Dans son œuvre de science-fiction, Ravage, René Barjavel met en scène un monde où l’électricité disparaît du jour au lendemain, provoquant ainsi l’effondrement du monde en place. La deuxième partie intitulée La Chute des villes peut en réalité constituer un avertissement quant au mode de consommation de certaines sociétés actuelles.
De nos jours, dans un monde aux ressources de plus en plus rares, nos dépendances énergétiques font planer un risque majeur pour le modèle économique dominant. Cela nous invite ainsi à repenser nos sociétés, tout en développant des solutions palliatives.
Or, ces solutions ne sont-elles pas en réalité un mirage car à l’origine de nouvelles dépendances ?
Des dépendances historiques à certaines matières premières
Depuis les deux premières révolutions industrielles, nos modèles de croissance économique reposent majoritairement sur le duo charbon-pétrole auquel s’est ajouté une utilisation massive du gaz naturel à partir des années 1970.
A partir de 1945, date à laquelle a été conclu le pacte du Quincy entre Ibn Saoud et Franklin Delano Roosevelt, la société US Aramco a déversé sur le monde un pétrole saoudien à bas prix en échange de la protection de la dynastie des Saoud par l’Etat américain.
Une première rupture intervient en 1973, année du premier choc pétrolier. C’est à partir de cet évènement que le monde a saisi l’importance de l’existence des dépendances aux hydrocarbures. En France, cette prise de conscience pousse les autorités politiques à s’émanciper de la dépendance française au pétrole au travers du plan Messmer dès 1974. Ce dernier a pour but de développer l’énergie nucléaire comme socle de notre mix énergétique. Aujourd’hui encore, ce secteur représente près de 70% de la production électrique française.
Néanmoins, ce choix français reste encore très marginal à l’échelle mondiale : le charbon et le pétrole restent souverains en leur royaume. Ainsi, la guerre en Ukraine n’est en réalité qu’une piqûre de rappel pour l’ensemble du monde vis-à-vis de ses dépendances. De plus, les chocs pétroliers sont concomitants de la fermeture des mines de charbon en Europe de l’Ouest, notamment en France, au Royaume-Uni et en Allemagne, ce qui renforce la dépendance du Vieux Continent à l’or noir. Ces fermetures, qui interviennent essentiellement pour des raisons de rentabilité économique, ne sont pas suivies massivement car d’autres régions du monde privilégient leur souveraineté énergétique. D’autres ont encore un intérêt économique à exploiter une matière première restée facilement exploitable.
Aujourd’hui, le charbon est en passe de redevenir la première source mondiale d’énergie primaire avec une utilisation massive dans les pays émergents et les deux grandes puissances économiques mondiales que sont la Chine et les Etats-Unis. Certains pays sont d’ailleurs revenus sur leur décision de se passer de charbon à court terme avec l’exemple allemand de réouverture des centrales à charbon.
Cette situation de dépendance envers les hydrocarbures dits conventionnels pousse à la réflexion quant à nos modèles de consommation. De nouvelles méthodes de production sont également envisagées.
Une situation qui pousse à des révolutions énergétiques
» Si l’Humanité chavire dans un siècle ou deux sous les chocs du changement climatique, ce devrait être avec encore beaucoup de carburant dans ses soutes » : cette citation d’Antoine de Ravignan montre à quel point l’impact des énergies fossiles risque de mener le monde à sa perte, et cela avant leur disparition annoncée. De cette manière, nous sommes passés de la peur de la panne sèche à une peur de la surconsommation et de ses conséquences sur le climat. Cette peur, à laquelle s’ajoute la crise des prix de l’énergie, pàousse alors les dirigeants à innover en matière de politique énergétique.
Ainsi, le rapport Meadows parle dès 1972 de décroissance, ce qui s’est aujourd’hui traduit dans le discours politique par des appels à la « sobriété énergétique ». Il est désormais primordial de consommer de façon plus raisonnée et efficiente, pour des raisons économiques et de conscience écologique. La maxime de l’écrivain français le plus traduit au monde, Antoine de Saint-Exupéry, fait désormais foi : « Nous n’héritons pas de la terre de nos ancêtres, nous l’empruntons à nos enfants. ».
S’ajoute à cette volonté de sobriété une volonté d’innover et de se passer définitivement des énergies fossiles dont la dépendance s’est accrue ces dernières années. Cela se traduit par des politiques d’investissement massifdans les nouvelles technologies et l’innovation bas carbone, faisant la part belle au solaire, à l’éolien et dans une moindre mesure au nucléaire. L’Europe figure ici à la pointe avec le Green Deal signé en 2020 par le Parlement européen. L’objectif de ce pacte est notamment de rendre le Vieux-Continent neutre en carbone en 2050. Malgré un investissement poussé, il faut cependant nuancer la part grandissante du renouvelable dans les mix énergétiques européens. En effet, ces énergies restant intermittentes, il est nécessaire de prévoir en parallèle une énergie complémentaire qui est souvent carbonée (cf. charbon ou gaz en Allemagne).
D’autres pays ont fait le choix, du fait de l’évolution à la hausse des cours du marché de l’énergie et des progrès techniques, de développer des filières autrefois inenvisageables. C’est notamment le cas des Etats-Unis qui ont pu devenir un exportateur net de pétrole à partir de 2020, grâce au développement de la filière du schiste et en dépit des problématiques écologiques (cf. choix de l’Europe et de la France notamment).
Ces choix politiques, qui visent à limiter les dépendances, risquent toutefois de nous faire passer de Charybde en Scylla.
Comment passer d’une dépendance à une autre
» Les terres rares sont à la Chine ce que le pétrole est au Moyen-Orient « . Par cette phrase, Deng Xiaoping laisse apparaître le véritable enjeu de demain, dans une société en pleine transition vers le tout-électrique. En effet, malgré les discours politiques vantant les mérites en matière d’écologie et de souveraineté des énergies renouvelables comme le solaire ou l’éolien, celles-ci provoquent en réalité de nouvelles dépendances à de nouvelles matières premières extraites dans de nouveaux pays. C’est notamment le cas des terres rares qui sont produites à plus de 90% en Chine.
Ainsi, la transition énergétique pourrait ne pas rimer avec souveraineté énergétique. Pour que cela soit une réalité, il serait nécessaire de sécuriser nos chaînes d’approvisionnement afin de maîtriser toutes les étapes de la production de ces vecteurs d’« énergie verte ». La société européenne est-elle prête à redéployer des activités de raffinage extrêmement polluantes sur son territoire ? Le doute est permis…
Enfin, la question des déchets peut être posée : il est nécessaire d’un point de vue écologique de recycler des métaux dont l’extraction est polluante. Cette économie circulaire peut également avoir un intérêt sur le plan économique et stratégique, du fait de l’absence de production européenne de ces dits métaux.
Conclusion
Si la guerre en Ukraine a révélé les dépendances énergétiques des pays importateurs de matières premières, il ne faut pas oublier que dans la plupart des pays exportateurs, ces matières premières sont à la fois une force et une faiblesse. En effet, au-delà de la richesse que cela représente pour les pays producteurs, nombre d’entre eux sont atteints par le syndrome hollandais et sont en réalité dépendants des cours des matières premières. De plus, il ne faut pas sous-estimer la dépendance des pays producteurs vis-à-vis de firmes étrangères qui apportent la technologie et le savoir-faire nécessaires à l’exploitation des richesses de leur territoire.
Pour Erik Orsenna, nous vivons désormais dans « un monde de ressources rares ». Il est ainsi nécessaire de faire en conscience des choix en matière énergétique avec, à l’esprit, les dépendances et les conséquences que chacune comporte. Sécuriser les approvisionnements énergétiques apparaît alors pour les Etats comme primordial dans un monde où l’accaparement de ressources devenues rares fait l’objet de tensions et de conflits.
// ENGLISH //
Energy dependencies must deal with subjugations, sovereignty, and social challenge
In his work of science fiction called Ashes, René Barjavel stages a world where electricity disappears overnight, thereby causing the established world collapse. The second part of it, entitled The Fall of Cities may be a warning for people regarding certain current societies’ mode of consumption.
Nowadays, we are in a world whose resources are becoming increasingly scarce. Our energy dependencies are threatening the dominant economic model with a major risk. All this invites us to rethink how our societies work, while developing palliative solutions is required.
However, concretely, aren’t those solutions an illusion by being at the root of new dependencies?
Historical dependencies on certain raw materials
After the two first industrial revolutions, our economic growth models are based on both oil and coal. Since 1970’s, a massive use of natural gas has been added to these resources.
Since 1945, when the Quincy Pact had been concluded between Ibn Saoud and Franklin Delano Roosevelt, the US Aramco corporation had poured out onto the world a cheap Saudi oil in exchange of the United States protection on the Saud dynasty.
In 1973, a first break occurred, the year of the first oil crisis. And from this event, the world realized how important the existence of hydrocarbons dependencies is. In France, that awareness pushed public authorities for the emancipation of the French oil dependence through the Messmer plan initiation in 1974. The latter aims to develop nuclear energy as the foundation of our energy mix. And today still, this field represents around 70% of the French electricity production.
Nevertheless, the French choice is still very marginal at a global level: oil and coal remain the rulers in their kingdom. Thus, the Ukrainian war is no more than a wakeup call for the whole world regarding its dependencies. Moreover, the oil shocks are concomitant with the coal mines closure in Western Europe, especially in France, the United Kingdom and Germany, which increase the Old Continent black gold dependency. These closures mainly happened for economic profitability reasons and do not have a massive effect since other regions of the world focus on their energy sovereignty. Other still have an economic incentive to operate a raw material remaining easily exploitable.
Nowadays, coal is about to become the world’s leading primary energy source due to its massive use in developing countries and the two major and international economic powers which are China and the United States. Besides, countries reconsidered their decision of doing without coal in the short term. Germany’s action of reopening coal-fired power plants illustrates it well.
This situation of dependence towards hydrocarbons so-called conventional encourages reflection about our consumption patterns. New production methods are also considered.
A situation that encourages energy revolutions
« If humanity capsizes in a century or two due to climate change impacts, it would be with still a lot of fuel in the holds”. This quote from Antoine de Ravignan shows how much fossil fuels impact is likely to lead the world to ruin, and so before their announced disappearance. This is how we have gone from a fear of fuel exhaustion to a fear of its overconsumption and its consequences on climate. This worry, to which is added the energy price crisis, drives leaders to innovate in terms of energy policy.
Thus, from 1972, the Meadows report mentions decrease, which today appears in political discourse as calls for “energy sobriety”. It is now essential to consume in a more wisely and efficiently way, for both economic reasons and ecological awareness. Now, the most translated maxim of the world from Antoine de Saint-Exupéry is reliable: “We do not inherit the earth from our fathers, we are borrowing it from our children”.
To that is added the intention of sobriety to innovate and to go without fossil fuels for good. However, fossil fuels dependency has increased in recent years. All this results in massive investment policies in new technologies and in low-carbon innovation which put the emphasis on solar energy, wind power and to nuclear energy to a lesser extent. Europe is at the forefront with the Green Deal signed in 2020 by the European Parliament. The objective of this deal is also to make the Old Continent carbon neutral in 2050. But despite a vigorous investment, it is necessary to qualify the increasing share of renewable energy in the European energy mix. From fact, these energies remain intermittent, and it is required, in parallel, to think of a complementary energy, which is most of the time carbonaceous (cf. coal or gas in Germany).
Due to the upward trend of both market price and technological progress, countries chose to develop sectors that were not even considered before. The United States are an example of it. They were able to become a net exporter of oil from 2020, thanks to the shale sector development and despite ecological issues (cf. especially the choices of Europe and France).
Those political choices which aim to limit dependencies to other countries are likely to make us go from Charybdis to Scylla.
How to go from a dependency to another?
« Rare earth is to China what oil is to Middle East”. With this sentence, Deng Xiaoping reveals the real tomorrow’s challenge, in a society transitioning to an all-electric system. In fact, despite political speeches praising the merits of ecology and renewable energies such as solar energy or wind power, these energies lead to new dependencies on new countries’ raw materials. This is what happens with rare earth proa duced over 90% in China.
Thus, energy transition would not be likely to rhyme with energy sovereignty. To make it a reality, it would be necessary to secure our supply chains, so we would master the production steps of those “green energy” vectors. Is the European society ready to redeploy extremely pollutant refining activities on its territory? There is room for doubt…
Finally, the waste issue may be raised: from an ecological point of view, there is no other option but recycling metals with polluting extractions. This circular economy can also benefit from both economic and strategic levels, regarding the fact there is no European production of these metals.
Conclusion
If the Ukrainian war has highlighted energy dependencies of raw materials importing countries, it must be remembered that for most of importing countries, these raw materials are a strength and a weakness at the same time. In fact, beyond the wealth it is representing for producing countries, many of them are undergoing the “Dutch disease” and rely on raw materials prices. Furthermore, must not be underestimated producing countries dependency towards foreign firms which bring both technology and know-how needed for the exploitation of their territory’s resources.
To Erik Orsenna, we now live in “a world of scarce resources”. It is necessary to make informed choices in energy matters, keeping in mind dependencies and the consequences each one involves. To secure energy supplies seems essential to states living in a world where scarce resources grabbing generate tensions and conflicts.