Grande puissance régionale, l’Iran assoit son influence sur le Moyen-Orient en mettant en œuvre des moyens politiques et militaires conséquents. La République Islamique compte notamment sur « les Gardiens de la révolution », sorte d’organisation militaire largement implantée dans les pays comprenant des communautés chiites à l’instar du Liban. L’Iran s’appuie en outre à l’extérieur de ses frontières sur des forces armées comme le Hezbollah ou les milices chiites en Syrie et en Irak. Le pays dispose aussi de relais comme le Jihad Islamique et le Hamas en Palestine qui jouent le rôle de supplétifs pour favoriser sa politique ou ses actions. Le développement d’un programme nucléaire iranien témoigne également d’une volonté géostratégique de puissance, notamment à l’échelle du Moyen-Orient.  

Mais la puissance iranienne ne saura se résumer à ces seuls facteurs. Le pays met en œuvre une véritable diplomatie culturelle, tout particulièrement à l’échelle régionale où elle entend contrer l’influence d’acteurs sunnites tels que l’Arabie Saoudite et la Turquie. Il existe à ce titre un véritable soft-power iranien, mais comment s’exerce-t-il ?  

L’Iran, leader chiite  

La République Islamique d’Iran est la plus grande représentante du monde chiite. Le chiisme est une branche minoritaire de l’Islam regroupant environ 10% des Musulmans, le sunnisme étant la branche majoritaire. La communauté chiite est très largement majoritaire en Iran puisqu’elle correspond à 90% de la population totale du pays et représente par ailleurs 40% de la population chiite mondiale. L’Iran se positionne ainsi comme le leader de toutes les communautés chiites du monde. Principalement implantées en Irak, le long du Golfe Arabo-Persique, au Liban, en Syrie, en Afghanistan, au Pakistan et au Yémen, les minorités chiites constituent des points d’ancrages stratégiques permettant à Téhéran de déployer une politique d’influence à l’échelle régionale.   

L’Iran peut ainsi compter sur les réseaux cléricaux chiites transnationaux qui relient traditionnellement le clergé iranien aux clergés irakiens et libanais pour tisser des liens avec les élites chiites des autres pays. Par ailleurs, les bonyad (« fondations religieuses ») iraniennes s’implantent parmi ces communautés chiites où elles fournissent une aide matérielle aux populations démunies pour les encourager à soutenir les mouvements politiques favorables à la République Islamique. Les réseaux de pèlerinages et de sanctuaires chiites constituent également un moyen d’influence important sur les chiites venus d’ailleurs. L’Iran comprend à ce titre plusieurs lieux saints chiites sur son territoire. Cette influence religieuse repose par ailleurs sur des centres de formations chiites (Hawza) dont l’un des plusprestigieux est situé à Qom en Iran.   

  

L’influence de l’Iran dans le domaine de l’enseignement supérieur et de la recherche  

L’enseignement et la recherche joue un rôle important dans le soft-power iranien. Le régime chiite diffuse sa culture et l’enseignement du farsi (langue majoritaire en Iran) par l’intermédiaire d’universités implantés dans divers pays du Moyen-Orient. Par exemple, en Syrie, des départements et chaires de recherches en farsi sont désormais ouverts dans l’Université de Damas, l’Université Baath de Homs et l’Université de Tishreen à Lattaquie. Cette influence culturelle dans le domaine de l’enseignement s’exerce de très nombreuses façons : conférences, cours de langues, activités de traduction, création auprès des universités syriennes de diplômes, de masters, de doctorats en langue persane, bourses d’études pour les universités iraniennes, projets de coopération entre différents instituts de recherche, jusqu’aux traductions de films et téléfilms iraniens pour la télévision syrienne.  

L’Iran souhaite aussi faire rayonner sa puissance par l’intermédiaire de son soft-power scientifique. Depuis la fin des années 1990, le gouvernement iranien a eu à cœur de développer l’excellence de ses filières d’enseignement supérieur et universitaire, comme en témoigne le nombre important d’articles publiés dans les revues académiques internationales par des chercheurs iraniens. La recherche iranienne a à ce titre connu une croissance spectaculaire en à peine une vingtaine d’années. Selon le Consejo Superior de Investigaciones Científicas (Conseil Supérieur d’Investigation Scientifique en Espagne), le nombre de publications scientifiques iraniennes en 1996 s’élevait à 842. En 2018, ce nombre a été multiplié par 72 pour atteindre 60 268 publications scientifiques. L’Iran se place aujourd’hui au 16ème rang mondial en termes de nombre de publications scientifiques. À titre de comparaison avec les autres puissances régionales, la Turquie occupe la 19ème place tandis que l’Arabie Saoudite la 32ème place.  

  

Soft-power iranien et médias  

Dans le cadre de sa diplomatie culturelle, le gouvernement iranien a réalisé d’importants investissements avec la création de médias de propagande diffusant l’idéologie du régime islamique. En République islamique d’Iran, le guide suprême supervise toutes les activités médiatiques par l’intermédiaire de l’organe gouvernemental de Radiodiffusion de la République Islamique d’Iran (IRIB). Des chaînes de télévisions iraniennes diffusées dans l’ensemble du Moyen-Orient telles que Al-Alam pour la langue arable ou encore la chaîne d’information en continu IRINN (Islamic Republic of Iran News Network) ont ainsi été créées. Des chaînes de radio internationales comme l’Irib World Service, dont les informations sont relatées dans 30 langues différentes, sont destinées à diffuser la parole du régime à travers le monde.  

  

La diaspora iranienne à travers le monde   

La montée en puissance des familles enrichies, notamment du fait des revenus perçus par exportation du pétrole dès les années 1960, a fait basculer l’Iran d’un système féodal ancré dans le monde rural vers une nouvelle bourgeoisie citadine. La révolution islamique de 1979 marquait de plus, le point culminant de l’exil politique de l’élite iranienne. Par voie de conséquence, ces familles se sont rapidement installées aux Etats-Unis, en Grande Bretagne et en Allemagne principalement. Eduquée et hautement qualifiée dans sa grande majorité, la communauté iranienne immigrée s’est, de façon générale, parfaitement intégrée économiquement et socialement dans les différents pays où elle s’est implantée. La communauté iranienne à l’étranger occupe majoritairement une place de choix dans des secteurs plus que jamais stratégiques tels que l’informatique, le design, le BTP, le commerce de tapis et de bijoux ainsi que l’immobilier notamment dans les pays du Golfe Persique et à Los Angeles. Rien d’étonnant que cette dernière possède le surnom de « Tehrangeles », tant une grande partie des 4 millions de personnes composants cette diaspora dans le monde y occupe une place considérable. En France, cette diaspora est estimée à 40 000 personnes, et est symbolisée par la rue des entrepreneurs à Paris, d’ailleurs baptisée la Petite Perse. Désormais, il reste à savoir si 15% des exilés iraniens considérés comme des acteurs politique, tous accueillis dans le cadre de la Convention de Genève de 1949 et qui estiment que leur exil est provisoire et qu’il y aura, un jour ou l’autre, un retour en Iran, parviendront un jour à faire rayonner l’Iran de nouveau. C’est finalement toute l’histoire contemporaine de l’Iran après tout…  

Bénéficiant du prestige et de l’attrait qu’exerce la culture iranienne au sein du monde musulman chiite, la République islamique d’Iran déploie son idéologie et étend sa culture pour accroître son influence et s’imposer comme une grande puissance.  

Cependant, l’impact du soft-power iranien à l’extérieur du pays semble limité, à l’exception des milieux chiites déjà favorables au régime de Téhéran. L’influence iranienne ne croît finalement qu’au sein de pays déjà acquis à la cause du régime, notamment l’Irak et la Syrie.  

Par ailleurs, le déploiement d’un soft-power,s’il se comprend comme une stratégie de puissance globale, peut également être perçu comme une volonté de dissimuler les faiblesses chroniques du régime iranien. L’exaltation de la civilisation iranienne cache ainsi un pouvoir économique relativement faible (dépendance aux ressources énergétiques et surrégulation par l’Etat affaiblissent l’économie du pays) et des capacités militaires finalement en retrait par rapport aux concurrents régionaux.  

Sources :

  • Nassef, W. (s. d.). La géopolitique du Soft Power iranien, le cas de la Syrie. Consulté 4 décembre 2021, à l’adresse   

https://frblogs.timesofisrael.com/la-geopolitique-du-soft-power-iranien-le-cas-de-la-syrie/

  

  • Renard, C. (2016, février 23). Cinq facteurs qui expliquent la puissance iranienne. France Culture.  

https://www.franceculture.fr/geopolitique/cinq-facteurs-qui-expliquent-la-puissance-iranienne

  

  • « Où va l’Iran ? », Entretien avec Mohammad-Reza DJALILI et Thierry KELLNER. Réalisé par Emmanuel LINCOT. Octobre 2016.  

https://www.iris-france.org/wp-content/uploads/2016/10/Asia-Focus-2-Kellner-Thierry.pdf

  

  • De Prémonville, A.-L. (s. d.). Les fondements de la puissance iranienne | Conflits. Consulté 4 décembre 2021, à l’adresse  

Les fondements de la puissance iranienne

  • Shaping Perceptions—The Role of the Media in Iran’s Foreign Policy. (s. d.). 74.  

https://www.cfc.forces.gc.ca/259/290/297/286/schliebitz.pdf

  

  

  • 40 ans de la Révolution iranienne : analyse dune diaspora https://www.franceculture.fr/geopolitique/40-ans-de-la-revolution-iranienne-analyse-dune-diaspora  
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Amaury Bouas
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