8 février 2023. 22h00. Aéroport d’Orly, Paris. Cela fait désormais quelques minutes que Volodymyr Zelensky, le président d’un pays en guerre, l’Ukraine, a été accueilli sur le sol français par le Ministre des Armées, Sébastien Lecornu. Au programme de cette visite expresse dans la Ville Lumière pour le dirigeant ukrainien, un dîner au sommet avec les dirigeants des deux premières puissances de l’Union européenne ; le chancelier allemand, Olaf Scholz et l’hôte du soir, le Président de la République française, Emmanuel Macron. Ce dîner conclut une journée intense de négociations où le dirigeant ukrainien aura notamment pu faire la rencontre du souverain britannique, Charles III et de son Premier Ministre, Rishi Sunak. Pour son deuxième déplacement à l’étranger depuis l’invasion de son pays par la Russie, le dirigeant ukrainien a demandé une augmentation de l’aide occidentale aux Parlements britannique et européen alors que son armée traverse une période difficile sur le champ militaire face à une puissance russe renforcée par les conscrits venus gonfler les rangs.

Or, cette augmentation de l’aide militaire occidentale fait débat en Europe et aux Etats-Unis du fait des évènements et des conséquences que de telles aides pourraient avoir pour la suite du conflit. Cette actualité brûlante donne ainsi la possiblité de faire un tour d’horizon des enjeux autour de cette visite plus que cruciale pour le futur du conflit.

Une situation difficile sur le front qui pousse à de nouvelles demandes ukrainiennes

Au cours des derniers mois, après la percée des armées russes et la contre-offensive ukrainienne, la situation militaire en Ukraine s’est stabilisée et les armées russes sont « en posture offensive » sur tout le front Est. Les combats sont particulièrement intenses dans les villes de Bakhmout ou Soledar et le nombre de villes martyrs (Marioupol, Kharkiv) ne fait qu’augmenter. Cette situation difficile, accentuée par les nouveaux renforts russes, pousse le président ukrainien à renouveler ses demandes de matériels de soutien aux Occidentaux. Ainsi, son déplacement en Europe était avant tout l’occasion de demander à ses alliés d’augmenter leur aide en fournissant à l’Ukraine du matériel de plus en plus lourd comme des chars ou des avions de chasse.

Un soutien pour sa défense ou un moyen de mener une offensive ?

Or, derrière ces demandes répétées et toujours plus importantes de la part du Président ukrainien, se trouve un enjeu majeur : la question du but de la guerre qui oppose la Russie et l’Ukraine. En effet, le passé a pu permettre d’apprendre une chose. Pour qu’une guerre soit menée avec succès et que l’on puisse arriver à son terme, il faut que celle-ci ait un but très précis et que les objectifs des deux camps puissent à un moment converger dans un même sens, celui de la paix. Or, on voit bien que dans le cas de la guerre en Ukraine, ce sont en réalité deux positions irréconciliables qui s’affrontent.

D’un côté, la Russie souhaite prendre l’Ukraine pour y installer un gouvernement fantoche et ainsi conserver la fonction d’Etat tampon que l’Ukraine possédait. On peut se questionner sur le véritable fondement de l’objectif initial car, en déclarant la guerre à l’Ukraine, la Russie n’a pas réussi à prendre le contrôle du pays mais elle a également réussi à créer 1200kms de frontières communes avec l’OTAN depuis que la Finlande a décidé de rejoindre le traité de défense Nord Atlantique. Pour en revenir au cas de l’Ukraine, l’option d’une défaite de Kiev au profit de Moscou est absolument inenvisageable pour l’OTAN et en particulier pour les Etats-Unis car cela reviendrait à concéder une défaite plus que symbolique d’un point de vue militaire mais également sur le plan politique : ce serait également une défaite de l’industrie de l’armement américain, ce qui pourrait avoir des conséquences économiques sur le marché de l’armement américain, avec le risque d’un désintérêt des clients pour des armes qui ont perdu un conflit majeur. En effet, une défaite de l’Ukraine, et ce malgré la grande implication américaine dans le conflit, serait un message extrêmement négatif pour les Américains dans le cadre de la rivalité qui les oppose à la Chine.

De son côté, d’après les déclarations récentes de son président, l’Ukraine souhaite reprendre les territoires perdus en 2014 : en effet, le régime de Kiev a posé la récupération de l’ensemble de son territoire  comme préalable à toute négociation de paix avec Moscou : par cette expression d’ensemble du territoire, il faut comprendre les territoires envahis depuis février 2022 mais également les territoire annexé de Crimée en 2014.

Cette volonté de Kiev de reprendre l’entièreté de son territoire semble démesurée et le risque d’enlisement est extrêmement important sur le front. Avec cette volonté de Zelensky de mener une guerre totale en s’armant de manière de plus en plus lourde, c’est la question du but de guerre qui se pose. Ainsi, un dilemme se pose pour les alliés de Zelensky ? D’un côté, soutenir la volonté ukrainienne de reconquête ou, de l’autre, renouveler le simple engagement de défense du territoire ukrainien dans les proportions de celui de février 2022. Derrière ce dilemme, se pose la question de savoir si l’on conserve l’objectif initial occidental, à savoir soutenir la guerre de défense du territoire ukrainien, ou si cet objectif doit évoluer pour devenir une guerre offensive, de conquête d’un territoire considéré comme russe depuis son annexion. La livraison d’un certain type d’armes peut être un signe de la décision prise et remettre en question l’implication des puissances occidentales dans le conflit. 

Néanmoins, malgré toutes les questions symboliques et politiques qui se posent autour de ces potentielles livraisons d’armes lourdes aux capacités offensives, celle de l’efficacité réelle doit aussi être abordée. En effet, malgré des matériels puissants, leur sophistication et leur disparité pourraient entraîner une efficacité opérationnelle faible, et ce àmoyen terme du fait d’un manque d’entraînement, d’infrastructures dédiés aux armes occidentales, dans un pays ou le matériel de conception soviétique est la norme. 

La question de la co-belligérance

Derrière la livraison d’armes et le type d’armes que l’on choisit de livrer se trouve alors la question de l’implication des puissances occidentales. En effet, si du matériel occidental d’attaque est livré à l’Ukraine et que le régime de Kiev frappe le territoire russe avec ce matériel, la Russie pourrait alors juger les Occidentaux comme bellicistes à leur égard : cette idée implique l’ancien concept de co-belligérance. Ainsi, de par l’usage de matériel occidental contre le territoire russe, Moscou pourrait déclarer la guerre aux pays producteurs. C’est notamment pour empêcher que le territoire russe soit atteint et donc d’accentuer les tensions que le matériel fourni à l’armée ukrainienne depuis le début de la guerre est bridé par les pays fournisseurs. Ainsi, on peut se questionner sur la livraison de chars et d’avions de chasse par les Occidentaux du fait du risque important d’engrenage entre l’OTAN et la Russie que l’utilisation de tels matériels militaires comporte.

Les différents scenarii : le risque d’un conflit long

Ainsi, la défaite des deux camps paraissant utopique sur le court terme, le scénario le plus probable est certainement celui énoncé par l’ancien ambassadeur de France aux EUA, Gérard Araud, à savoir celui d’une guerre longue et d’un conflit gelé. Cette situation qui pourrait déboucher sur une frontière en tension permanente à l’image de ce qu’est la frontière entre les deux Corées aujourd’hui n’est enviable pour personne. La Chine, qui est le principal allié de circonstance de Moscou, ne voit que d’un très mauvais œil la possibilité d’un conflit long du fait des risques de perturbation du système mondial que ce genre d’évènement sous-entend. C’est dans l’optique de voir le conflit s’achever le plus rapidement possible que le chef de la diplomatie chinoise, Wang Yi, a renouvelé, le 15 février, en compagnie du Président de la République, « l’objectif de contribuer à la paix en Ukraine ».

Conclusion

Ainsi, derrière la réception à l’Elysée du président ukrainien et la remise du titre de Grand’Croix de la Légion d’honneur, mais également derrière la course aux différentes aides militaires et économiques accordées aux Ukrainiens que se livrent les pays occidentaux alliés de Kiev ; chaque pays souhaitant être le pays qui participe le plus, qui soutient le plus les héros ukrainiens de la Liberté ; il s’agit également d’une question de symbole sur le long terme impliquant de futurs marchés industriels. En effet, chaque pays cherche à se placer dans le camp des vainqueurs : pour ces Etats, se placer dans les alliés de Kiev pendant la guerre signifierait qu’une fois la paix revenue, leurs entreprises industrielles seraient en très bonne position pour décrocher les futurs marchés liés à la reconstruction de l’Ukraine. Mais encore faut-il pour cela que les balles cessent de siffler dans un pays où la guerre fait rage depuis près de neuf ans déjà…

// ENGLISH //

Zelensky in Europe: what are the reasons of his visit and what are the consequences on the conflict?

Everything began on the 8th of February 2023, at 10p.m., at Orly Airport, in Paris. It had been a few minutes since Volodymyr Zelensky who is the president of a country at war, Ukraine, had been welcomed by the Minister of the Armed Forces Sébastien Lecornu on French soil. For the Ukrainian leader, the express visit in the City of Lights involved a diner at the summit with the leaders of the two first powers of the European Union; the German Chancellor, Olaf Scholz and the host of the latter evening, the President of the French Republic, Emmanuel Macron. This diner was concluding an intense day of negotiations during which the Ukrainian leader had been able to meet the British sovereign, Charles III and his Prime Minister, Rishi Sunak. For his second travel abroad since the invasion of his country by Russia, the Ukrainian leader asked to the UK and the EU Parliaments for an increase in the Westerners’ assistance. Ukraine’s army gets through a difficult time on the military field to face a Russian power enhanced by conscripts who have joined the ranks. 

However, this increase of the Western military assistance is debated among Europe and the United States. The events and the consequences that such aids could have for the continuation of the conflict must be considered. This burning issue enables us to provide an overview of the issues surrounding this visit of crucial importance for the future of the conflict. 

A difficult situation on the military front that leads Ukraine to make new requests

During the last few months, after the breakthrough of the Russian armies and the Ukrainian counter-offensive, Ukraine’s military situation has stabilized, and Russian armies are adopting an “offensive posture” on the whole Eastern military front. Fights are particularly heavy in the cities of Bakhmout or Soledar, and the number of martyr towns (Marioupol, Kharkiv) keeps increasing. This difficult situation is made worse by the new Russian reinforcements. This leads the Ukrainian president to reiterate his requests to Western countries in terms of support material. Thus, his trip to Europe was above all an opportunity for him to ask his allies to increase their assistance by providing Ukraine with an increasingly heavy material such as tanks or fighter aircrafts. 

Is it a way for Ukraine to support its defense or is it a way to conduct an offensive?

Behind these repeated and ever-increasing requests from Ukraine’s President is a major issue: it is about the aim of the war opposing Russia and Ukraine. In fact, past has highlighted one thing. For a war to be successfully led and come to an end, its purpose must be very specific and at a moment, the objectives of both sides must converge in the same direction, peace direction. However, the case of the Ukrainian war demonstrates that two irreconcilable positions confront each other. 

On one side, Russia aspires to annex Ukraine to set up a puppet government and retain the buffer state function Ukraine had. We can wonder about the initial goal real basis. By declaring war to Ukraine, Russia not only did not manage in taking control of the country. It also succeeded in creating 1200kms common borders with NATO since Finland chose to join the North Atlantic Defense Treaty. To get back to Ukraine, Kiev defeating against Moscow is not an option for NATO, especially for the United States. This would amount to accepting a more than symbolic defeat on both military and political perspective: this would also be a defeat for the American arms industry. Thus, this could affect economically the American arms industry, involving a risk of declining interest from customers about arms which would have lost a major conflict. In fact, despite the United States’ great involvement in the conflict, a defeat of Ukraine would send an extremely negative message about Americans as part of the rivalry with China. 

On its side, after the recent statements of its president, Ukraine aims to regain the annexed lost territories of Crimea in 2014. 

Kiev’s will to regain its whole territory seems disproportionate and the risk of getting stuck is extremely strong on the front.  With Zelensky’s plan of waging a total war by arming the country in an increasingly heavy way, the question of the point of the war arises. So, does a dilemma arise for Zelensky’s allies? On the one hand, to support the Ukrainian desire to regain its territory or, on the other hand, only renewing their undertaking to defend Ukraine’s territory as they did in February 2022. Behind this dilemma stands the question of knowing if the initial aim of Westerners consisting in supporting the war of defending the Ukrainian territory should be pursued. The other option consists in making this objective evolve to make it an offensive war, a fight for a territory considered to be Russian since its annexation. The delivery of a certain type of weapons can be a sign of the decision taken and can question Western powers’ involvement in the conflict. Nevertheless, despite all the symbolic and political issues raised about these potential heavy weapons deliveries having offensive capabilities, the one about real efficiency must also be addressed. In fact, even powerful equipment, their sophistication, and their disparity could generate a weak operational efficiency. This would be the result of a lack of training and, a lack of infrastructures dedicated to Western weapons in a country where Soviet-designed equipment is the norm. 

What about co-belligerancy?

Behind the delivery of weapons and the type of weapons chosen to be delivered arises the question of Western countries’ involvement. In fact, if Western attack equipment is delivered to Ukraine and if Kiev’s regime struck the Russian territory, Russia might consider Westerners as warmongers threatening the country: this idea refers to the ancient concept of co-belligerency. Thus, by using Western equipment against Russia’s lands, Moscow might declare war to producing countries. This is also a way to prevent the Russian territory from being affected because it would heighten tensions. Therefore, the equipment provided to the Ukrainian army since the beginning of the war is restricted by countries supplying those weapons. Thus, we can question ourselves about the delivery of tanks and fighter aircrafts by Westerners. Using this military equipment could be one of the elements damaging the relationship between NATO and Russia. This is a significant risk that must be considered. 

There are different scenarios: it could be a long conflict

Thus, a defeat on both sides might seem utopic on the short term. The most probable scenario might be the one that has been stated by France’s former ambassador of the United States of America (USA), Gérard Araud. According to him, it. would appear to become a long war with a frozen conflict. This situation could lead to continuous tensions at the border. As the example of the two Koreas shows it, it would be enviable for no one. China who is Moscow’s main ally only look unfavorably the possibility of a long conflict regarding the disruption risks of the global system that this kind of events implies. To end this conflict as soon as possible, the head of Chinese diplomacy, Wang Yi, renewed on the 15th of February and in the presence of the President of the Republic, “the objective of contributing to peace in Ukraine”. 

Conclusion

Therefore, we must consider the reception of the Ukrainian president at the Elysée Palace and the presentation of the Grand’Croix title of the Legion of Honor. Similarly, requirements for various military and economic assistance granted to Ukrainians from Westerners allies of Kiev must be considered. Each country wishes to participate the most, wants to be the most supportive of Ukrainian heroes for Freedom. It is also a question of long-term symbolism involving future industrial markets. In fact, each country is looking to support the winning side. For these states, to be part of Kiev’s allies during the war would mean that once peace returned, their industrial enterprises would be in a strong position to get future contracts related to Ukraine’s reconstruction. But to achieve this goal, the bullets need to stop whistling in a country where war has been raging for almost nine years… 

Lucas Villard
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