Depuis les affrontements de septembre dans le Haut Karabakh, plusieurs vidéos azéries d’actes de
tortures commis à l’encontre de prisonniers arméniens ont circulé. D’une exceptionnelle violence,
ces images viennent illustrer le rare niveau d’aversion atteint entre les parties après 30 ans de conflit
larvé : exécutions sommaires, corps dénudés, mutilations, doigt coupé dans la bouche… L’ONG
Human Rights Watch a d’ores et déjà attesté la véracité de ces vidéos et accusé l’Azerbaïdjan de
crimes de guerre. Après avoir été écartée en 2020 des médiations du conflit, l’Europe profite de
l’occupation russe en Ukraine pour revenir sur le devant de la scène. L’UE a ainsi dépêché une
mission d’experts observateurs en Arménie pour élucider l’incident.

Un conflit latent depuis bientôt trente ans

L’antagonisme Arménie-Azerbaïdjan remonte à une courte période d’indépendance entre 1918 et
1921. Le conflit était – et est aujourd’hui encore – essentiellement lié à la revendication de 3 régions
par les 2 pays : le Nakhitchevan, le Zanguezour et le Haut-Karabagh. La problématique est la suivante
: l’intégration d’un espace à un pays doit-elle se faire en fonction de critères ethniques ou de critères
historiques et administratifs. Tandis qu’au Nakhitchevan et au Zanguezour des facilités
géographiques (proximité avec la Turquie pour l’un et continuité géographique pour l’autre) vont
permettre aux autorités d’asseoir un pouvoir pérenne, la situation au Haut-Karabagh va se dégrader
avec la fin de l’URSS. En 1988, la République soviétique d’Arménie revendique l’oblast autonome du
Haut-Karabakh, peuplé majoritairement d’arméniens et alors partie intégrante de l’Azerbaïdjan
soviétique. Pour l’Azerbaïdjan, l’Arménie conteste son intégrité territoriale. La guerre est déclarée
en 1991 avec la déclaration d’indépendance du Haut-Karabagh soutenue par l’Arménie. Elle prend
fin en 1994 et son bilan est lourd de conséquences : 30000 morts et le Haut-Karabagh soutenu par
l’Arménie sort vainqueur. L’Arménie prend le contrôle de territoires bordant le Haut-Karabagh, ce
qui permet de désenclaver la région. Les forces arméniennes contrôlent alors environ 13,4 % du
territoire azerbaïdjanais tel qu’il est reconnu par la « communauté internationale ». Après cette
défaite, l’Azerbaïdjan s’arme et s’enrichit avec le gaz qu’il exploite (budget de la défense : 129 M de
$ en 2000 ; 2500 M de $ en 2015). En 2016, un premier affrontement sans conséquences stratégiques voit l’Azerbaïdjan infliger une première défaite aux forces karabakhiotes. Puis, en 2020, les combats reprennent et cette fois l’Azerbaïdjan obtient de vrais résultats. Le pays annexe trois quarts des territoires en Azerbaïdjan sous contrôle arménien, l’Arménie s’engage à restituer à terme le reste de ces territoires et un corridor pour relier le Nakhitchevan à l’Azerbaïdjan doit être établi
sous contrôle azéri. Depuis lors, des affrontements entre azéris et arméniens continuent d’avoir lieu à la frontière.

Guerre d’influence dans le Caucase

Rétrospectivement, le Caucase a, pendant une longue période, été sous le joug des empires ottoman et
russe. Ces deux puissances continuent d’influer dans la région. Tandis que l’Azerbaïdjan bénéficie
d’un soutien inconditionnel de la Turquie, qu’elle considère comme son “petit frère”, l’Arménie a
toujours été proche de Moscou. Pour autant, ces deux pays ont adopté une position complètement
différente au cours du confit. Alors que la Turquie s’est largement engagée auprès de l’Azerbaïdjan
en contribuant à la préparation militaire et technologique de Bakou, la position russe s’est faite plus
conciliante. Bien qu’elle possède une base militaire en Arménie et que dans le cadre des accords de
l’OTSC elle ait promis un soutien militaire à Erevan en cas d’agression, la Russie n’est pas intervenue
au cours du conflit. Et pour causes, l’Azerbaïdjan entretient avec Moscou de nombreux accords de
coopération qui concernent tant la sécurité transfrontalière que l’énergie, l’exploitation des
ressources de la mer Caspienne ou les transports. Par ailleurs les revendications territoriales de
Bakou ne sont pas liées à une rhétorique pro-occidentale et antirusse, comme cela a pu être le cas
en Géorgie. In fine Moscou n’a aucun intérêt à ce que le conflit s’envenime. La guerre a vu le nombre
de militants djihadistes affluant depuis le Moyen Orient s’accroitre densément depuis 1990, ce qui
peut laisser présager une déstabilisation de l’étranger proche de la Russie.


En ce qui concerne l’Occident, les Etats Unis et la France ont coprésidé le groupe de Minsk (organe
au sein de l’OSCE chargé de la résolution du conflit) aux côtés de la Russie de 1994 à 2016. En 2016,
le président azerbaidjanais remet en cause le format des négociations menées par le groupe de
Minsk, son dernier sommet remonte à 2017. Depuis, l’Europe s’est récemment réinvestie dans les
médiations en organisant une rencontre en mai entre les présidents des deux pays rivaux à
Bruxelles. Le 2 octobre se sont poursuivis ces efforts à Genève avec une réunion bilatérale entre les
ministres des Affaires étrangères d’Arménie et d’Azerbaïdjan pour discuter d’accords de paix.

Les conséquences du conflit en Ukraine

Toutefois, malgré l’importance historique de cette guerre , et au grand dam de l’Arménie, le conflit
russo-ukrainien a redirigé l’attention des protecteurs de la jeune démocratie ailleurs. Parmi ces
grands protecteurs se trouve la Russie, défendant sa zone d’influence caucasienne via l’Organisation
du Traité de Sécurité Collective (OTSC), s’érigeant ainsi en grande alliée de l’Arménie. Or, depuis le
début de la guerre en Ukraine et à cause de ses importantes pertes militaires, cette dernière est
incapable de venir en aide à Erevan, et ce malgré ses demandes répétées, menant même la jeune
démocratie arménienne à décrire la Russie comme étant « une alliée sans fiabilité ». Cependant, la
Russie n’est pas la seule puissance à détourner le regard face à la situation arménienne : nous
pouvons aussi citer l’Union européenne. En effet, cela fait maintenant près de 30 ans que cette
dernière mène des actions inefficaces pour apaiser les tensions entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Au
lendemain de la mise en lumière des nombreux crimes de guerre commis par l’Azerbaïdjan, l’UE
continue de traiter avec Bakou pour assurer un approvisionnement sûr en énergie en suivant
aveuglément sa politique de diversification des sources d’approvisionnement, cette politique étant
aussi une conséquence directe de la guerre en Ukraine. Toutefois, le 7 octobre dernier, lors d’une
réunion à Prague, une mission d’observation civile à la frontière entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan a
été lancée par l’UE visant à « faciliter le rétablissement de la paix et de la sécurité » selon Emmanuel
Macron et Charles Michel. Ainsi, il nous est aisé de comprendre que le conflit russo-ukrainien
“occulte” les récentes évolutions de la guerre historique à laquelle se livrent l’Arménie et
l’Azerbaïdjan car les intérêts des grands acteurs sont ailleurs : en Ukraine pour la Russie et dans la
recherche d’alternatives énergétiques (notamment en Azerbaïdjan) pour l’UE.

Conclusion

Le conflit opposant l’Arménie et l’Azerbaïdjan depuis l’effondrement de l’URSS est récemment
monté en intensité avec le dévoilement de vidéos azéries montrant des exécutions sommaires de
prisonniers arméniens. Cet affrontement de près de 30 ans est un conflit d’intérêt géographique
concernant la région du Haut-Karabagh, composé d’une majorité d’Arméniens mais situé sur le
territoire de l’Azerbaïdjan. Après une guerre remportée par l’Arménie, cette dernière prend
possession de la région et la désenclave. Cependant, l’Azerbaïdjan a profité de l’exploitation de ses
ressources naturelles pour moderniser son armée et inverser le rapport de force dans le HautKarabagh. Mais l’Azerbaïdjan et l’Arménie ne sont pas les seuls acteurs de ce conflit. En effet, de
nombreux jeux d’alliance sont en marche au Caucase. L’Arménie bénéficie du soutien de la Russie en
vertu de l’OTSC tandis que l’Azerbaïdjan peut compter sur la Turquie. Toutefois, les bonnes relations
qu’entretient la Russie avec Bakou freinent son intervention dans la région. L’Occident joue quant à
lui un rôle de conseiller au conflit. Notons aussi que l’Arménie soutient la Russie dans son invasion
de l’Ukraine, soutien qui se révèle à sens unique puisque ce conflit russo-ukrainien monopolise
l’attention de la Russie qui ne peut plus aider l’Arménie dans son conflit, tout comme l’UE qui se
préoccupe plus de ses approvisionnements énergétiques. Ainsi, le conflit opposant l’Arménie et
l’Azerbaïdjan est aujourd’hui loin d’être résolu et les escalades de violence continuent dans
l’ignorance la plus totale, l’attention collective étant portée vers le conflit Ukrainien.

// ENGLISH //

Nagorno-Karabakh : War crime, influence struggle, Ukrainian consequences?

Since the September clashes in Nagorno-Karabakh, several Azeri videos of torture committed against
Armenian prisoners have circulated. These exceptionally violent images illustrate the rare level of
aversion reached between the parties after 30 years of latent conflict: summary executions, stripped
bodies, mutilations, fingers cut off in the mouth… The NGO Human Rights Watch has already
attested to the veracity of these videos and accused Azerbaijan of war crimes. After having been
sidelined in 2020 from the mediation of the conflict, Europe is taking advantage of the Russian
occupation of Ukraine to return to the forefront of the scene. The EU has thus sent a mission of
expert observers to Armenia to clarify the incident.

A latent conflict that has been existing for nearly 30 years

The Armenia-Azerbaijan antagonism dates back to a short period of independence between 1918
and 1921. The conflict was – and still is today – essentially linked to the claim of 3 regions by the 2
countries: Nakhchivan, Zanguezur and Nagorno-Karabakh. The problem is the following: should the
integration of a region into a country be based on ethnic criteria or on historical and administrative
criteria? While in Nakhchivan and Zanguezur geographical facilities (proximity to Turkey for one and
geographical continuity for the other) will allow the authorities to establish a permanent power, the
situation in Nagorno-Karabakh will deteriorate with the end of the USSR. In 1988, the Soviet
Republic of Armenia claimed the autonomous oblast of Nagorno-Karabakh, populated mainly by
Armenians and then an integral part of Soviet Azerbaijan. For Azerbaijan, Armenia contests its
territorial integrity. War was declared in 1991 with the declaration of independence of NagornoKarabakh supported by Armenia. It ended in 1994 with heavy consequences: 30,000 dead and the
Armenian-backed Nagorno-Karabakh was the winner. Armenia took control of the territories
bordering Nagorno-Karabakh, which allowed the region to be opened up. Armenian forces now
control about 13.4% of Azerbaijani territory as recognised by the ‘international community’. After
this defeat, Azerbaijan armed itself and became richer with the gas it exploited (defence budget:
$129m in 2000; $2500m in 2015). In 2016, a first confrontation without strategic consequences saw
Azerbaijan inflict a first defeat on Karabakh forces. Then, in 2020, the fighting resumed and this time
Azerbaijan obtained real results. The country annexed three quarters of the territories in Azerbaijan
under Armenian control, Armenia undertook to return the rest of these territories in time and a
corridor to link Nakhichevan to Azerbaijan was established under Azeri control. Since then, clashes
between Azeris and Armenians continue to take place on the border.

An influence war in Caucasus

In retrospect, the Caucasus was for a long time under the yoke of the Ottoman and Russian empires.
These two powers continue to influence the region. While Azerbaijan enjoys unconditional support
from Turkey, which it regards as its ‘little brother’, Armenia has always been close to Moscow.
However, the two countries have adopted a completely different position during the conflict. While
Turkey has been heavily involved with Azerbaijan, contributing to Baku’s military and technological
preparedness, the Russian position has been more conciliatory. Although it has a military base in
Armenia and has promised military support to Yerevan in the event of aggression under the CSTO
agreements, Russia did not intervene in the conflict. And for good reason, Azerbaijan has numerous
cooperation agreements with Moscow, which concern cross-border security as well as energy, the
exploitation of the resources of the Caspian Sea and transport. Moreover, Baku’s territorial claims
are not linked to pro-Western and anti-Russian rhetoric, as was the case in Georgia. Ultimately,
Moscow has no interest in the conflict escalating. The war has seen the number of jihadist militants
flowing in from the Middle East increase densely since 1990, which may point to a destabilisation of
Russia’s near abroad.


Concerning the West, the US and France co-chaired the Minsk Group (the conflict resolution
body within the OSCE) with Russia from 1994 to 2016. In 2016, the Azerbaijani president challenged
the format of the Minsk Group’s negotiations, with its last summit in 2017. Since then, Europe has
recently reinvested in mediation by organising a meeting in May between the presidents of the two
rival countries in Brussels. On 2 October, these efforts continued in Geneva with a bilateral meeting
between the foreign ministers of Armenia and Azerbaijan to discuss peace agreements.

The consequences of the Ukrainian conflict

Despite the historical importance of this war, and to the great displeasure of Armenia, the conflict
between Russia and Ukraine has redirected the attention of the young democracy’s protectors
elsewhere. Among those protectors is Russia, which defends its Caucasian influence zone through
the Collective Security Treaty Organization (CSTO). This way, Russia stood up as one of Armenia’s
greatest allies. However, since the beginning of the Ukraine war, Russia has suffered from important
military loss which hinders it from helping Erevan, and this despite its numerous requests. The young
Armenian democracy even said that Russia is “an unreliable ally”. However, Russia is not the only
power to look elsewhere while Armenia is threatened : the European Union is doing it too. In fact, it
has been 30 years now that the EU is leading useless actions in an attempt to cool the tensions
between Azerbaijan and Armenia down. Right after the unveiling of the war crimes committed by
Azerbaijan, the EU was still leading discussion with Baku to ensure a safe energy supply, blindly
following its policy of supply diversification. This policy being a direct consequence of the Ukraine
war. Nevertheless, on October 7th, during a meeting in Prague, a civil observation mission to the
border between Armenia and Azerbaijan has been decided by the EU. This mission aims to “facilitate
the reinstatement of peace and security” according to Emmanuel Macron and Charles Michel. We
can then easily understand that the Ukrainian conflict “occult” the recent evolutions of the historical
war that opposes Armenia and Azerbaijan because the greatest actors are looking elsewhere : Russia
is looking at Ukraine and the EU is looking for alternative energy supplies (including in Azerbaijan).

Conclusion

Since the collaspe of the USSR, the conflict between Armenia and Azerbaijan has recently intensified
with the release of Azeri videos showing summary executions of Armenian prisoners. The nearly 30-
year old clash is a conflict over geographical interests in the Nagorno-Karabakh region, which is
predominantly Armenian but located on Azerbaijani territory. After a war won by Armenia, the latter
took possession of the region and opened it up. However, Azerbaijan took advantage of the
exploitation of its natural resources to modernise its army and reverse the balance of power in
Nagorno-Karabakh. But Azerbaijan and Armenia are not the only actors in this conflict. Indeed, many
alliances are in motion in the Caucasus. Armenia has the support of Russia under the CSTO, while
Azerbaijan can count on Turkey. However, Russia’s good relations with Baku hinder its intervention
in the region. The West plays an advisory role in the conflict. It should also be noted that Armenia
supports Russia in its invasion of Ukraine, a support that turns out to be a one-way street since the
Russian-Ukrainian conflict monopolises the attention of Russia, which can no longer help Armenia in
its conflict, just like the EU, which is more concerned with its energy supplies. Thus, the ArmenianAzerbaijani conflict is now far from being resolved and the escalation of violence continues in total
ignorance, with the collective attention being focused on the Ukrainian conflict.

Quentin Chhay
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Simon Retiere
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