Le 8 juillet dernier, Joe Biden a annoncé le retrait des troupes américaines d’Afghanistan, après 20 ans de présence.
L’Afghanistan, une terre en conflit
L’Afghanistan se situe au croisement des sphères d’influence de plusieurs grandes puissances : la Chine, le Pakistan et l’Iran. En 1978, le parti communiste afghan, appuyé par l’URSS s’est emparé du pouvoir par la force. Après ce coup d’État, les soviétiques ont envahi le pays. En réaction, les Afghans, et les moudjahidines, ces « guerriers saints » ont voulu repousser l’envahisseur : s’en est suivi une décennie de combats sanglants. Ces 10 années (1979-1989) sont communément appelées la première guerre d’Afghanistan. Cette guerre a eu une dimension mondiale et de nombreux pays ont été impliqués. Les Etats-Unis, toujours en guerre idéologique contre l’URSS depuis 1945 n’ont qu’une seule envie : minimiser l’influence communiste à travers le monde. C’est pourquoi, dès les premières heures de la guerre ils fournissent des armes aux Afghans pour les aider à lutter contre le communisme. Depuis 1979, l’Afghanistan est empêtré dans une alternance de guerres et de guerres civiles.
Les talibans, mouvement fondamentaliste islamiste, sont nés de l’invasion soviétique dans les années 1990. En effet de nombreux Afghans ont rejoint le Pakistan pour fuir le conflit. Les plus jeunes d’entre eux ont reçu là-bas une éducation très marquée par la religion (le deobandi, école de pensée musulmane sunnite et le wahhabisme, mouvement de réforme se réclamant de l’Islam sunnite). Cette jeunesse reviendra quelques années plus tard en Afghanistan en « néo-fondamentalistes », désireux de respecter la loi divine : c’est la naissance des talibans. En 1996, ils s’emparent du pouvoir afghan, soutenu par le Pakistan et créent l’Emirat islamique d’Afghanistan. Ce dernier soutiendra Al-Qaïda et sera le berceau des terroristes à l’origine de l’attentat du 11 septembre 2001. Donald Rumsfeld, le secrétaire à la défense du président George W. Busch, identifie Al-Qaïda et Oussama Ben Laden, comme responsables des attaques.
Au lendemain de l’attentat du World Trade Center, il n’est plus possible pour les États-Unis de continuer à aider les forces afghanes. Il leur est désormais indispensable de penser à la défense de leur propre pays. C’est pourquoi l’opération militaire Enduring Freedom, initiée par les États-Unis, est lancée à la fin de l’année 2001 afin de lutter contre le terrorisme. Des bombardements ont lieu dans un premier temps contre Al-Qaïda et les talibans et les forces spéciales américaines (épaulées par les Britanniques) luttent sur le terrain.
Les forces américaines accompagnées par la communauté internationale sont ainsi restées près de 20 ans sur le sol afghan. La décision de Joe Biden bien que dans la continuité de ces prédécesseurs est un évènement marquant dans la géopolitique du Moyen-Orient.
Un retrait des troupes déjà initié
Le retrait des troupes avait déjà commencé durant le second mandat Obama après la mort de Ben Laden en 2011. En 2014, le nombre de soldats sur le sol afghan est passé de 130 000 à 16 000. Toutefois, le retrait complet des troupes américaines n’a pas pu se poursuivre à cause de la reprise des combats dans cette région.
Aujourd’hui, 58% des Américains soutiennent la décision de Joe Biden, mais elle fait tout de même débat, y compris au sein du parti Démocrate de Biden. Pour certains, la menace terroriste n’est plus à craindre, tandis que pour d’autres, ce retrait semble prématuré sachant que la situation n’est pas stable.
L’intervention du président Biden intervient seulement quelques jours après le retrait des soldats américains de la base aérienne de Bagram située à 50 km au Nord de Kaboul, haut-lieu des opérations américaines en Afghanistan. Cette base va être restituée aux Afghans afin de sécuriser les abords de la capital Kaboul et de faire face aux attaques des talibans.
Pour Joe Bien, « La mission a été accomplie en ce sens que nous avons capturé Oussama Ben Laden et que le terrorisme n’émane plus de cette partie du monde », cependant il n’exclut pas un retour des forces talibanes au pouvoir.
Un avenir incertain
Le début du retrait des soldats a entrainé une forte insécurité laissant présager une reprise du territoire par les Afghans.
Le plan politique est par ailleurs toujours des plus instables. En effet, en 2018, des discussions bilatérales ont été entamées entre les États-Unis et les talibans, marginalisant le gouvernement afghan. En plus du retrait des troupes américaines et des pourparlers pour un cessez-le-feu, les États-Unis veulent des garanties, que le territoire ne soit pas un lieu d’accueil des djihadistes. Le 29 février 2020 à Doha, un accord préalable reprenant les discussions de 2018 a été établi et ce toujours sans le gouvernement afghan. Enfin, en septembre 2020, les États-Unis sont à l’origine de négociations entre les talibans et le gouvernement afghan. Cependant plusieurs attentats non revendiqués ont eu lieu au début de l’année 2021, ce qui a stoppé les discussions. L’instabilité politique afghane est donc bien visible. Non seulement le gouvernement afghan ne participe pas à la moitié des négociations mais en plus, les quelques échanges dans lesquels il a été impliqué n’ont pas abouti.
Aujourd’hui, les discussions n’ont toujours pas repris et les talibans ont largement regagné du terrain. En effet, à la mi-juillet, ils détenaient plus de 50% du territoire et aujourd’hui plus de 85%. Le 2 août, le président afghan, Ashraf Ghani a expliqué que l’augmentation de l’insécurité était due « au brusque retrait des troupes » mais il a également assuré que son pays a de quoi se défendre, contrairement à ce qu’affirme la communauté internationale. Le seul moyen pour le gouvernement de se maintenir au pouvoir est de continuer à contrôler les grandes villes, sous peine d’être victime d’un effet domino : si l’une des grandes villes provinciales tombe dans les mains des talibans, les autres suivront.
Malgré l’optimisme du président afghan, la capitale provinciale Zaranj est tombée ce vendredi 06 août et le chef du service de communication du gouvernement Dawa Khan Menapal a été assassiné à Kaboul. La perte d’une ville importante est un nouveau coup porté au moral des troupes afghanes et un espoir pour les talibans de reconquérir le pouvoir.
La prise de cette ville par les talibans va surement réenflammer le conflit afghan et on peut s’attendre à de nouveaux combats sanglants dans la région. Par ailleurs, le retrait des troupes américaines ouvre la voie à des puissances de l’Est comme la Russie ou l’Iran d’appuyer leurs positions en armant les combattants talibans. Ce retrait des troupes américaines n’est donc pas sans conséquence.
Des conséquences plus profondes
Les affrontements entre le gouvernement afghan et les talibans ont déjà causé l’exode de plusieurs millions d’afghans par le passé, principalement au Pakistan et en Iran. Il semblerait que ce phénomène se reproduise depuis les nouvelles offensives talibanes de début 2021. Depuis le début de l’année près de 200 000 Afghans ont été déplacés à l’intérieur de leur pays et de nombreuses ONG ont observé des arrivées massives en Turquie. Selon l’ONU, le nombre de victimes civiles a augmenté de 50% depuis la reprise des combats et ce taux va continuer de croître. La crise humanitaire a aussi des répercussions néfastes sur la population : l’aide est de plus en plus urgente.
Sur le plan international, l’ONU a demandé l’arrêt des attaques. De plus lors d’une réunion du Conseil de Sécurité du 6 août 2021, Deborah Lyons, Représentante spéciale du Secrétaire général et chef de la Mission d’assistance des Nations Unies en Afghanistan a indiqué « qu’un gouvernement imposé par la force en Afghanistan ne sera pas reconnu ».