Autrice : Enola Boyer
Traducteurs : Enola Boyer, Ilyas Alami
English version below
Il serait illusoire de s’imaginer que les mafias, que l’on peut définir comme des groupes du crime organisé, ressemblent à ce que nous voyons dans l’industrie cinématographique. Les mafieux ne sont pas seulement des criminels, leur rôle est en réalité bien plus complexe. Nous allons tenter, au travers d’un exemple, d’éclaircir le fonctionnement de ces groupes.
L’une des mafias les plus connues au monde est sans conteste la mafia japonaise. Composée de yakuzas, littéralement des bons à rien, elle a vu le jour au XVIIème siècle et rassemblait principalement des parias, des forces anti-sociales, des burakumim ou personnes appartenant à des classes sociales inférieures. Le terme yakuza, une fois décomposé, correspond d’ailleurs à la plus mauvaise main dans un jeu de carte équivalent au Black Jack (893, ya-ku-san).
Le XVIIème siècle correspond à l’ère d’Edo pendant laquelle les criminels étaient marqués à vie au moyen de tatouages. Cette pratique a été conservée avec le temps sauf qu’aujourd’hui, les yakuzas décident de se tatouer eux-mêmes. Les connotations liées aux tatouages se ressentent au sein de la société puisqu’il peut s’avérer difficile de se rendre au bain public ou même de trouver un emploi. Il n’existe pas de motifs spécifiques mais certains sujets restent traditionnels. Il est coutume par exemple de laisser une bande de peau “nue” sur toute la longueur du ventre afin d’y tatouer le nom de son oyabun ou chef de famille.
La mafia japonaise n’est en effet pas unifiée. Elle se compose de différentes familles, une vingtaine, qui sont parfois amenées à devenir rivales. Pour rejoindre l’une d’entre elles, il est nécessaire de partager une coupe de saké (sakazuki) avec son chef puis de jurer fidélité à l’organisation ainsi qu’à son code d’honneur. Une infraction entraîne dans la plupart des cas ce que l’on appelle le yubitsume ou l’auto-mutilation. Le yakuzadoit se sectionner le petit-doigt et l’offrir à son oyabun afin de se repentir. L’honneur occupe une place primordiale au sein de la mafia japonaise et c’est la raison pour laquelle les yakuzas ont souvent été considérés comme les héritiers des samouraïs. La pratique du yubitsume viendrait d’ailleurs du fait qu’il est très difficile de manier une épée avec une phalange en moins.
Le groupe, décrit comme la plus grande organisation criminelle au monde, a pendant longtemps eu une existence légale. Les différents clans possédaient des locaux ainsi qu’une liste d’employés. À titre d’exemple, les membres de la famille Yamaguchi Gumi (l’une des plus influentes) possédaient un site internet ainsi qu’un magazine. Ces “syndicats du crime” ont pourtant dû faire face à un durcissement significatif des mesures prises à leur encontre. En 1992 a été votée une loi anti-gang, renforcée en 1993 par une loi anti-blanchiment. L’adoption de cette nouvelle législation survient juste après l’explosion de la bulle spéculative japonaise. De nombreuses entreprises ont fait faillite et le gouvernement craignait que le système économique ne soit gangrené par les yakuzas et leur argent.
Ainsi, certains experts parlent d’une perte d’influence de la mafia japonaise qui ne susciterait plus autant de vocations qu’auparavant. On comptait en effet 180 000 membres dans les années 1960 ; ce nombre serait aujourd’hui tombé à 15 000.
Cette analyse doit cependant être nuancée. Les enjeux pour les yakuzas ne sont plus les mêmes et il est important pour eux de se faire discrets. C’est pour cette raison que certains craignent au contraire que la mafia japonaise se soit infiltrée dans toutes les strates de la société et principalement dans les secteurs économiques et politiques. Les yakuzass’apparentent presque à des citoyens ordinaires, ce qui est nécessaire s’ils veulent voir leurs ambitions se réaliser. Le groupe souhaite en effet s’internationaliser et gagner en influence. Pour des questions de crédibilité et de fiabilité, il est primordial de ne pas susciter d’esclandres. Pour cela, les différentes familles doivent faire face à de nouveaux défis.
L’honneur, si cher aux yakuzas, n’est plus véritablement partagé par les nouveaux criminels qui mettent en lumière certaines activités et attirent l’attention des autorités. De nouveaux groupes, chinois pour la plupart, viennent également interférer avec les affaires de la mafia japonaise. Les acteurs se multiplient et la gestion de certains marchés et territoires devient plus complexe.
Ainsi, on s’accorde presque à reconnaître aux yakuzas une fonction sociale. Il n’est pas rare qu’ils soient en effet associés à des sortes de héros de la droite japonaise. La mafia s’est fortement mobilisée suite à la catastrophe de Fukushima en 2011 au moyen de dons ou autres prêts d’argent. Beaucoup s’attendent à ce que l’image du groupe soit redorée en cette période de pandémie. Les yakuzas ont déjà été nombreux à distribuer des masques et des médicaments. Ils profitent des moments de crise pour renforcer leur contrôle social et tisser des liens pour assurer l’ordre auquel ils aspirent.
Il ne faut pourtant pas se méprendre, les yakuzas restent tout de même liés à un grand nombre d’activités illégales et ont pour principal objectif de faire prospérer leurs affaires. Leur mobilisation en temps de crise peut être interprétée non pas comme une simple volonté mais comme un véritable besoin de redorer leur blason suite à certains dérapages comme celui du 17 avril 2009 quand Iccho Ito, le maire de Nagasaki a été assassiné après avoir refusé un prêt à une entreprise de construction liée à la mafia. Si le gouvernement et la mafia ont pu collaborer à certaines périodes, la confiance semble rompue ce qui confirme le besoin de s’effacer pour permettre au groupe de subsister.
Is the Japanese mafia on the decline ?
It would be illusionary to imagine that mafias, also defined as groups of organised crime, are anything like what we see in the film industry. The members of mafia are not only criminals, their role is actually much more complex. We will try to shed some light on how these groups work by using an example.
One of the best-known mafias in the world is undoubtedly the Japanese mafia. Composed of « yakuzas », literally good-for-nothings, it began in the 17th century and mainly brought together outcasts, anti-social forces, « burakumim » or people belonging to lower social classes. The term yakuza, when broken down, corresponds to the worst hand in a card game equivalent to Blackjack (893, ya-ku-san)
The 17th century corresponds to the Edo era during which criminals were marked for life with tattoos. This practice has been preserved over time except that today, yakuzas decide to tattoo themselves. The connotations associated with tattoos are felt in society as it can be difficult to go to the public bath or even to find a job for a tattooed person. There are no specific patterns, but some subjects remain traditional. It is customary, for example, to leave a strip of « bare » skin along the length of the belly in order to tattoo the name of one’s oyabun or family head. Indeed, the Japanese mafia is not unified. It is made up of different families, about twenty of them, which sometimes are made to become rivals. To join one of them, it is necessary to share a cup of sake (« sakazuki ») with its leader and then to swear loyalty to the organisation and its code of honour. An infraction leads in most cases to what is called « yubitsume » or self-mutilation. The yakuza must cut off his little finger and offer it to his oyabun in order to repent. Honour is of paramount importance in the Japanese mafia and therefore the yakuza have often been considered the heirs of the samurai. The practice of yubitsume is said to come from the fact that it is very difficult to wield a sword with a missing phalanx.
The group described as the largest criminal organisation in the world had a legal existence for a long time. The different clans had premises and a list of employees. For example, members of the Yamaguchi Gumi family (one of the most influential families) had a website and a magazine. However, these « crime syndicates » have faced a significant tightening of measures against them. In 1992 an anti-gang law was passed, reinforced in 1993 by an anti-money laundering law. The adoption of these rules came just after the Japanese speculative bubble burst. Many companies went bankrupt and the government feared that the economic system was being undermined by the yakuzas and their money.
Thus, some experts are talking about a loss of influence of the Japanese mafia, which no longer inspires as many vocations as before. There were 180,000 members in the 1960s and this number has now fallen to 15,000. However, this analysis must be shaded. The stakes for the yakuzas are no longer the same and it is important for them to be discreet. For this reason, some fear that the Japanese mafia has infiltrated all strata of society, especially the economic and political sectors. The yakuza are similar almost to ordinary citizens and it is necessary if they want to fulfil their goals. In fact, the group wants to become more international and influential. For reasons of credibility and trustworthiness, it is necessary to avoid causing a rift. To achieve this, the various families must face new challenges.
The honour so dear to the yakuza is no longer truly shared by the new criminals who highlight certain activities and attract the attention of the authorities. New groups, mostly Chinese, are also interfering with the Japanese mafia’s business. The number of stakeholders is increasing and the management of certain markets and territories is becoming more complex.
Thus, it is almost universally agreed that the yakuzas have a social function. It is not uncommon for them to be associated with a kind of heroes of the Japanese right wing. The mafia mobilised strongly following the Fukushima disaster in 2011 by means of donations or other loans of money. Many expect the group’s image to be boosted in this time of pandemic. Many yakuza have already distributed masks and medicines. They take advantage of moments of crisis to reinforce their social control and to build relationships to ensure the order they seek.
However, make no mistake, the yakuza are still linked to a wide range of illegal activities and their main objective is to make their business flourish. Their mobilisation in times of crisis can be interpreted not as a simple will but as a real need to restore their image following certain blunders such as the one of the 17th of April 2009 when Iccho Ito, the mayor of Nagasaki was assassinated after refusing a loan to a construction company linked to the mafia. If the government and the mafia have been able to collaborate together at certain times, trust seems to have been broken and confirms the need to step aside to allow the group to survive.