Juillet 2022. Pristina, capitale du Kosovo depuis 2008 et gratifiée du titre de plus jeune ville d’Europe s’apprête à accueillir la 14ème édition de la biennale nomade européenne, manifestation unique et renommée dédiée à l‘art contemporain. Un formidable coup de projecteur pour des artistes urbains kosovars privés de lieu d’expression dans un espace public portant encore les stigmates de la guerre. L’art a toujours été un moyen privilégié pour véhiculer ses opinions et exprimer sa personnalité. En quête de reconnaissance, le jeune État des Balkans poursuit les mêmes objectifs, cherchant à affirmer son identité contestée. Car depuis le 17 février 2008, date à laquelle l’indépendance a été déclarée, le Kosovo, ancienne région autonome de la Serbie, est souvent exclu, rejeté des grandes instances internationales et critiqué par ses voisins. Le pays demeure encore aujourd’hui un cas particulier en Europe. Intéressons-nous de plus près à cet État enclavé des Balkans de 1,8 million d’habitants, perçu comme illégitime aux yeux de certains.
Le Kosovo : une histoire longue et complexe
Le Kosovo est peuplé en majorité d’Albanais, mais il possède également une importante minorité serbe, ce qui explique en partie les problématiques qui affectent le pays. Malgré sa déclaration unilatérale d’indépendance en février 2008, l’histoire du Kosovo est loin d’être récente. En effet, le pays a été rattaché à de nombreuses reprises à différents pays comme en 1941 à la Grande Albanie sous tutelle de l’Italie fasciste, mais également après la Seconde Guerre mondiale lorsque le pays est intégré à la Yougoslavie du Maréchal Tito. Même si la Yougoslavie communiste ne faisait pas partie de l’URSS, elle n’échappa pas au mouvement d’indépendance connu par les pays communistes lors de la dissolution soviétique. Ainsi, la Slovénie, la Croatie, la Bosnie-Herzégovine et la Macédoine déclarent leur indépendance. Ces décisions ont mené à différentes guerres sanglantes et violentes avec le reste de la Yougoslavie. Cependant, c’est en 1996 que débute le conflit direct entre la Serbie et le Kosovo, avec la création de l’Armée de libération du Kosovo (UÇK). Cette Armée réussit en 1997 à récupérer un grand stock d’armes venues d’Albanie et commence alors une campagne de guérilla, violemment réprimée par Slobodan Milošević. Les Occidentaux décident de réagir en 1999, lorsque l’OTAN lance des frappes aériennes contre la Serbie et contraint Milošević à se retirer du Kosovo. La région passe alors sous l’administration des Nations unies. Entre 1999 et 2008, le statut indéterminé du pays paralyse son développement. Sa déclaration d’indépendance, proclamée en 2008, est contestée par Belgrade et n’est reconnue ni par l’Organisation des Nations unies, ni par l’Union européenne. Ce statut complexe explique les nombreux problèmes que rencontre le pays aujourd’hui.
Les problématiques importantes auxquelles le pays fait face aujourd’hui
La situation unique du Kosovo lui confère inévitablement des problématiques tout aussi particulières. Il est aujourd’hui reconnu par 92 Etats, tandis que 45 Etats sont opposés à son indépendance. Cependant, depuis 2016, le pays est reconnu par la FIFA et le Comité international olympique (CIO). Il s’agit d’un signal fort, puisque tout comme l’art, le sport est un domaine clé pour affirmer son identité nationale. Le défilé des délégations et les trois médailles d’or gagnées par le Kosovo depuis les Jeux de Rio lui permettent de mettre en avant son histoire sur la scène internationale, notamment vis-à-vis du grand public.
Cependant, la situation intérieure inquiète. Même si l’UE et l’ONU se sont coordonnées pour apporter une aide économique et une protection humanitaire depuis 1999, l’appareil économique est toujours désorganisé. La corruption et le chômage minent l’économie, et les remises des émigrés kosovars sont une maigre source de revenus pour l’Etat. Pour dynamiser son marché, le Kosovo avait misé sur le minage des cryptomonnaies, opération consistant à valider des transactions (bitcoins par exemple) à l’aide d’ordinateurs puissants mais dont les besoins en énergie sont très élevés. Depuis le début de la guerre en Ukraine, la hausse globale des prix de l’énergie et les difficultés d’approvisionnement contrecarrent les plans du gouvernement en sachant que le Kosovo importe 40% de l’énergie consommée. Pour limiter la consommation, le gouvernement a été contraint d’opérer à des coupures d’électricité durant l’hiver, laissant les habitants dans des situations d’extrême difficulté.
A l’extérieur, la question de la reconnaissance kosovare est aujourd’hui un enjeu géopolitique majeur qui dépasse le pays des Balkans. Elle est au centre d’un jeu d’alliance entre la Serbie, la Chine et la Russie d’un côté, les Etats-Unis, le Royaume-Uni et le Kosovo de l’autre. La guerre en Ukraine n’a fait qu’augmenter ces tensions. Pour certains, la Russie est en train de réaliser sa théorie de « l’étranger proche » par le cas kosovar, et l’OTAN est conscient des enjeux qui se jouent actuellement dans les Balkans. La Force pour le Kosovo (KFor), une force armée multinationale mise en œuvre par l’OTAN, se dit prête à intervenir si nécessaire sur mandat du Conseil de sécurité des Nations unies.
Quel avenir pour le Kosovo ? Une adhésion du Kosovo à l’UE est-elle envisageable ?
Si l’événement artistique estival Manifesta 14 semblait avoir insufflé une dynamique et une ouverture culturelle du Kosovo en Europe, la réalité est toute autre. L’absence du Kosovo de l’espace Schengen, impliquant une obligation de visa pour tout déplacement, compromet considérablement les aspirations de la jeunesse kosovare et les rêves d’Europe. Malgré les demandes incessantes de libéralisation de visa, l’Union Européenne exclut la possibilité d’un quelconque changement. Il y a aussi une certaine frilosité de l’Union européenne à se positionner sur le cas kosovar et reconnaître la légitimité de cet État étant donné les risques d’affrontements récurrents avec la Serbie. Fin novembre, lorsque la police kosovare a menacé de verbaliser des conducteurs sous prétexte qu’ils détenaient des plaques d’immatriculation serbes, des coups de feu ont éclaté. Bien qu’un accord ait finalement été conclu entre les deux pays sous l’égide de l’UE, une résurgence des tensions est à craindre. La querelle des plaques d’immatriculation n’est qu’un exemple parmi d’autres, mais cela montre incontestablement la fragilité des relations entre la Serbie et le Kosovo. A cela s’ajoute le contexte de la guerre en Ukraine qui place la Serbie du côté de la Russie de Poutine tandis que le Kosovo est sous protection des forces de l’OTAN.
En dépit d’une situation économique particulièrement défavorable et des tensions avec son voisin serbe, une chose est sûre : le Kosovo ne renoncera pas à son rêve d’intégrer l’Union européenne. Lors de la venue d’Olaf Scholz en juin 2022 ce qui constitue une première pour le chancelier allemand dans les Balkans, Albin Kurti, premier ministre kosovar a fait part de tous ses efforts pour assurer la stabilité et la pacification du Kosovo. “L’Europe est notre destin, l’Europe est notre avenir” a-t-il également déclaré de manière solennelle. Kurti s’est d’ores et déjà exprimé publiquement sur la volonté du Kosovo de demander le statut de candidat à l’UE d’ici la fin 2022. Un objectif ambitieux et lointain pour le moment, au vu de la situation du Kosovo, qui doit évidemment satisfaire les exigences de Bruxelles et procéder à une normalisation de ses relations avec la Serbie. Le compromis est difficile à trouver entre la réalité du terrain et les rêves d’Europe et de paix.
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Kosovo is on a winding path to the EU
July 2022. Pristina, capital of Kosovo since 2008 and awarded granted the title of youngest city in Europe, is preparing to host the 14th edition of the European Nomadic Biennial, a unique and renowned event dedicated to contemporary art. This is a great spotlight for Kosovar urban artists deprived of a place of expression in a public space still bearing the stigma of war. Art has always been a privileged way to spread opinions and express personality. In search of recognition, the young Balkan state pursues the same objectives, seeking to assert its disputed identity. Since February 17, 2008, when independence was declared, Kosovo, the former autonomous region of Serbia, has often been excluded, rejected by major international instances, and criticized by its neighbours. The country remains a special case in Europe today. Let us take a closer look at this landlocked Balkan state of 1.8 million inhabitants, perceived by some as illegitimate.
Kosovo: a long and complex story
Kosovo is inhabited by a majority of Albanians, but it also has a large Serb minority, which partly explains the problems that affect the country. Despite its unilateral declaration of independence in February 2008, the history of Kosovo is far from being recent. From fact, the country has been attached many times to different countries like in 1941 to Greater Albania under the tutelage of fascist Italy, but also after the Second World War when the country was integrated into the Yugoslavia of Marshal Tito. Although Communist Yugoslavia was not part of the USSR, the country did not escape the independence movement experienced by communist countries during the Soviet dissolution. Therefore, Slovenia, Croatia, Bosnia and Herzegovina and Macedonia declared their independence. These decisions led to various bloody and violent wars with the rest of Yugoslavia. However, the direct conflict between Serbia and Kosovo began in 1996 with the creation of the Kosovo Liberation Army (KLA). In 1997, this Army managed to recover a large stock of weapons from Albania and then began a guerrilla campaign, violently repressed by Slobodan Milošević. In 1999, Westerners decided to, when NATO launched air strikes against Serbia and forced Milošević to withdraw from Kosovo. The region came under the administration of the United Nations. Between 1999 and 2008, the country’s undetermined status paralyzed its development. Proclaimed in 2008, its declaration of independence is contested by Belgrade and is neither recognized by the United Nations nor the European Union. This complex status explains the many problems that the country is experiencing today.
Important issues that the country is facing today
The unique situation of Kosovo inevitably gives it equally specific issues. It is now recognized by 92 states, while 45 states are opposed to its independence. However, since 2016, the country has been recognized by FIFA and the International Olympic Committee (IOC). This is a strong signal, since like art, sport is a key area for affirming its national identity. The parade of delegations and the three gold medals won by Kosovo since the Rio Games allow it to highlight its history on the international scene, especially towards the general public mainstream?
However, the domestic situation is worrying. Although the EU and the UN have been coordinated to provide economic assistance and humanitarian protection since 1999, the economic apparatus is still disorganized. Corruption and unemployment undermine the economy, and remittances of Kosovar emigrants are a meagre source of income for the state. To boost its market, Kosovo had bet on cryptocurrency mining, an operation consisting in validating transactions (bitcoins for example) using powerful computers but whose energy needs are very high. Since the beginning of the war in Ukraine, the global rise in energy prices and supply difficulties have thwarted the government’s plans, knowing that Kosovo imports 40% of the energy consumed. To limit consumption, the government was forced to operate on power cuts during the winter, leaving residents in situations of extreme difficulty.
Externally, the question of Kosovar recognition is today a major geopolitical issue that goes beyond the Balkan country. It is at the centre of an alliance game between Serbia, China and Russia on one side, the United States, the United Kingdom and Kosovo on the other side. The war in Ukraine has only increased those tensions. For some, Russia is in the process of realizing its theory of “near abroad” through the Kosovar case, and NATO is aware of the issues currently at play in the Balkans. The Kosovo Force (KFor), a multinational armed force implemented by NATO, says it is ready to intervene if necessary, under mandate from the United Nations Security Council.
What is the future for Kosovo? Can Kosovo join the EU?
If the Manifesta summer artistic event seemed to have instilled a dynamic and cultural 14 opening of Kosovo in Europe, the reality is quite different. Kosovo’s absence from the Schengen area, involving a visa requirement for all travel, significantly undermines the aspirations of Kosovo’s youth and the dreams of Europe. Despite incessant requests for visa liberalization, the European Union excludes the possibility of any change. There is also a certain reluctance on the part of the European Union to take a position on the Kosovar case and to recognize the legitimacy of this State given the risks of recurrent clashes with Serbia. At the end of November, when the Kosovo police threatened to verbalize drivers on the pretext that they held Serb license plates, gunfire broke out. Although an agreement was finally reached between the two countries under the aegis of the EU, a resurgence of tensions is to be feared. The license plates dispute is just one example, but it certainly shows the fragility of relations between Serbia and Kosovo. Furthermore, the context of the war in Ukraine that places Serbia on the side of Putin’s Russia while Kosovo is under protection of NATO forces.
Despite a particularly unfavourable economic situation and tensions with its Serbian neighbour, one thing is certain: Kosovo will not give up its dream of joining the European Union. During the visit of Olaf Scholz in June 2022, a first for the German Chancellor in the Balkans, Albin Kurti, Prime Minister of Kosovo, expressed all his efforts to ensure the stability and pacification of Kosovo. “Europe is our destiny, Europe is our future,” he also solemnly declared. Kurti has already spoken publicly about Kosovo’s willingness to apply for EU candidate status by the end of 2022. An ambitious and distant goal for the moment, in view of the situation in Kosovo, which must obviously satisfy the requirements of Brussels and proceed to a normalization of its relations with Serbia. The compromise is difficult to find between the reality of the field and the dreams of Europe and peace.