Le 23 novembre 2022, alors que la guerre en Ukraine fait rage, Vladimir Poutine souhaitait prouver au monde qu’il n’avait pas perdu sa stature internationale en se rendant au sommet de l’Organisation du Traité de Sécurité Collective (OTSC). Alors que ce sommet devait être une formalité pour le locataire du Kremlin, celui-ci s’est transformé en véritable chemin de croix. En effet, exception faite de la Biélorussie, tous les membres de l’OTSC, et en particulier l’Arménie, ont émis de sévères critiques à l’encontre de la politique russe. Or, personne n’aurait pu, il y a encore un an, imaginer une telle déconvenue au sein de son pré carré pour le dirigeant moscovite.
Cet événement ne serait-il pas en réalité l’expression d’un changement de paradigme concernant les puissances agissant dans l’étranger proche ?
La fonte du glacis protecteur russe au contact de la puissance occidentale
En 1997, Zbigniew Brzezinski insistait sur l’importance de contrôler l’Eurasie pour contrôler le monde dans son œuvre, Le Grand Echiquier : l’Amérique et le reste du monde, s’appuyant ainsi sur la théorie du Heartland développée par le géographe britannique, Halford John Mackinder. En effet, le stratège d’origine polonaise expliquait que les Etats-Unis devaient faire pression sur l’Ukraine pour empêcher le développement d’une force mondiale majeure : la Russie.
En accord avec cette thèse, les Etats-Unis poursuivent une politique d’endiguement de l’influence russe sur leur étranger proche en avançant progressivement leurs pions vers l’Est. Ainsi, près de cinq vagues d’élargissement de l’OTAN ont eu lieu entre 1999 et 2020 : cela concerne notamment des pays de l’ex-bloc soviétique comme la Pologne, la Bulgarie, la Lituanie ou encore la Roumanie. Ces élargissements successifs vers l’Est vont ainsi à rebours des accords tacites passés durant la réunification allemande entre les puissances occidentales et Mikhaïl Gorbatchev.
Ces accords militaires sont en réalité le premier volet d’une stratégie plus globale des Occidentaux vis-à-vis de l’ours russe. Ils souhaitent en effet continuer à affaiblir la puissance russe au travers d’une intégration économique à l’Union européenne des anciens pays satellites. Ainsi, l’OTAN et l’UE seraient les deux faces d’une seule et même pièce dont l’objectif serait l’isolement de la Russie dans la région. La guerre actuelle en Ukraine a par ailleurs pu confirmer cette tendance à se placer sous le parapluie américain : en effet, l’OTAN apparaît aujourd’hui comme l’élément crucial de la défense des pays de l’Est contre les vélléités impériales de la Russie.
Ainsi, les Américains ressortent grandis de cette situation, leur influence à l’Est de l’Europe étant plus forte que jamais. Cependant, se concentrer sur les frontières occidentales de l’espace post-soviétique et sur la relation entre Occidentaux et Russes n’est pas suffisant : à l’Est et au Sud de son territoire, la Russie fait également face à de nouveaux acteurs et concurrents prêts à développer leur stratégie de puissance dans la région.
De nouveaux acteurs apparaissent et concurrencent l’influence russe sur la région
De nouveaux acteurs font ainsi leur apparition dans les espaces post-soviétiques avec la ferme intention de supplanter Moscou dans son pré carré. Parmi ceux-là, la Chine figure en très bonne position.
En effet, à l’Est, la Chine cherche à incarner la nouvelle grande puissance de la région avec son projet de construction eurasiatique. La première étape de ce projet passe par une insertion militaire dans la région : la signature de l’Organisation de coopération de Shanghai en 2001 symbolise le retour de la puissance chinoise hors de ses frontières, ce qui constitue une première depuis l’arrêt des combats en Corée en 1953. La seconde étape pour Pékin est une affirmation économique du pouvoir chinois dans la région avec, à partir de 2013, le développement des Nouvelles Routes de la Soie. Ainsi, la puissance dominante russe s’efface au profit du nouveau géant chinois et cela dans tous les domaines.
Au Sud, une autre puissance émergente telle que la Turquie se développe en lorgnant sur le Caucase. Le président Erdogan, qui a pour volonté de faire de son pays une puissance incontournable, avance ses pions auprès des pays turcophones, rêvant ainsi d’un Turkistan s’étendant d’Istanbul au Xinjiang. Les politiques russes et chinoises se voient ainsi fortement contrariées par les ambitions régionales d’Ankara. Cela a notamment pu être le cas avec le soutien turc au pouvoir azéri lors de la Seconde Guerre du Haut-Karabagh : en effet, ce soutien affiché par Erdogan représentait une menace pour la stabilité du Caucase et un affront pour la Russie puisque l’Arménie est un allié traditionnel de Moscou.
Si ces espaces sont contestés par Ankara et Pékin, les Etats-Unis et l’Union européenne ne sont pas en reste. Cependant, leur volonté de signer des accords complets et approfondis incluant la morale et les valeurs occidentales peuvent apparaître comme un frein au développement de leur influence dans la région. Les puissances régionales privilégient en effet le développement économique sans jugement moral que leur propose les autocraties chinoise et turque. Cela est notamment le cas en raison de leur proximité idéologique avec ce type de régime mais également en raison d’un Occident jugé hypocrite et moralisateur.
Ainsi, Vladimir Poutine doit faire face à une triple concurrence menaçant de toute part les intérêts russes dans ce qui représente pour lui son étranger proche.
La Russie, une puissance qui reste cependant incontournable dans la région
Si la Russie est aujourd’hui en difficulté aussi bien sur le terrain ukrainien que sur le terrain diplomatique, elle n’en reste pas moins un acteur majeur dans la sphère d’influence de son étranger proche. Cela a notamment pu être le cas en janvier 2022, lorsque Poutine ordonne le déploiement de troupes au Kazakhstan pour rétablir l’ordre après des émeutes réclamant le départ de l’ancien président Nazarbaïev, proche de Moscou. Lors de cet épisode, l’armée russe a ainsi permis le maintien au pouvoir du président Tokaïev. De fait, le Kremlin apparaît encore en mesure de faire et de défaire des gouvernements au sein de son étranger proche. Le soutien sans faille du Président biélorusse Alexandre Loukachenko, est également un signe du maintien de l’influence russe dans la région. Ainsi, et malgré la chute de l’URSS en 1991, la doctrine de l’ex-Premier Secrétaire soviétique, Leonid Brejnev, concernant les pays satellites semble toujours d’actualité.
D’un point de vue économique, on peut noter que la Russie reste le centre de gravité de la région. En effet, la Lituanie, ex-pays membre de l’URSS et désormais partie prenante de l’OTAN et de l’Union européenne, a encore la Fédération de Russie pour premier partenaire économique. Cela dénote de l’importance que garde la Russie dans le tissu économique de la région.
Malgré son affaiblissement évident depuis la chute de l’URSS, la puissance russe reste cependant un acteur clé de la région et il serait fantaisiste de croire à un développement régional excluant le Kremlin des discussions futures. Ce phénomène semble d’ailleurs être totalement indépendant de la présence ou non de Vladimir Poutine à la tête de l’Etat russe.
Conclusion
In fine, la Russie reste, malgré la contestation de ses intérêts, une puissance incontournable de ce qu’on appelle les espaces post-soviétiques. En effet, et outre le développement de la présence chinoise et américaine dans la région, l’influence du Kremlin sur les aspects économiques et militaires reste prépondérante. Néanmoins, une véritable guerre d’influence fait rage dans la région et les concurrents à l’ours russe semblent nombreux et déterminés à profiter de la situation actuelle. La guerre en Ukraine pourrait alors être un nouveau point d’inflexion dans les rapports de force qui gouvernent la région, ce qui risque de condamner l’influence régionale russe pour la prochaine décennie.
// ENGLISH //
A near future that seems to keep distancing?
On the 23rd of November 2022, war was raging in Ukraine. At the time, Vladimir Poutine wanted to prove to the world that he had not lost his international stature by going to the Collective Security Treaty Organization (CSTO) summit. This summit was supposed to be a formality for the tenant of the Kremlin. However, it took a real religious turn. As a matter of fact, except for Belarus, all CSTO members, and Armenia especially, severely criticised Russian politics. However, until a year ago, no one could have imagined such a disappointment within the Muscovite leader’s backyard.
But, could this event concretely be a sign of a paradigm change for powers affecting the near future?
The de-escalation of the Russian defender in touch with the Western power
In 1997, Zbigniew Brzezinski was insisting on the necessity of controlling Eurasia to keep the world under control. America and the rest of the world, as it appeared in its work intitled The Grand Chessboard. This idea is based on Heartland’s theory that had been developed by the British geographer Halford John Mackinder. In fact, the Polish-born strategist was explaining that the United States had to put pressure on Ukraine to impede the development of a main global force: Russia’s one.
For the near future, in agreement with this thesis, the United States pursue a containment policy about Russian influence by moving their pawns East step by step. Thus, between 1999 and 2020, nearly five NATO rounds of enlargement have occurred: this involves countries of the former Soviet bloc such as Poland, Bulgaria, Lithuania or Romania. These enlargements to East keep succeeding one to the other, as the result of tacit past agreements between western powers and Mikhaïl Gorbatchev dating back to German reunification.
These military agreements are the first part of a more overall strategy from the Westerners towards the Russian bear. In fact, they want to keep on with weakening the Russian power by relying on an economic integration of the former satellite countries of the European Union. Thus, NATO and EU would be the two facets of a single coin which aim would be Russia isolation in the area. Besides, the current war in Ukraine confirmed this tendency of relying on the American umbrella: today, NATO appears to be the key element of Eastern countries against Russia’s imperial attempts.
Americans come out better of this situation regarding their influence on East of Europe which is stronger than ever. However, focusing on Western boarders of the post-Soviet area and on the Westerners-Russians relation is not enough: moreover, in the East and in the South of its territory, Russia faces new actors and competitors ready to develop their power strategy in the area.
New actors emerge and compete with Russian influence on the area
New actors emerge in post-Soviet places with the firm intention to override Moscow’s backyard. Among them, China is very well-positioned.
In the East, China is looking to represent the new major power of the area with its Eurasian construction project. First step of it implies military introduction in the place: the 2001 Shanghai Cooperation Organization signing symbolizes the Chinese power come-back outside its borders. Since 1953 fighting in Korea stopped, this is a first. Second step for Peking relies on the statement of the Chinese power’s economy in the area. From 2013, this involves the development of new Silk Roads. Thus, Russian leading power disappears in the favour of the new Chinese giant, and so in every field.
In the South, another rising power is expanding such as Turkey who covets Caucasus. The President Erdogan is willing to make his country a major power. He advances his pawns towards Turkish-speaking countries while dreaming of a Turkestan expanding from Istanbul to Xinjiang. Russian and Chinese policies are strongly impeded by Ankara’s regional ambitions. This has been the case when Turkey was supporting Azerbaijan during the Second War of Nagorno-Karabakh. From fact, Erdogan’s open support was representing a threat to Caucasus stability and an affront to Russia since Armenia is a Moscow traditional ally.
While these areas are contested by Ankara and Peking, the United States and the European Union are not outdone. Nevertheless, their intention of signing comprehensive and detailed agreements including Western moral, and values might look like an obstacle to the development of their influence over the region. Regional powers prioritize the economic development out of any moral judgement offered by both Turkish and Chinese autocracy. This is particularly so because of their ideological proximity with this type of system but also because of a West considered hypocritical and moralizing at the same time.
Consequently, Vladimir Poutine must face a triple competition threatening Russian interests on all sides for what represents his near future.
Russia, a remaining essential power to the region
If today Russia encounters difficulty as well on Ukrainian ground or diplomatically, it is still a main actor in the sphere of influence of its near future. January 2022 showed it when to restore order, Poutine commanded troops in Kazakhstan to deploy. Riots erupted to call for the resignation of the former president Nazarbaïev who was close to Moscow. During this event, Russian army enabled the stay in power of the President Tokaïev. Consequently, in its near future, Kremlin seems even more capable of making or breaking governments. The flawless support of the Belarusian President Alexandre Loukachenko, also is a sign of the remaining Russian influence in the region. And so, despite the fall of the USSR in 1991, the doctrine of the ex-Soviet First Secretary, Leonid Brejnev, regarding satellite countries seems still relevant.
From an economical perspective, it can be noted that Russia remains the centre of gravity of the area. For example, Lithuania, is an ex-member country of the USSR and is now both a NATO and EU stakeholder but has still the Russian Federation as leading economic partner. This reflects the importance Russia has still in the economic fabric of the region.
Despite obvious weakening since the fall of the USSR, Russian power remains a key actor of the area. And it would be a whimsical belief to imagine a regional development without the Kremlin’s participation in future discussions. Besides, this phenomenon seems to be completely independent of whether Vladimir Poutine is at the head of the Russian state or not.
Conclusion
In fine, despite opposition about its interests, Russia remains a major power of what is called post-Soviet area. Apart from Chinese and American growth and presence, Kremlin’s influence on economic and military aspects remains predominant. Nevertheless, it is a real war that is raging in the region; the Russian bear competitors seem numerous and determined to enjoy the current situation. The war in Ukraine could be a new inflection point in power relations ruling the region. And, this could condemn Russian regional influence for the next decade.