Selon le FMI, environ 60% des pays à faible revenu sont désormais considérés comme présentant un risque élevé de surendettement ou comme étant déjà en situation de surendettement. Nous passons du risque à la crainte lorsque le président de la Banque Mondiale, David Malpass, a exprimé sa peur de voir le monde affronter une cinquième crise de la dette.
Les expériences passées nous ont montré à quel point les conséquences économiques et sociales causées par une réaction gouvernementale ou institutionnelle tardive, concernant l’atténuation des risques liés à une dette souveraine croissante, peuvent être catastrophiques. En effet, la crise de la dette systémique qu’ont connue les pays émergents d’Amérique latine et d’Afrique subsaharienne a entraîné une décennie de développement perdue caractérisée par un effondrement des monnaies, une diminution de la production, une inflation galopante, une augmentation des inégalités et une chute des revenus. A titre d’exemple, huit ans en moyenne ont été nécessaires aux 41 pays qui ont été dans l’incapacité de rembourser leur dette souveraine entre 1980 et 1985 pour retrouver les niveaux de PIB par habitant d’avant-crise.
La crise de la dette n’est pas une nouveauté pour les pays du Sud
La scène internationale, et en particulier les pays en développement, connaissent une augmentation constante de la dette depuis une décennie. D’un côté, la hausse de l’inflation entrave de nombreux pays, même au niveau des denrées les plus vitales. Par exemple, l’inflation alimentaire en Afrique du Sud pousse les habitants à subvenir eux-mêmes à leurs besoins. De l’autre, c’est la déflation de la monnaie qui aggrave la situation de certains pays : au Venezuela, la monnaie nationale a perdu en valeur l’équivalent d’un grand nombre de zéro. Le ralentissement de la croissance à la suite de la sortie de l’ère des matières premières, causée par la réduction de l’appétit des pays émergents, impacte aussi l’ensemble de la région. Mais encore, l’aggravation des inégalités, engendrée par le populisme et les cas de corruption comme avec le cas Petrobras au Brésil, reste un enjeu central pour ces pays. Autant de problèmes qui touchent les pays du Sud et nourrissent chez eux cette dette financière de manière directe ou indirecte.
Pourtant, elle s’est considérablement accélérée ces dernières années
En 2022, ce n’est pas moins de 44 milliards de dollars américains de dettes cumulées par ces pays et détenues par le secteur privé ou des États qui sont devenus exigibles. Une somme qui est bien plus importante que l’aide internationale fournie envers ces pays du Sud.
Outre une mauvaise gestion globale de chaque pays et des causes singulières, de la déflation monétaire à la corruption étatique, les pays du Sud ont connu plusieurs causes communes responsables de cette accélération de la dette. Ce sont principalement la pandémie de COVID-19 et la Guerre en Ukraine, les deux plus grandes crises depuis 2019, qui ont mondialement impactées cette crise de la dette.
Tout d’abord, la crise sanitaire a eu un certain coût direct autour de la santé, surtout pour ces pays du Sud qui, hormis quelques exceptions comme Cuba, ont dû importer de grandes quantités de vaccins par manque de production. Un prix à payer pour financer l’efficacité des soins et des mesures sanitaires mais qui a aussi été multiplié à cause de ces mêmes mesures. En effet, la pandémie a conduit à une paralysie de nombreuses activités économiques qui auraient permis d’atténuer ce coût. Cette pandémie a obligé les pays encore en développement à dépasser leur niveau d’endettement souverain pour diminuer les effets économiques qu’elle a causés sur les populations et le système. A ce propos, les différents montants de l’intervention de la Banque Mondiale en 2019 sont très révélateurs dans les continents du Sud : 10,7 milliards de dollars américains pour l’Amérique latine et les Caraïbes, 11,7 milliards de dollars pour l’Asie du Sud et 18,4 milliards pour l’Afrique subsaharienne. Il s’agit des seules régions du monde au-dessus de 10 milliards. Une aide qui peut vite devenir un poids pour ces pays si elle est mal utilisée et transformée en dette. La crise de la COVID-19 a porté l’endettement total à son niveau le plus élevé depuis un demi-siècle, soit l’équivalent de plus de 250% des recettes publiques.
La guerre en Ukraine a eu, elle aussi, un grand rôle dans l’augmentation de la dette des pays du Sud. Elle a notamment donné lieu à une augmentation des emprunts. Un phénomène entraîné par des mesures pour maîtriser l’inflation ainsi que l’augmentation des subventions publiques. Cette guerre a également un impact sur les taux d’intérêt et donc indirectement sur la dette de ces pays. La hausse des taux d’intérêt aux Etats-Unis a rendu particulièrement vulnérables les pays en développement endettés en dollars à taux variables comme certains pays d’Amérique latine. Enfin, la crise énergétique, annoncée au vu des sanctions prises par la plupart des pays membres l’OTAN dans un conflit qui semble durer, va sûrement augmenter la dette des pays importateurs.
Quelles conséquences économiques et sociales?
D’une part, les pays surendettés ne sont plus en mesure de financer des services publics tels que l’éducation et les soins de santé publique. Ce retrait étatique forcé risque d’entraîner une détérioration du développement humain et une brusque augmentation des inégalités. D’autre part, les pays en situation de surendettement sont peu outillés pour faire face aux chocs futurs : ceux-ci ne seraient alors plus en capacité de jouer le rôle de prêteur en dernier ressort des entreprises du secteur privé. D’un point de vue plus global, l’accumulation de la dette souveraine qui en résulte fait peser des risques importants sur la reprise économique mondiale.
Un pays est particulièrement touché par cette crise ainsi que ces conséquences et semble faire figure d’exemple parlant : le Sri Lanka. En effet, il a été le premier pays à suspendre les règlements de sa dette en avril 2022 lorsqu’il s’est déclaré en défaut de paiement sur l’ensemble de sa dette publique. Au lieu d’utiliser ses devises étrangères pour garantir l’importation de biens essentiels ainsi que les services de première nécessité vis à vis de sa population, le gouvernement avait fait le choix de les conserver pour le remboursement de la dette et de ses intérêts. Par conséquent, cette crise financière s’est transformée en crise sociale. Ainsi, dans un pays où l’inflation atteint plus de 30% en avril 2022, une grande partie de la population se retrouve dans une situation d’extrême pauvreté.
La crise de la dette, un moyen de renforcer la puissance chinoise ?
Le FMI et la Banque mondiale appellent souvent la Chine, premier créancier du monde, à s’engager dans la restructuration de la dette des pays du Sud au travers du cadre commun de négociation mis en place par le G20. Cette restructuration peut se faire de trois manières différentes : à l’aide de l’allongement des délais, de la réduction des charges d’intérêts ou de l’annulation partielle d’un montant de la dette. Ces deux premiers outils, régulièrement utilisés, ne feraient qu’accroître et renforcer la dépendance des pays du Sud à l’égard de la Chine. Le Sri Lanka illustre bien ce qui pourrait se passer dans le futur. En effet, ce pays a bénéficié d’un prêt dans le cadre du projet des nouvelles routes de la soie. Celui-ci a servi à financer la construction du port de Hambantota qui, six ans plus tard, a été loué à China Merchants Port pour une période de 99 ans et une participation de 70% dans son exploitation car le port a rencontré des difficultés pour rembourser ses dettes. Est-il temps, comme certains le pensent, d’opérer une refonte totale du système monétaire et financier international ?
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At the intersection of the pandemic and political crises, the shadow of the debt crisis: is it a threat for the Southern countries?
According to the IMF, approximately 60% of the low-income countries are now considered to be at high risk of over-indebtedness, or already in debt distress. We went from risk to fear when the World Bank president, David Malpass expressed his concern to see the world face a fifth debt crisis.
The past experiences have shown how catastrophic economic and social consequences caused by a late government or institutional response, concerning risks mitigations linked to a growing sovereign debt can be. In fact, emerging countries such as Latin America or Sub-Saharan Africa have undergone a systemic debt crisis, this has led to a decade of lost development, characterized by a currencies collapse a decrease in production, a rampant inflation, a rise of inequalities and an incomes fall. For example, on average, eight years were necessary to the 41 countries which were unable to repay their sovereign debt between 1980 and 1985, and to regain pre-crisis levels of per capita GDP.
The debt crisis is nothing new to southern countries
For a decade the world scene, the developing countries are encountering a constant rise of the debt. On the one hand, the rise in inflation hinders many countries, concerning even most vital commodities. From fact, in South Africa, food inflation pushes the inhabitants to provide for themselves. On the other hand, currencies deflation worsens the situation in certain countries: Venezuela’s national currency has lost value, representing the equivalent of many zeros. Caused by the reduction of the emerging countries’ hunger, slow growth following the exit from raw materials era impacts the whole region. Yet, as for what happened in Brazil with the Petrobras case, growing inequalities, caused by both populism and corruption illustrated by the Petrobras case in Brazil, remains a major rate for these countries. They are many issues that affect southern countries too and sustain the financial debt, whether directly or indirectly.
However, debt has increased considerably in recent years
In 2022, it is not less than $44 billion (US) of accumulated debts in these countries and detained by the private sector, or states, that became due. A fee far more important than the international assistance provided to southern countries.
In addition to an overall mismanagement of each country and singular causes, from monetary deflation to state corruption, southern countries have experienced similar causes responsible for this rising debt. COVID pandemic and the Ukrainian War are the two main crisis since 2019, and have impacted this debt crisis worldwide.
Firstly, sanitary crisis has had a certain and direct cost on the health system, mostly for Southern countries, which with few exceptions like Cuba, had to import large amounts of vaccines because of underproduction. This is the price to pay to finance the efficiency of care and sanitary measures. But this price has been multiplied because of these measures. In fact, pandemic led to a paralysis of numerous economic activities which would have helped to mitigate this cost. Pandemic has forced developing countries to go beyond their level of sovereign debt to reduce economic effects caused on both populations and the system. In this regard, various amounts of 2019 intervention of the World Bank are very revealing in southern continents : $10,7 billion (US) for Latin America and the Caribbean, $11,7 billion for south Asia and 18,4 billion for Sub-Saharan Africa. These are the only regions in the world benefiting from an assistance over $10 billion US. But this could quickly become a burden for these countries if poorly used and converted into debt. COVID crisis has brought the total debt to its highest level since a mid-century, equivalent of more than the 250% of public revenue.
The Ukrainian war took a major part in the rise of the debt of Southern countries. It has led to increased borrowing. This phenomenon was driven by measures to regulate inflation and increasing public subsidies. This war also has an impact on interest rates and so on the debt of these countries indirectly. In the United States, increase in interest rates makes developing countries which are indebted in dollar at variable rates including Latin America countries. Finally, energy crisis has been announced in the light of the sanctions that have been taken by most of NATO member countries the conflict seems to last and is likely to increase the debt of importing countries.
What about economic and social consequences?
On the one side, over-indebted countries are not able anymore to afford public services costs such as education and public health. This withdrawal of the state may jeopardize human development and provoke a sharp increase in inequality. On the other side, over-indebted countries are poorly-equipped to face future shocks: these ones would not be able anymore to play the part of lender in last resort for private sector firms.
From a more global point of view, the resulting accumulation of the sovereign debt presents important risks for the global economic recovery.
One country is particularly affected by this crisis and its consequences and seems to be considered as a speaking example: Sri Lanka. From fact, in April 2022, it was the first country to suspend regulations about its debt when it declared itself in default of payment for its whole public debt. Instead of using its foreign currency to guarantee the import of essential goods, and basic services for its population, Sri Lanka government decided to keep them to pay down the debt and its interests. Consequently, this financial crisis turned into a social crisis. Thus, in a country where inflation reached over 30% in April 2022, a large part of the population finds itself in a situation of extreme poverty.
Debt crisis, a way to strenghten China’s power?
Both the IMF and the World Bank often called for China, first world creditor, to commit itself to debt restructuring of southern countries through the common negotiation framework established by the G20. This restructuring can be made by three various ways: by extending deadlines, by reducing interest expenses or by the partial cancellation of an amount of debt. If regularly used, these first two tools would only increase and strengthen the dependence of Southern countries on China. Sri Lanka well illustrates what could happen in the future. This country has benefited from a loan for the New Silk Roads project. This one was used to finance the construction of the Hambantota port, which 6 years later, was rented to China Merchants Port for 99 years and a contribution of 70% in its exploitation, because the port faced difficulties to repay its debts. At some think, it is high time, to overhaul the international monetary and financial system?