« Le pétrole est l’excrément du diable, il nous apportera la ruine » déclara l’homme politique vénézuélien à l’origine de la création de l’OPEP, Juan Pablo Pérez Alfonzo. Bien que le pays ait connu une période de prospérité et de relatif développement dans les années 80 et 90 grâce aux revenus du pétrole, cette situation n’aura été que de courte durée. Effectivement, la liquidation de la manne pétrolière dans les années 2000 par l’ancien dirigeant Hugo Chavez s’est traduite et se traduit encore aujourd’hui par une crise économique sans précédent pour le Venezuela. Ceci a été causé par la baisse du cours du pétrole entre 2014 et 2019, par la forte dépendance à la rente pétrolière ainsi que par la perte de compétitivité du pétrole vénézuélien. Cette perte de compétitivité tire son origine de la combinaison de mauvais choix économiques et de l’absence de modernisation des infrastructures pétrolières. Par conséquent, le Bolivar s’est effondré, entraînant ainsi une inflation de 130 060% en 2018. Le Venezuela est victime de ce que l’on appelle la maladie hollandaise. 

De quoi s’agit-il?

Le syndrome hollandais ou malédiction des matières premières est un phénomène décrivant les effets pervers de la dépendance à une rente sur une économie liant le plus souvent l’exploitation des ressources naturelles au déclin de l’industrie manufacturière nationale. Cette expression tire son origine des années 1970 et plus précisément des conséquences de la découverte du plus grand gisement de gaz naturel d’Europe occidentale en mer du Nord sur l’économie des Pays-Bas. 

Comment cela fonctionne-t-il?

Le processus est le suivant : l’exploitation de cette ressource et la rente engendrée augmentent la valeur de la monnaie du pays concerné. Par conséquent, les autres exportations deviennent moins compétitives. En parallèle, les importations augmentent et les autres activités de production perdent de la valeur. Ceci conduit à ce que l’économiste W. Max Corden appelle « les effets de réallocation et de dépenses ». Autrement dit, on opère un transfert de main-d’œuvre des secteurs retardés vers le secteur des ressources naturelles et le secteur des biens non-commercialisables. Cela s’explique par le fait que l’augmentation des revenus salariaux dans le secteur en expansion entraîne une augmentation des biens domestiques et des services entraînant ainsi un besoin de main-d’œuvre supplémentaire. Cette situation conduit à une désindustrialisation. De manière générale, cela aboutit à un appauvrissement significatif causé par la « surabondance » de ressources naturelles et à une fragilisation de leur économie du fait de la forte exposition aux risques de fluctuations des prix sur les marchés internationaux.

Néanmoins, il existe des exceptions telles que la Norvège, le Qatar ou encore l’Arabie Saoudite. En effet, ceux-ci se sont enrichis grâce à leurs incroyables réserves pétrolifères. Comment expliquer cette dichotomie ? Elle s’explique par des différences en termes de taux d’épargne nets et de qualité institutionnelle. D’une part, les taux d’épargne nets des pays ayant réussi à éviter cette Dutch Disease sont plus élevés que ceux des pays en étant victimes. Il est plus que probable que les États n’utilisant pas immédiatement ces sources de revenus aient plus de facilité par la suite à affecter ces recettes à des secteurs productifs et accélérateurs de croissance. D’autre part, la qualité et la viabilité des institutions gouvernementales jouent un rôle déterminant dans le contournement du syndrome hollandais. En effet, dans les pays où les institutions peuvent être qualifiées de « prédatrices », les élites n’hésitent pas à accaparer les revenus issus de ces ressources car ces institutions ne garantissent pas une protection des droits de propriété ou une limitation du pouvoir de ces élites.  

En quoi la Norvège semble immunisée à ce syndrome?

Maintenant, nous allons étudier le cas singulier de la Norvège. Un pays qui, comme l’Arabie Saoudite ou le Qatar, fait partie du cercle fermé des rares pays ayant échappé au syndrome hollandais. La solidité de l’économie norvégienne repose sur les rentes liées aux hydrocarbures avec principalement du gaz et du pétrole. Pour donner un ordre d’idée, elle figure parmi les 20 premiers exportateurs de pétrole et parmi les 5 premiers exportateurs de gaz naturel (seule la Russie fait mieux en Europe). Une rente qui se retrouve décuplée de manière bénéfique dans le contexte actuel. En effet, pour faire face à la crise énergétique engendrée par l’arrêt des livraisons de gaz russe causé par la guerre en Ukraine et ses retombées, les Européens se fournissent davantage auprès de la Norvège.

Pourtant, la Norvège n’a pas pour autant connu un déclin des industries manufacturières plus marqué qu’ailleurs et cela, autant en termes de production qu’en termes d’emplois. De plus, le taux de change réel, le taux auquel un individu peut échanger les biens et les services domestiques avec ceux d’un autre pays en prenant en compte l’inflation de chaque pays, ne s’est pas apprécié notablement avant 2001. Cela signifie que le prix des exportations de Norvège est resté relativement stable et n’a pas chuté comparé à d’autres pays en situation de rente.

Pour expliquer ce contre-pied du syndrome hollandais auquel il est difficile d’échapper pour les pays en situation de rente, différents paramètres propres à la Norvège sont à prendre en compte. Tout d’abord, la limitation stricte des dépenses publiques a joué un rôle majeur pour contenir les effets néfastes de la manne pétrolière. En effet, la politique budgétaire norvégienne a pris soin d’isoler le budget des adaptations que les fortes fluctuations des prix et des taux d’extraction du pétrole et du gaz auraient dû engendrer. Cela a permis de protéger l’économie des cycles des recettes pétrolières. Ensuite, un fond pétrolier a été créé en 1990 pour favoriser une gestion durable de la manne pétrolière norvégienne. Grâce aux recettes pétrolières ayant permis une expansion rapide de ces fonds au tournant du millénaire, le gouvernement norvégien a pu développer une stratégie transparente et crédible afin d’assurer de la richesse pétrolière. De ce fait, la Norvège a instauré la règle fiscale et le ciblage flexible de l’inflation en 2001. D’un côté, la politique monétaire stabilise l’inflation et la production à court terme et de l’autre, la politique budgétaire assure une gestion prudente et une disponibilité continue des recettes pétrolières. C’est ce cadre plus robuste et mieux détaillé économiquement qui a permis d’enrayer le syndrome hollandais. 

Quelles sont les leçons à tirer de ces quelques cas de réussite?

Nous pouvons retrouver plusieurs caractéristiques communes à ces pays qui, pourtant partis d’une économie de « perfusion », à travers les bénéfices de la rente, se sont retrouvés comme les rares pays considérés comme stables économiquement et immunisés au Dutch Disease. Cela est notamment dû à de solides politiques de gestion des ressources naturelles avec la mise en place de fonds souverains en Norvège et dans les pays du Golfe. Cela a permis d’encaisser les chocs créés par la volatilité des prix des matières premières et d’établir une bonne gestion des recettes générées. Ainsi, les fruits issus de cette manne énergétique sont efficacement récoltés et réutilisés pour le bien de l’économie nationale. Par exemple, la Norvège a opté pour le placement du fond souverain en actions et obligations alors que les pays du Golfe se sont tournés vers une diversification du tissu productif avec le développement de la recherche, des services ou du tourisme. Ainsi le rachat de clubs de football européens tels que le Paris Saint-Germain, Manchester City ou Newcastle ainsi que la direction d’évènements culturels comme la Coupe du Monde 2022 sont à la fois des preuves de réussite mais également de volonté de diversification de la part de ces pays. 

Seulement, ces fonds souverains et ces politiques de gestion des matières premières ne sont qu’un écran de fumée si elles ne sont pas précédées d’une qualité institutionnelle initiale de ces pays qui tentent de les mettre en place. La stabilité des institutions est inhérente et c’est souvent le talon d’Achille des pays aujourd’hui dans une situation de rente et victimes de dépendance. C’est justement ce qui constitue le problème minier en République Démocratique du Congo. Pourtant riche en minerais, le pays se trouve dans l’incapacité d’exploiter lui-même les richesses de son sol par manque de fonds et de moyens et voit ses mines exploitées de manière légale par des puissances étrangères comme la Chine. Ainsi, la mise en place de tels programmes, couplée à une amélioration du cadre institutionnel visant à limiter les comportements prédateurs et tributaires, constituerait un traitement adéquat pour lutter efficacement contre cette « maladie hollandaise ».

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Dutch disease – When the abundance is an obstacle and is not enough

« Oil is the devil’s excrement, it will lead us to ruin”, declared Juan Pablo Pérez Alfonzo the Venezuelan politician at the origin of the creation of the OPEC. Although the country experimented a period of prosperity and relative development during the 1980s and the 1990s thanks to oil incomes, this situation was short-lived. In fact, the liquidation of the oil windfall in the 2000s dictated by the former leader Hugo Chavez, resulted, and is still resulting in an unprecedented economic crisis for Venezuela. This had been due to the fall in oil prices between 2014 and 2019, to the strong dependence on oil revenues and the loss of competitiveness of the Venezuelan oil. The origin of this same loss of competitiveness lays in the combination of wrong economic choices and the lack of modernization of oil infrastructures. Therefore, in 2018, the Bolivar has collapsed causing an inflation of 130 060%. Venezuela is suffering from what we can call “Dutch disease”. 

What is it about?

Dutch disease or the curse of the raw materials is a phenomenon that describes the perverse effects of the dependence on an economic rent which mostly links the exploitation of natural resources to the decline of the national manufacturing sector. This expression was born in the 1970s, referring to the consequences of the discovery of the largest natural gas deposit of Western Europe (in the North Sea) on the Dutch (Netherlands) economy.

How does it work ?

The process is the following one: the exploitation of this resource and the income generated increase the value of the country’s currency. Consequently, the remaining exports become less competitive. At the same time, imports increase, and other productive activities lose value. This can lead to “reallocation and expenditure effects” according to the economist W.Max Corden. In other words, we transfer workforce from late sectors to natural resources and non-marketable goods sectors. It can be explained by the fact that the increase in wage income of the expanding sector leads to an increase in domestic goods and services, which leads to an additional need of workforce. The deindustrialization is the main symptom of this situation. In general, it results in a significative impoverishment caused by an overabundance of natural resources and in a weakened economy due to a high exposure to risks of prices fluctuation on international markets. Nevertheless, there are some exceptions, as for Norway, Qatar, or Saudi Arabia. In fact, those countries became richer thanks to their unbelievable oil reserves. How can we explain this dichotomy? It can be justified by net saving rates and institutional quality differences. On the one hand are the net saving rates of the countries, which succeeded in avoiding Dutch disease. They are higher than countries affected by it. It is more likely that countries that do not directly use these sources of income, later meet more facility to transfer these revenues to productive and growth accelerator sectors. On the other hand, the quality and the viability of governmental institutions play a major part in. Dutch disease bypass. In countries where institutions can be considered as “predators”, elites do not hesitate to grab the incomes since these institutions neither guarantee a protection of property rights, nor the limitation of the power of these elites. 

Why does Norway seem to be immune to this syndrome?

We are now going to study the singular case of Norway. As Saudi Arabia or Qatar, this country is part of the very close circle made up of countries which have escaped Dutch disease. The Norwegian economy’s strength relies on hydrocarbons annuity, mostly concerning gas and oil. To give an idea, the country is part of the top 20 oil exporters and part of the top 5 natural gas exporters (only Russia is better in Europe). An income which has been multiplied by ten, in the current context. In fact, there is the need to face the energetic crisis which is the result of the cessation of Russian gas deliveries caused by the Ukrainian War and its consequences. Thus, Europeans buy more from Norway. 

            Yet, despite its activity, Norway has not experienced a decline in manufacturing industries. This includes both terms of production and employment. Besides, the real exchange rate, the one at which an individual can exchange domestic goods and services with those of another country did not appreciate, notably before 2001. This is true even by taking inflation into account. It means that export prices from Norway have remained relatively stable, has not fallen down compared to other countries that are in an annuity situation. 

            To explain this opposite of Dutch disease, it is hard for countries that are in an annuity situation to escape since various specific parameters to Norway must be considered. Firstly, the strict limitation of public expenditures has played a major part in containing oil windfall negative effects. In fact, Norwegian budget policy took care to isolate the budget from changes that prices fluctuations and oil and gas extraction rates would have made necessary. This has enabled them to protect the economy from the oil revenues cycle. Then, in 1990, an oil fund was created to favor a sustainable management of Norway’s petroleum wealth. Oil revenues have enabled a rapid expansion of this funds at the turn of the millennium. Norway’s government was able to develop a transparent and credible strategy to assure the oil wealth. In 2001, Norway also introduced the tax rule and flexible targeting of inflation. On the one hand, the monetary policy regulates inflation and short-term production. On the other hand, budgetary policy assures a careful management and a continued availability of oil revenues. It is this stronger and more economically detailed framework that has made it possible to eradicate Dutch disease.

What are the lessons to learn from these success stories?

We can find various similarities between these countries. Yet began with an “economy of infusion” method, through annuity profit, they succeeded in becoming considered as the few countries that are economically stable and immune from Dutch disease. This is notably due to strong management policies of natural resources that have established sovereign funds in Norway and in Gulf countries. Thus, they were able to protect themselves against shocks resulting of the price volatility of raw materials, and establish a good management of the incomes. Thus, the benefits of this oil windfall are effectively picked up and used for the good of the national economy. For example, Norway opted for the investment of the sovereign fund in stocks and bonds, while Gulf countries opted for a diversification of the productive fabric with the development of research, services, or tourism. The repurchase of European football clubs such as Paris Saint Germain, Manchester City, or Newcastle, the organization of big events such as the 2022 World Cup, are at the same time proofs of success and a desire of these countries to diversify. 

            But these sovereign funds and these management policies of the raw materials only are a smokescreen if not supported by an initial institutional quality. The stability of these institutions is inherent and is often Achilles’ heel of countries that are nowadays in an annuity income situation and victim of dependence. This is precisely what constitutes the mining problem in the Democratic Republic of Congo. Yet rich in minerals, the country is unable to exploit the wealth of its soil because of a lack of funds. It sees its mines legally exploited by foreign powers like China. The establishment of such programs should be coupled with an improvement of the institutional framework. Thus, they could search for the limitation of predatory and dependent behaviors. This would constitute an adequate treatment to fight effectively against “Dutch disease”. 

Flora Jezequel
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