2022 fut l’année d’un triste record pour l’Afrique du Sud. Avec l’équivalent de 200 jours sans électricité durant l’année, les coupures de courant incessantes ont plombé le quotidien des Sud-Africains, particuliers et entreprises compris. A Johannesburg, les coupures ont parfois plongé la ville dans le noir pendant près de 12h par jour, forçant certaines entreprises comme KFC à mettre la clé sous la porte. Un cauchemar qui n’est nullement passager et susceptible de s’arrêter en 2023. Les pannes répétées des centrales à charbon vétustes du pays, la gestion calamiteuse de l’entreprise publique Eskom, la corruption endémique sont autant de problèmes majeurs qui expliquent cette crise énergétique historique : un paradoxe pour le pays le plus industrialisé du continent africain. Classée en 2015 au deuxième rang des pays africains après le Nigéria, l’Afrique du Sud dispose en effet d’atouts indéniables. Plaque tournante des échanges pour toute l’Afrique australe et centrale via son réseau de transport performant, poids lourd de la diplomatie, le pays dirigé par Cyril Ramaphosa compte encore à l’échelle mondiale. Mais 30 ans après la fin de l’apartheid, la nation arc-en-ciel est toujours poursuivie par ses vieux démons, la question sociale restant un sujet brûlant dans le pays. Sans électricité, minée par des inégalités sociales persistantes, proche de perdre son rang économique au dépend de l’Égypte, à quoi l’Afrique du Sud peut-elle encore prétendre en Afrique et dans le monde ?

Une situation politique fragile, marquée par la corruption

Les « délestages » dont parle l’entreprise publique d’électricité sud-africaine Eskom, ne sont que le miroir de son inefficacité. En effet, il s’agit bien de coupures d’électricité localisées et temporaires, afin de protéger un réseau dépassé par une demande trop importante. La situation d’Eskom aujourd’hui est la conséquence de plusieurs années de mauvaise gestion, de corruption et de sabotage. Cette situation intolérable pour les Sud-africains, qui est malheureusement devenue la norme, a provoqué de violentes manifestations dans le pays. Ces manifestations font désormais écho aux luttes politiques car, en effet, de nombreux partis considèrent le Congrès national africain (ANC) comme coupable. 

En effet, le parti de Cyril Ramaphosa est aujourd’hui dangereusement fragilisé à cause de multiples scandales. Le président sud-africain fait face à une fin de mandat incertaine tandis que le pays s’enfonce dans une crise sans précédent. Réélu avec 56% des voix le 19 décembre dernier, Ramaphosa est actuellement un leader contesté. Devenu Président de la République en 2018 grâce à l’importance qu’il donnait à la lutte contre la corruption, les multiples accusations faites à son égard par le bureau d’enquêtes chargé des affaires de corruption ternissent durablement son image.

Un jeu diplomatique dangereux

Influente sur le plan diplomatique, l’Afrique du Sud revendique depuis plusieurs années le siège de membre permanent au Conseil de Sécurité de l’ONU, voulant incarner l’Afrique dans les relations internationales. Interlocutrice active entre Européens et Américains, l’Afrique du Sud est pourtant dans l’impasse depuis le début de la guerre en Ukraine en raison de ses relations intimes avec la Russie. Les troupes de Wagner dans le pays marquent la forte influence russe en Afrique du Sud et sur le continent africain en général. Allant à contre-courant de la majorité des pays africains, la République sud-africaine a refusé de condamner l’invasion russe en Ukraine, ce qui fragilise ainsi ses relations avec les Européens.

Officiellement neutre, la réception chaleureuse et amicale du chef de la diplomatie russe Sergei Lavrov fin janvier à Pretoria a été mal perçue de l’autre côté de l’Atlantique. La critique américaine s’est intensifiée lorsque Naledi Pandor, ministre sud-Africain des Relations Internationales a qualifié la Russie de pays « ami » et a dévoilé la tenue d’exercices militaires conjoints avec les marines russe et chinoise près de Durban. Prévues durant la semaine marquant le premier anniversaire de la guerre en Ukraine, ces manœuvres ont été jugées comme “obscènes” par un site d’informations sud-africain. Le rapprochement avec la Russie isolée et sanctionnée par les Occidentaux pourrait ainsi mettre à mal les relations tissées avec les Etats-Unis et diviser le pays dans une lutte d’influence. Bien que délicate, cette position reste assumée du côté de Pretoria qui affiche sa volonté d’autonomie diplomatique, n’appréciant guère que les Occidentaux ordonnent une ligne directrice aux pays africains.

Une crise économique sans précédent

L’Afrique du Sud est marquée par une dizaine d’années de croissance en berne, comme il a été possible de le constater en 2019, lorsque le PIB par habitant du pays était déjà inférieur à celui de 2008. Cependant, la crise liée à la Covid-19 n’a fait qu’empirer la situation économique fragile sud-africaine. Frappée par un taux de chômage de 35%, qui s’élève même à plus de 60% chez les jeunes, l’Afrique du Sud n’arrive plus à joindre les deux bouts dans ses dépenses. Les déficits de financement dans la santé, les infrastructures et l’enseignement supérieur ne laissent rien présager de bon pour l’avenir du pays. En 2021, le taux de personnes vivant sous le seuil de pauvreté (1,9$ par jour), a atteint 21%, contre 19% en 2019 et 16% en 2010.

Comme mentionnée précédemment, la crise liée à la Covid-19 n’a fait que porter un coup fatal à une économie déjà en proie à de grandes difficultés. Cette situation s’expliquait par le développement de la corruption et la désorganisation de l’Etat sous les présidences de Jacob Zuma (2009-2018), qui ont entraîné d’abord une chute des investissements et de la croissance potentielle. Les dégâts ne se sont pas arrêtés là, car est apparue également une crise des entreprises publiques ainsi qu’un dérapage des finances publiques. Le pays subit donc encore aujourd’hui les conséquences économiques désastreuses de ces mandats, où se sont ajoutées les difficultés connues liées à la Covid.

Des inégalités sociales criantes

De 1994 à 2014, la construction de 2.8 millions de logements subventionnés et la fourniture d’eau gratuite aux plus démunis laissaient envisager le succès des politiques publiques post-apartheid. Les efforts consentis pour favoriser l’intégration des “non-Blancs” dans la société sud-africaine ont permis notamment l’émergence d’une classe moyenne active. Mais la dynamique fut de courte durée. Encore aujourd’hui, l’Afrique du Sud demeure l’une des sociétés les plus inégalitaires au monde, ébranlée par la pauvreté de masse et un taux de chômage dramatique ayant atteint les 35% pendant la pandémie. La fusillade de 8 personnes la semaine dernière dans un township lors d’un anniversaire s’ajoute à la sombre série d’homicides affectant le pays et témoigne de la violence croissante à travers le pays.                                                                                                                                        

 Le climat social et économique tendu contrarie indéniablement un développement sur des bases solides et pérennes à l’avenir. L’inquiétante montée de la violence, la crise énergétique et politique, les inégalités sociales vivaces persuadent certains à déclarer que l’Afrique de Sud est au bord de l’effondrement. Des propos à la hauteur de la réalité ? A n’en pas douter, l’Afrique du Sud est toujours hantée par ses vieux démons et son rôle de leader africain pourrait être menacé si la situation nationale venait à s’empirer. 

// ENGLISH //

South Africa is an African giant in turmoil

2022 was the year of a sad record for South Africa. With the equivalent of 200 days without electricity during the year, incessant power cuts have ruined the daily lives of South Africans, individuals and businesses. In Johannesburg, bank bills have sometimes kept the city in the darkness for nearly 12 hours a day, forcing some companies like KFC to shut down. This has been a nightmare that is strictly not fleeting and likely to end in 2023. The repeated failures of the country’s obsolete coal power plants, the disastrous management of the public company Eskom, and the endemic corruption are all major problems explaining this historic energy crisis: a paradox for the most industrialized country on the African continent. Ranked second among African countries after Nigeria in 2015, South Africa has undeniable advantages. As a hub of trade for allSouthern and Central Africa through its efficient transport network, the country led by Cyril Ramaphosa still counts worldwide. But 30 years after the end of apartheid, the rainbow nation is still being pursued by its old demons, the social issue remaining a burning issue in the country. Without electricity, undermined by persistent social inequalities, close to losing its economic rank at the expense of Egypt, to what can South Africa still claim in Africa and in the world?

A fragile political situation marked by corruption

The “selective power cuts” referred to by the South African electricity company Eskom are only a reflection of its inefficiency. In fact, those are localized and temporary power outages, in order to protect a network overwhelmed by excessive demand. Eskom’s situation today is the result of years of mismanagement, corruption, and sabotage. This intolerable situation for South Africans, which unfortunately has become the norm, has provoked violent demonstrations in the country. These demonstrations now echo the political struggles because, in fact, many parties consider the African National Congress (ANC) guilty. 

In fact, Cyril Ramaphosa’s party is now dangerously fragile because of multiple scandals. The South African president is facing an uncertain end to his mandate as the country sinks into an unprecedented crisis. Re-elected with 56% of the vote on the last 19th of December, Ramaphosa is currently a contested leader. He became President of the Republic in 2018 thanks to the importance he gave to fight corruption. However, multiple accusations made against him by the Bureau of Investigations in charge of corruption cases are permanently tarnishing his image.

This is a dangerous diplomatic game

As an influential diplomat, for several years, South Africa has claimed the seat of permanent member of the UN Security Council, wanting to represent Africa in international relations. South Africa is an active interlocutor between Europeans and Americans, and the country has been at an impasse since the beginning of the war in Ukraine because of its close relations with Russia. Wagner’s troops in the country mark the strong Russian influence in South Africa and on the African continent in general. Going against the tide of of most African countries, the Republic of South Africa has refused to condemn the Russian invasion of Ukraine, what is weakening its relations with Europeans.

Officially neutral, the warm and friendly reception of the head of Russian diplomacy Sergei Lavrov at the end of January in Pretoria was badly received on the other side of the Atlantic. American criticism intensified when South African Minister of International Relations Naledi Pandor called Russia a “friend” and unveiled joint military exercises with Russian and Chinese navies near Durban. Scheduled during the week marking the first anniversary of the war in Ukraine, these maneuvers were deemed “obscene” by a South African news site. The rapprochement with Russia – isolated and sanctioned by the West – could thus undermine the relations forged with the United States and divide the country in a struggle for influence. Although delicate, this position remains assumed on the side of Pretoria which displays its desire for diplomatic autonomy, not appreciating that Westerners order a guideline to African countries.

An unprecedented economic crisis is happening

South Africa is marked by a decade of growth at half-mast, as we saw in 2019, when the country’s GDP per capita was already lower than in 2008. However, the Covid-19 crisis has only worsened the fragile economic situation in South Africa. With an unemployment rate of 35%, which is even higher than 60% among young people, South Africa can no longer make ends meet. Funding deficits in health, infrastructure and higher education do not bode well for the country’s future. In 2021, the rate of people living below the poverty line ($1.9 per day) reached 21%, compared to 19% in 2019 and 16% in 2010.

As mentioned earlier, the Covid-19 crisis has only dealt a fatal blow to an already struggling economy. This was due to the development of corruption and state disorganization under Jacob Zuma’s (2009-2018) presidencies, which initially led to a drop in investment and potential growth. The damage did not stop there, because there was also a crisis in public enterprises and a slippage in public finances. As a result, the country is still suffering from the disastrous economic consequences of these mandates, which have been compounded by known Covid-related challenges.

Social inequalities are glaring

From 1994 to 2014, the construction of 2.8 million subsidized housing units and the provision of free water to the poorest people suggested the success of post-apartheid public policies. Efforts to promote the integration of non-whites into South African society have led to the emergence of an active middle class. But the dynamic was short-lived. Even today, South Africa remains one of the most unequal societies in the world, shaken by mass poverty and a dramatic unemployment rate that reached 35% during the pandemic. The 8-person shooting last week in a township on a birthday adds to the grim series of homicides affecting the country and testifies to the growing violence across the country.                                                                                                                                                                                                                            

The tense social and economic climate undeniably hinders development on solid and sustainable foundations in the future. The worrying rise in violence, the energy and political crisis, and the persistent social inequalities persuade some to declare that South Africa is on the brink of collapse. Are we talking up to reality? Without a doubt, South Africa is still haunted by its old demons and its role as an African leader could be threatened if the national situation were to worsen. 

Paul Liébard
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