un des signes d’un mouvement de fond puisque d’autres pays font le choix de se rapprocher de Pékin comme le Kazakhstan. Cette dynamique est aujourd’hui possible puisque l’ogre russe n’a plus les griffes aussi acérées que par le passé, ce qui permet à ses voisins et vassaux de tenter une sortie discrète et modérée des tentacules moscovites héritées de l’URSS. 

// ENGLISH //

Belarus is in an in-between position about its Russian brother: should it support him or gain independence?

On the 1st of March 2023, in Pekin, two men met and announced their common vision about international security. Those men were the president of the Belarusian Republic, Alexander Lukashenko, and Xi Jinping, the current president of People’s Republic of China who is also the general secretary of the Chinese Communist Party. This visit seems critically important since Belarus, Russia’s first ally, supports China’s “Peace Plan”. The approval of stronger economic and strategic ties between Pekin and Minsk and the ambiguous military support to Putin’s special operation in Ukraine question the relations between the two old soviet republics. 

Belarus is Russia’s first hour support

On the 24th of February 2022, Russia launched its “special operation” in Ukraine. Tank columns and missiles which were hitting Kiev did not come from the Russian Federation nor from Ukrainian territories occupied by separatists. They were coming from Belarus. There was no direct intervention in the Ukrainian conflict. It remains clear that Lukashenko is committed to his big Russian brother. But why would he commit with Russia in this war?

This support towards Putin can be explained with multiple factors. In fact, for many years, Belarus is one of Putin’s allies. Lukashenko and Putin do share the same vision of a decadent West against which they must protect themselves. Thus, the idea of replacing a pro-European government in Ukraine, a neighboring country of Belarus, can make sense in Minsk. Then, it must be understood that even if Belarus did not wish to be part of this conflict, it did not have that much control over its decision. Russia is roughly the only ally of the authoritarian government of Minsk. Since Alexander Lukashenko’s contested reelection in August 2020, government in Minsk is more isolated than ever from Europeans. In fact, Lukashenko’s reelection likely to have been rigged has generated disorders. Sanctions have been taken by the European Union and the United States against the head of state and his political regime. The one considered by the West as the last dictatorship of Europe is notably prohibited from staying in a country of the Union or to enter the American territory when economic sanctions have been imposed to his state. By providing its military, diplomatic and economic support to Belarus, Russia can put pressure on Belarus which has become ipso facto a vassal state of the Kremlin.

However, Belarus fears to be annexed by Russia

This situation of subjugation enabling Belarus’ regime to survive causes cold sweats in the Belarusian capital. 

In fact, the country refuses to engage in a total war in Ukraine, what raises fears for a potential Russian intervention in Belarus.

First, Belarus cannot afford a military commitment in a high intensity war. Its army is only constituted of 48 000 men (19 000 of them are working in common services). This does not seem to be an essential asset for the invasion of Ukraine, especially since Belarus’ army is aging. In fact, the Belarusian army essentially relies on Soviet equipment like the other countries of the area. However, this equipment is now totally obsolete since Belarus did not invest in its army unlike its big Russian brother. 

Then, the country’s internal conditions explain partly Lukashenko’s reluctance to commit himself to a war. Since August 2020 and the contested reelection of Lukashenko, government’s flexibility is quite limited. After the elections, demonstrations aiming to make leave Lukashenko and his men shook the country and forced law enforcement to take action to restore public order by violently repressing demonstrators. Even if the country is now under control, fires are still smoldering. Government cannot take the risk of rekindling the embers of the rebellion by sending young men to the front when the country is mostly against war (according to a survey conducted by Chatham House, 79% of Belarusians consider unacceptable the death of Belarusian soldiers due to the Russia-Ukraine conflict).

All those elements explain the extremely prudent commitment of Belarus in the war, and more, Minsk’s desire to get out of Moscow’s orbit as much as possible.

Belarus is looking to diversify its alliance

Lukashenko’s visit at Pekin occurs in a context of diversifying the alliances of the last European dictatorship. The tenant of the imperial city appears to be an appealing alternative for the Russian bear. In fact, Xi Jinping is at the head of a major economic power which can invest in the Belarusian territory. His country does not feel particularly concerned by Human Rights. Finally, People’s Republic of China seems to be the ideal candidate to stand against the West while shading the power of Kremlin in the post-Soviet area. 

Having this will of diversification, Belarus is looking to walk away and protect itself from a potentially tyrannical big Russian brother. If this distance is currently happening, it is partly because Russia does not have the same response capacities than it had a year ago. This enables Belarus to take another direction without taking any risk of change of regime nor an annexation.

Putin seems weakened both at an internal and international level

 Today, Putin is the leader of a high power which is isolated and bogged down in what seems to be an unwinnable war. For sure, this weakening is visible on the international scene since Russia is now truly disconnected from both Europe and Swift, but also on the national scene. 

Putin now is subject to criticism from his own side. His speech about the State of the Nation in front of the Parliament is a good way to know about the forces involved on Russia’s side. Two notable absences question: the one of Evgueni Prigojine, the leader of Wagner’s paramilitary group and the other one of Ramzan Kadyrov, the head of the Chechen Republic. Those two men were among Putin’s senior retainers. Now, they are given very different status. At the head of Wagner’s paramilitary group, Prigojine allows himself to criticize how the Russian armies work and publicly competes with Putin’s commanders. Thus, he sings the praises of his army, the only one able to progress and bring results on the Ukrainian territory. At the beginning, that seemed to go well since his group is likely to be indispensable to Russia’s war effort in Ukraine. However, it is to note that this action of the leader Wagner might have cost a decrease of the Russian war effort regarding the supply of arms to the group. On the field, this might have put Wagner in difficulty and cause ire to the one considered as the Kremlin’s Cooker. Thus, today, tensions between Prigojine and Putin remain extremely strained. 

And about Ramzan Kadyrov, the Chechen leader and loyal vassal would have been the victim of an attempt to poison. At the beginning of the Ukrainian war, the latter was boasting about his capacity to make available special forces from his country to Russian brothers that he was describing as one of the most powerful powers of the world. For the truculent Chechen leader who owes everything to Putin, it would be a total collapse on the military field. His forces would have been surpassed by Ukrainian soldiers, notably in the region of Kherson. Now, he would only focus on training soldiers in Ukrainian separatist regions.  The weakening of his strategic importance and him being poisoned partly explain his absence at Putin’s speech in Duma. Besides, Putin’s unconditional support to the Chechen leader could encounter limits: recently, the tenant of Kremlin received the current Chechen leader’s son at Moscow for a private meeting. This can only recall the way Ramzan had been knighted himself after his father Akhmad died. While tensions with its allies come to lights, the Kremlin cannot afford the loss of allies delivering incoherent speeches and who might rebel and make the Ukrainian war even more complicated.

Conclusion

In fine, we can say that Belarus remains a support for Russia. Nevertheless, this support is constrained which explains the desire of diversifying alliances. This Belarusian wish is not an isolated case in the post-Soviet area but is rather one of the signs of a groundswell. In fact, other countries choose to get closer to Pekin like Kazakhstan. Today, this dynamic might take place considering that the Russian ogre do not have as sharp claws as it had in the past. This enables its neighbors and retainers to try to get out quietly and moderately from Moscow’s tentacles inherited from USSR. 

Lucas Villard
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