Le 22 janvier 2021, le chef indien Raoni Metuktire porte plainte contre le président brésilien Jair Bolsonaro pour crime contre l’humanité devant la Cour pénale Internationale de la Haye. Il l’accuse de meurtres, d’extermination et de mise en esclavage des peuples indigènes de l’Amazonie. Le chef autochtone accuse également le président brésilien d’avoir concouru à la destruction de la forêt amazonienne.
Si les rapports entre le pouvoir politique brésilien et les peuples indigènes sont historiquement conflictuels, les relations se sont sérieusement dégradées depuis l’arrivée de Bolsonaro à la tête du pays le 1er janvier 2019.
Brève présentation des Indiens d’Amazonie
Les Indiens du Brésil représentent aujourd’hui environ 900 000 personnes, soit 0,4% de la population totale brésilienne. Ils se répartissent en plus de 300 tribus de taille très inégale. La population de chacune d’entre-elles excède toutefois rarement les 7500 individus.
Parmi les plus grandes tribus, on peut citer les Guajajara avec 27 600 personnes, les Guarani, qui se subdivisent eux-mêmes en trois sous-tribus allant de 6 000 à 20 000 individus chacune, ou encore les Kaingang avec près de 26 000 personnes. Plus de 200 ethnies et autant de langues et dialectes sont aujourd’hui identifiés par les spécialistes.
Les Indiens d’Amazonie sont appelés peuples autochtones (littéralement, ceux qui sont issus du sol même où ils habitent) car leur présence précède l’arrivée des colons et l’existence de l’État brésilien.
Les Indiens qui vivent dans les savanes et les forêts bordant la côte Atlantique-Sud, tels que les Guarani ou les Kaingang, et ceux vivant dans l’intérieur aride du Nord-Est, comme les Tupinambá par exemple, ont été parmi les premiers à entrer en contact avec les colonisateurs européens à leur arrivée au Brésil, en 1500. Les Indiens sont rapidement réduits en esclavage pour exploiter la canne à sucre et les bois précieux. Entre les exactions qu’ils subissent et l’arrivée de nouvelles maladies, les Amérindiens connaissent une forte baisse de leur population dans des proportions que les spécialistes ont encore aujourd’hui beaucoup de mal à quantifier.
Si dans un premier temps la colonisation du Brésil se limite aux côtes, les colons progressent rapidement à l’intérieur des terres et ouvrent un front pionnier sur l’Amazonie, entrant en contact avec de nouveaux peuples autochtones amérindiens, spoliant et empiétant constamment les terres des indigènes.
Les relations entre le pouvoir politique central et les Amérindiens
Cette colonisation pionnière se poursuit encore aujourd’hui. Au cours des 100 dernières années, les Indiens se sont vu dessaisir de la quasi-totalité de leur territoire qui a le plus souvent été transformé en vastes pâturages d’élevage ou en plantations de soja et de de canne à sucre. La forêt amazonienne recèle en outre de richesses naturelles abondantes qui sont autant d’opportunités d’enrichissement pour les compagnies d’exploitation et le développement économique du Brésil.
La première tentative mise en œuvre par les autorités brésiliennes pour protéger les peuples autochtones se concrétise avec la création du SPI (le Service de protection indien) en 1910. Mais contrairement à l’image qu’il projetait, le SPI avait pour objectif premier d’assimiler les peuples autochtones au reste de la population brésilienne et reléguait au second plan la question de la préservation de leur culture et de leurs terres.
Le rapport Figueiredo publié en 1967 et commandé par le ministre de l’Intérieur, a fait état d’un désintérêt complet pour la cause amérindienne. Le procureur chargé du rapport y révélait même « des massacres de masse, des actes de torture, l’esclavage, les abus sexuels et la spoliation de terres qui étaient perpétrés à l’encontre des Indiens du Brésil.» La publication de ce rapport a d’ailleurs conduit au démantèlement du SPI.
Il faut attendre la proclamation de la Constitution de 1988 pour que les droits des Indiens sur les terres qu’ils occupent traditionnellement soient reconnus. Pour garantir l’application de cette disposition constitutionnelle, les autorités brésiliennes créée la Fondation Nationale de l’Indien (FUNAI). Celle-ci est chargée de cartographier et de protéger les terres traditionnellement habitées et utilisées par les communautés indiennes. Son objectif est plus largement celui de « protéger leur vie, leurs terres et leurs droits fondamentaux ».
Pour autant, la démarcation des terres des peuples indigènes du Brésil est toujours en cours de réalisation. Elle entraîne de nombreux conflits économiques, politiques et juridiques. En 2011, 400 terres indigènes sont précisément démarquées, mais de nombreuses procédures sont en cours, suspendues ou font l’objet de batailles juridiques.
Les Indiens d’Amazonie face à Bolsonaro
Alors que la question de la délimitation des terres amérindiennes est loin d’être résolues et fait l’objet de vives tensions, l’arrivée au pouvoir de Jair Bolsonaro suite à sa victoire aux élections de 2018 n’arrange pas la situation. Leader du Parti Social-Libéral (PSL), Bolsonaro est généralement classé à l’extrême droite de l’échiquier politique. Défini par ses partisans comme un conservateur de droite, sa politique stigmatise les minorités ethniques et sexuelles.
Peu soucieux du sort des Indiens et des questions environnementales, Bolsonaro a entrepris dès le début de son mandat une intensification de l’exploitation de la forêt amazonienne pour tirer profit des nombreuses ressources. C’est ainsi qu’entre août 2018 et août 2019, la déforestation en Amazonie brésilienne a progressé de 222 %, selon l’Institut national de recherche spatiale. Face à cette déforestation effrénée, plusieurs dizaines de tribus indiennes de l’Etat du Matto Grosso du Sud, en plein cœur de l’Amazonie ont constitué une union sacrée contre la politique environnementale du président en janvier 2020.
L’opposition des autochtones à Bolsonaro prend une nouvelle ampleur lorsque le chef indigène Raoni décide de porter plainte contre le président pour crime contre l’humanité devant la Cour Pénale Internationale le 22 janvier 2021. Raoni est le cacique, autrement dit le chef, de la tribu des Kayapos, qui compte environ 11 700 personnes localisés dans les États du Mato Grosso et du Parà. Dans un document de 65 pages, auxquelles sont annexées 21 pièces à conviction, le chef indien accuse Bolsonaro de mener une politique visant à « piller les richesses de l’Amazonie » en imposant « des conditions de vie insupportables aux autochtones de certaines régions, afin de les forcer à se déplacer de territoires convoités par les agriculteurs ».
Conclusion
Depuis le dépôt de plainte de Raoni contre Bolsonaro devant la Cour Pénale Internationale, ce dernier ne s’est pas exprimé publiquement sur cette accusation. Les Indiens ne sont pas pour autant assurés d’obtenir gain de cause contre le président brésilien, et ils doivent composer avec la lenteur de la procédure judiciaire de cette instance internationale. Mais il s’agit d’un signe fort que le chef indien envoie au chef d’Etat brésilien et au monde entier afin de sensibiliser toute la population à la cause amérindienne et à la préservation de la forêt amazonienne.
Cette accusation intervient en outre, non sans lien, en pleine crise sanitaire avec le Covid-19. Les Indiens ont en effet été particulièrement touchés par la pandémie. Outre une gestion de la crise par Bolsonaro jugée désastreuse par les observateurs, les tribus d’Amazonie ont particulièrement souffert du manque d’informations et de l’éloignement des structures sanitaires.
SOURCES
https://www.philomag.com/articles/raoni-face-aux-crimes-contre-le-vivant
https://www.survivalinternational.fr/peuples/bresil
https://www.survivalinternational.fr/sur/funai