Dans sa pièce de théâtre La réunification des deux Corées (2013),l’auteur et metteur en scène français Joël Pommerat utilisait la relation entre les deux Corées afin de métaphoriquement représenter les difficultés de l’amour.  En effet, le couple est, selon lui, une entité formée par deux individus autonomes et contraires, qui sont irrésistiblement reliés, mais également impossible à concilier dans la durée, à l’instar des deux pays de la péninsule. Cette interprétation théâtrale des relations coréennes résonne d’autant plus alors que de nouveaux bouleversements sont survenus dans la région. En effet, ce 28 octobre 2022, la Corée du Nord a tiré à quatre reprises des missiles balistiques dans la mer occidentale, dont un proche des eaux territoriales australiennes. Ces essais sont une réponse au plus grand exercice militaire conjoint jamais réalisé entre les Etats-Unis et la Corée du Sud, appelé « Tempête vigilante » (Vigilent Storm). La Corée du Nord avait alors promis une réponse « soutenue, ferme et écrasante ». Pyongyang n’a fait qu’attiser la crainte de Washington et Séoul en tirant un nouveau missile balistique ce 9 novembre, cette fois en direction de la mer du Japon. Ce jour a été symboliquement choisi par le dirigeant nord-coréen Kim Jong-un, car d’abord les Etats-Unis étaient en plein dépouillement des votes des élections des midterms, mais également parce que deux jours après se tenait l’ouverture du sommet des dirigeants de l’Association des nations d’Asie du Sud-Est.

Si ces dernières années les démonstrations de force nord-coréennes sont survenues régulièrement, la réponse ferme et vigoureuse de l’administration sud-coréenne aux tirs de missiles est, elle, inédite. Le nouveau président sud-coréen, Yoon Seok-youl, bien plus conservateur que son prédécesseur, s’est empressé de qualifier ces attaques d’ “invasion territoriale”. Des mots forts au vu des réels agissements nord-coréens, mais qui illustrent assurément une montée grave des tensions entre les deux Corées. On en viendrait même à oublier la poignée de main historique échangée il y a peu, en 2018, entre les deux homologues coréens sur la Ligne de démarcation militaire et qui semblait annoncer une phase de détente. Cette aggravation subite des relations fait également suite aux exercices aériens d’ampleur menés par la Corée du Sud avec les Etats-Unis, qui ont été immédiatement perçus comme une provocation au Nord. Ces soi-disant « répétitions générales » selon le dirigeant nord-coréen, ayant eu lieu sous ses yeux, attisent sa colère et génèrent une nouvelle fois de l’agressivité aussi bien dans ses déclarations que dans ses actes. Faire des concessions et initier des négociations seraient pour lui un signe d’impuissance intolérable dans sa quête perpétuelle de reconnaissance mondiale, d’où cette énième démonstration de force. Dès lors, comment envisager la suite dans ce contexte pesant ? Ces tensions pourraient-elles déclencher un conflit entre les deux Corées ? 

Cela paraît peu probable. A défaut d’être une puissance économique à l’instar de son voisin du Sud, la Corée du Nord, dirigée d’une main de fer par la lignée des Kim, a toujours misé sur le développement et le perfectionnement de son armement. Cependant, face aux convoitises étrangères, il s’agissait davantage d’une assurance vie, destinée à garantir la survie du régime, que d’un outil de destruction massif. Les cinq essais nucléaires menés entre 2006 et 2016 par le régime nord-coréen étaient des provocations surtout à mettre sur le compte d’une confrontation asymétrique avec les Etats-Unis. En réalité, l’aide américaine apportée à la Corée du Sud à laquelle s’oppose le soutien étroit entre Pyongyang et Pékin freinent les véhémences et incitent les deux Corées à mesurer leurs actions. De même, sur le plan intérieur, tous les discours agressifs proférés par le dirigeant de la République populaire démocratique de Corée (RPDC) à l’égard de ses ennemis sont destinés à rallier l’opinion publique autour de l’unité nationale, jusqu’à oublier les graves difficultés alimentaires et les pénuries.

 Cependant, le nombre record d’essais nucléaires de la Corée du Nord cette année témoigne également d’une confiance croissante de Kim Jong-un en ses capacités d’action, ce qui n’est pas sans inquiéter le Sud comme les EU. D’autant plus en tenant compte de la situation en Ukraine qui joue en faveur de la Corée du Nord. Le Japon a également manifesté une certaine fébrilité en lançant une alerte nationale et télévisée (qui s’est révélée fausse par la suite) à propos d’un missile nord-coréen qui menaçait de survoler l’archipel. Un événement qui n’a rien d’anecdotique et de rassurant sur la sécurité dans la région. Un regain des tensions intercoréennes qui réveille également un passé houleux, souvent placé sous le signe de la confrontation. 

En effet, il est bon de rappeler que ces tensions entre les deux Corées sont loin d’être récentes. La guerre de Corée (1950-1953) marqua un point de non-retour, ce qui mena à la situation actuelle. Tout commença en 1910, lorsque le Japon annexa la Corée. Un « gouvernement provisoire coréen », présidé par Syngman Rhee, fut installé en 1919. Le mécontentement des coréens vis-à-vis de ce « gouvernement » ainsi que leur soif d’indépendance amena le mouvement national coréen à prendre de plus en plus d’ampleur au cours de ces années. En 1945, le mouvement était divisé en deux : une partie préférant le soutien des Etats-Unis et qui était dirigée par Syngman Rhee, et la seconde préférant le soutien du Kuomintang (c’est-à-dire le parti politique dominant à cette époque en Chine, qui est aujourd’hui installé à Taiwan), et qui était dirigée par Kim Koo. Le 6 septembre 1945, un Comité créé exprès par le Japon pour la question coréenne, nomina une Assemblée nationale. Cette dernière déclara le jour même l’indépendance de la Corée. La division du pays ne fit alors que s’amplifier, entre la présence des Soviétiques au Nord qui favorisèrent une administration communiste, et celle des Américains au Sud, qui ont jugé que l’Assemblée nationale n’était pas assez représentative et qui ne l’ont donc pas reconnue. Par la suite, toutes les tentatives pour résoudre la situation ont été vaines : ni la Conférence de Moscou ni la « procédure de Yalta » n’ont réussi à surmonter le dissensus entre l’URSS et les Etats-Unis. Des élections pour nommer un gouvernement furent menées par chacun des protagonistes, évidemment contestées par l’adversaire. Au sud, ce fut Syngman Rhee qui se trouva nominé, et la République de Corée fut proclamée. Tandis qu’au Nord, il s’agissait de la République démocratique et populaire de Corée, dirigée par Kim Il-sung. C’est ainsi que naquirent deux Etats coréens, chacun prétendant représenter l’entièreté du pays. Après une escalade militaire et l’échec de plusieurs tentatives de négociations, la Corée du Nord, soutenue par l’URSS et la République populaire de Chine, décida d’envahir la Corée du Sud, toujours soutenue par les Américains, en 1950.

Après trois années de conflits et une dangereuse escalade des menaces nucléaires entre les Etats-Unis et la Chine, Staline décida qu’il était temps de mettre fin à cette guerre, au début de l’année 1953. En effet, le leader soviétique expliqua son point de vue quant à la question coréenne dans son dernier texte, Les problèmes économiques du socialisme en URSS (1952). Il voyait dans la guerre de Corée l’échec de sa « stratégie de la tension », qui avait eu pour résultat de créer une coalition antisoviétique. Il souhaitait désormais opter pour une « stratégie de détente », ce qui influença les politiques étrangères de ses deux successeurs Malenkov et Khrouchtchev. Malgré la mort de Staline le 4 mars, un armistice fut finalement signé le 23 juillet 1953.

Finalement, la délimitation entre les deux États coréens et la création d’une zone militarisée qui s’en est suivi n’ont tout du moins rien résolu des différends et des tensions qui sévissent encore aujourd’hui. Plus encore, l’insécurité, la discorde, les influences étrangères, l’absence de coordination internationale sont autant d’éléments favorables à Kim Jong-un pour aller de l’avant, semer le doute, multiplier les démonstrations de force et accroître sa crédibilité sur la scène internationale.

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North Korea and South Korea: two states irresistibly irreconcilable?

       In his play The reunification of the two Koreas (2013), the French author and stage director Joël Pommerat was using the relationship between the two Koreas to metaphorically represent love difficulties. Indeed, the couple is for him an entity formed by two autonomous and opposite individuals, who are irresistibly linked, but also impossible to conciliate over time, like the two peninsular countries. This theatrical interpretation of the Korean relationships resonates all the more since there are new upheavals which have occured in the area. Indeed, this 22th October of 2022, North Korea shot four times ballistic missiles in the West Sea, among which one near the Australian territorial sea. These tests are a response to the biggest common military exercise ever realized between the United States and South Korea, called « Vigilent Storm ».Then, North Korea had promised a « strong, severe and crushing» response. Pyongyang only inflamed the Washington and Seoul fear by shooting a new ballistic missile this 9th November, this time towards Japan Sea. This day was symbolically chosen by the North-Korean leader Kim Jong-un, at first the United States were in the middle of midterms elections vote counting, but also two days after there was the opening of the Association of Southeast Asian Nations leaders’ summit.

      If during these last years North Korean demonstrations have occured regularly, the strong and vigorous response of the South Korean administration to the missile fire is totally unprecedented. The new South Korean president, Yoon Seok-youl, far more conservative than his predecessor, was quick to qualify those attacks of « territorial invasion ». Strong words in view of the real North Korean activity, but certainly, they illustrate a serious rise of the tensions between the two Koreas. We almost come up to forget the historical shakehand delivered recently, 2018 between the two Korean counterparts that happened on the military demarcation line and which seemed to announce a relaxation phase. This unexpected deterioration of the relationships also follows the huge air force exercises led by South Korea with the United States, which immediatly have been perceived as a provocation in the North. According to the North-Korean leader, these so-called « general rehearsals » that he has witnessed, they inflame his anger and once again generate aggressiveness not only in his statements but also in his acts. Making concessions and starting negotiations would be an intolerable sign of weakness in his perpetual quest of worldwide recognition, hence this thousandth show of force. Therefore, how can we consider the future in this suffocating context? Could these tensions start a conflict between the two Koreas?

      This seems very unlikely. For lack of being an economic power contrary to its Southern neighbor, and because it is strongly ruled by the Kim line, North Korea always has bet on its weapons development and improvement. However, in face of the foreign claims, this strategy was more like a life insurance destined to guarantee he survival of the regime than a massive destruction toy. The five nuclear tests led between 2006 and 2016 by the North Korean regime were mostly provocations based on an asymmetric confrontation with the United States. In fact, the American help brought to South Korea to which is opposed the strong support between Pyongyang and Pékin hinders the vehemences and incitates the two Koreas to weigh their actions. Similarly, internally, all the aggressive speeches uttered by the leader of the Democratic and Popular Republic of Korea (DPRC) towards his enemies are destined to gather public opinion around national unity, so much so that serious nutrition difficulties and shortages are relegated in the background.

      However, the record number of nuclear tests from North Korea this year testifies of an increasing confidence of Kim Jong-un for his action capacities, which makes all but elude the worries of the South and the USA. All the more when we know the situation in Ukraine benefits to North Korea. Japan has also manifested a certain feverishness too by launching a national alarm televised which turned out to be a fake news) concerning a North Korean missile that was threatening  to fly above the archipelago. An event which is neither anecdotic nor reassuring abouthe area security. Inter Korean renewed tensions reminds up also a tumultuous past, often placed under the sign of confrontation.

       Indeed, it is good to remind that these tensions between the two Koreas are far from being recent. Korean war (1950-1953) was the tipping point of this situation that we experience today. Everything began in 1910, when Japan annexed Korea. A « temporary Korean government » was instaured in 1919 with Syngman Rhee as president. The anger of the Korean people towards this « government » added to their thirst for independence brought the Korean national movement to gain even more importance during those years. In 1945, the movement was divided in two parts: the first one favoring the support of the United States that was led by Syngman Rhee, and the second one preferring the support of Kuomintang (which was the dominant political party at this time in China, today Kuomintang is established in Taiwan) led by Kim Koo. The 6th September of 1945, a Comity purposely created by Japan for the Koreane issue, nominated a National Assembly. On the same day, this institution declared Korea’s independence. Division of the country was then amplifying again and again, on one side the presence of the Sovietics in the North that facilitated a communist administration, and on the other side, the American presence in the South, who considered that the National Assembly was not enough representative. Thus they didn’t recognize it. Then, all the tries in order to solve the situation were unsuccessful: neither the Moscow Conference nor the « Yalta procedure » have succeeded to overcome the dissensus between the USSR and the United States. Elections to nominate a government were led by each of the protagonists whoch was, of course contested by the opposition. In the South, it was Syngman Rhee who was nominated, and the Korean Republic was proclaimed. In opposition to thath,  in the North, it was the Democratic and Popular Republic of Korea, led by Kim Il-sung. This is how two Korean states were born, each of them pretending to represent the whole country. After a military escalation and the failure of many attempts of negotiations, North Korea supported by the USSR and the popular Republic of China, decided to invade South Korea, on its side supported by America in 1950.

      After three years of conflicts and a dangerous escalation of the nuclear threats between the USA and China, Staline decided that it was time to end up the war, at the beginning of the year 1953. Indeed, the Soviet leader explained his point of view concerning the Korean issue in his last book, The economic issues of socialism in USSR (1952). He was perceiving in the Korean war the failure of its « tension strategy », that had led to the creation of an anti-Soviet coalition. From then, he was hoping to opt for a « relaxation strategy », which influenced the foreign policies of his two successors Malenkov and Khrouchtvhev. Despite of Staline’s death on the 4th of March, an armistice was finally signed on the 23th of July  1953.

       Therefore, the boundary between the two Korean states and the creation of a demilitarized zone that followed did’nt solved any contentious or tension which persists today. Moreover, insecurity, discord, foreign influences and lack of international coordination are all favorable elements for Kim Jong-un to move forward, sow doubt, multiply strength demonstrations and enhance his credibility on the international stage.

Pauline Papazian
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