Les câbles optiques sous-marins, d’outils de communication à armes d’espionnage 

Près de 450 câbles optiques sous-marins sillonnent le monde et font transiter 99% de nos télécommunications. Il n’y a qu’à lire une carte des câbles pour identifier les axes de communication majeurs, à savoir le premier liant l’Europe aux États-Unis, le deuxième le continent européen à l’Asie et le troisième la côte ouest des États-Unis au Japon. La localisation des câbles peut dès lors se révéler porteuse de développement et d’accroissement des relations entre puissances économiques, à l’instar des routes maritimes et autres réseaux d’interconnexion.  

L’essor d’un nouvel outil… 

Dès 1988, le premier câble optique sous-marin TAT-8 relie les États-Unis, la France et la Grande-Bretagne. Le projet attire le financement de 27 autres administrateurs ou sociétés téléphoniques. Les capacités de ce type de câbles ayant été multipliées par 40 000 entre 1988 et 2009, on comprend rapidement la croissance exponentielle de leur usage de concert avec celle du digital (notamment celle d’internet, du téléphone et de la télévision numérique). Par ailleurs, leur performance voit une reconsidération de la place des satellites pour le transport de données dans l’imaginaire collectif, qui, réservés aux zones enclavées, représentent moins de 0,4% des échanges.  

…Qui fait défiler l’information sous nos pieds 

Pour cause, le câble sous-marin se fait le nouveau porte-conteneur de l’information1, une révolution qui « assure la liaison entre les acteurs et le pilotage à distance du système » et rend « nos sociétés largement dépendantes de la mer et de ses infrastructures » selon Camille Morel, doctorante allocataire de la Direction des relations internationales et de la stratégie du Ministère de la Défense (DGRIS). Et ce, tant dans l’industrie que dans la finance – citons pour cela le gain de cinq millisecondes au trading haute fréquence entre les Bourses de Londres et de New York grâce au câble Hibernia Express depuis septembre 2015. La présence d’un seul câble optique sous-marin ne suffisant guère à l’acheminent du trafic, notons que c’est bien une dépendance à l’interconnexion de câbles qui forme des routes optiques et des nœuds de livraison et d’échange de données. 

Les nombreuses parties prenantes

L’émergence de ce nouveau marché permet l’apparition de nouveaux acteurs. Les firmes télécoms (Orange, Alcatel-Lucent, TE SubTelecom, Huawei Subware…) prennent l’ascendant sur les États et se partagent les coûts. D’autres acteurs, les GAFAM (les 5 grandes firmes américaines qui dominent le marché du numérique), sont vivement insérés sur le marché  jusqu’à y exercer un contrôle à hauteur de 50% : Facebook participe notamment à au moins six consortiums de câbles sous-marins. Avec le groupe français Alcatel submarine Networks et le groupe britannique Vodafone, le géant lance un gigantesque projet baptisé « AMITIE » valorisé à 250 millions d’euros, qui reliera les trois pays à sa mise en fonction début 2022. Il participe considérablement à l’enjeu de connexion de la France à d’autres continents selon Jean-Luc Vuillemin, directeur des réseaux internationaux d’Orange, qui sera propriétaire du câble présent dans les eaux territoriales françaises.  

Une image contenant carte

Description générée automatiquementRoute du Câble Amitié 

Un marché convoité

D’une part, la mise en place des câbles suscite la convoitise des GAFAM qui perçoivent la boucle endogène suivante : la multiplication des câbles accentue la relation avec certains territoires en marge, les populations ont dès lors accès à Internet – d’où un surcroit d’usagers – et in fine, constituent de potentiels clients extraterritoriaux. Citons ici Facebook, actuellement en co-construction d’un câble baptisé « 2Africa », qui reliera l’Europe de l’Ouest au Moyen-Orient et à seize pays d’Afrique. D’autre part, le contrôle des câbles constitue un enjeu de puissance majeur tant il octroie un contrôle partiel sur les informations qui y transitent et peut concéder au pays une souveraineté numérique cruciale en cas de guerre géoéconomique. L’Europe fait face à la pression sino-américaine en érigeant une muraille immatérielle : elle vise à monétiser l’accès à son marché de 500 millions de consommateurs et de mêler innovation et protection des données en circulation, à travers la mise en place d’un règlement général sur la protection des données (RGPD). 

Les risques liés aux câbles sous-marins

Un infrastructure aussi critique nécessite une importante gestion des risques. Les risques peuvent être d’ordre accidentel (ancres de bateau, morsure de requin…), naturel (en décembre 2006, un tremblement de terre a détérioré plusieurs câbles dans le Sud de Taïwan, les répercussions s’étendant à toute l’Asie du Sud-Est) ou liés aux vols pour la revente de cuivre (au Vietnam en 2007, des pêcheurs ont coupé plus de 50 km de câble). À cela s’ajoutent des risques de sabotage intentionnel lors de conflits, de cyberattaque ou encore d’espionnage. Malgré une surveillance accrue2, les écoutes illicites par le branchement d’appareils sur les câbles se poursuivent, ce qui ne manque pas de créer des tensions diplomatiques.  

Des scandales liés à l’espionnage des câbles

Sous couvert de défense et de promotion des intérêts fondamentaux de la nation, on constate que l’interception des télécommunications n’est pas un phénomène rare, y compris en France.  Déjà en 2013 des lanceurs d’alertes tel qu’Edward Snowden, ex-consultant du renseignement américain, témoignaient d’une surveillance de masse mondiale par la NSA. Fin mai 2021, c’est le Danemark, point focal du trafic entre les pays européens et la Russie, qui est accusé publiquement d’avoir espionné des communications. D’après la télévision publique danoise, le pays aurait autorisé les États-Unis à se brancher sur ses câbles pour espionner les dirigeants européens, notamment la chancelière allemande Angela Merkel. Des explications sont toujours attendues. 

Notes

1 Si dans les processus de production, le porte-conteneur sert à l’acheminement d’un ensemble de pièces à assembler, la liaison opérée par le câble permet un suivi des stocks et une communication efficiente entre les parties prenantes…

2 Pour en savoir plus sur les dispositifs de surveillance : « Les principales mesures visant à protéger les câbles sous-marins contre les activités criminelles ont été définies lors de la réunion mondiale d’experts de l’ONUDC ». Nations Unies  : Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (voir : www.unodc.org/unodc/fr/frontpage/2019/February/key-actions-to-protect-submarine-cables-from-criminal-activity-identified-at-unodc-global-expert-meeting.html)

Sources :  

Les câbles sous-marins – Enjeu stratégique majeur | colsbleus.fr : le magazine de la Marine Nationale. https://www.colsbleus.fr/articles/11160. 

« Cables sous-marin ». Tactis, https://www.tactis.fr/cables-sous-marin/

« Baptisé AMITIE, un nouveau câble sous-marin reliera la France aux États-Unis et à la Grande-Bretagne ». LEFIGARO, https://www.lefigaro.fr/secteur/high-tech/baptise-amitie-un-nouveau-cable-sous-marin-reliera-la-france-aux-etats-unis-et-a-la-grande-bretagne-20210208

« Espionnage : la guerre des abysses avec la surveillance des câbles sous-marins de télécommunication ». Franceinfo, 6 juin 2021, https://www.francetvinfo.fr/economie/emploi/metiers/armee-et-securite/espionnage-la-guerre-des-abysses-avec-la-surveillance-des-cables-sous-marins-de-telecommunication_4653311.html. 

Les Câbles Sous-Marins, Enjeu Stratégique Pour Une Indépendance Numérique Européenne. http://portail-ie.fr/analysis/2799/les-cables-sous-marins-enjeu-strategique-pour-une-independance-numerique-europeenne. 

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