Auteurs : Pauline Le Carff et Adrien Ramamonjisoa
Traducteurs : Pauline Le Carff, Adrien Ramamonjisoa et Ali Jamaleddine
English version below
La propagation mondiale du Covid-19 en 2020 a marqué le début d’une course effrénée pour la découverte d’un vaccin efficace. Au-delà de sauver des populations, le vaccin se trouve être le moyen le plus utile pour relancer les activités économiques de chaque pays, fortement impactées depuis maintenant plus d’un an, et s’est donc révélé comme une véritable arme géopolitique. Avec plus de 200 vaccins en développement, le monde diplomatique a rapidement été submergé par l’objectif de se procurer des doses.
Des stratégies différentes pour un but commun
Actuellement, il existe seulement une poignée de vaccins commercialisés. La Russie, tout d’abord, a été le premier pays à en développer un, le Spoutnik V. Homologué très rapidement en août 2020, après seulement 2 mois de test (un vaccin à usage généralisé exige pourtant au minimum un an de test), le pays a rapidement commercialisé son produit. Actuellement, plus de 74 pays ont commandé le Spoutnik V pour leur campagne de vaccination. Derrière cette logique commerciale des autorités, l’objectif est de redorer l’image de la Russie, et d’installer le pays comme un acteur de premier plan au niveau scientifique. En effet, si l’on connaissait l’efficacité des poisons russes, notamment avec les affaires médiatisées en 2018 de l’ancien agent de renseignement Sergueï Skripal (empoisonné à Londres) ou plus récemment de l’opposant politique Navalny, on sait désormais que la Russie va jouer un rôle majeur sur le plan sanitaire dans les années à venir, au détriment de l’Union Européenne, qui maintient des relations tendues avec la Russie.
Les 27 pays membres de l’Union Européenne, quant à eux, ont fait le choix de négocier et d’acheter des doses ensemble. Une stratégie ambitieuse qui nécessitait une grande collaboration. Après de nombreuses et longues négociations entre membres, l’UE a commencé ses négociations avec les fabricants. Cette stratégie est très critiquée dans de nombreux pays en raison de la lente réaction des pays européens pour parvenir à un accord. De plus, des désaccords au sein de l’Union Européenne émergent, notamment en rapport avec l’utilisation du vaccin Spoutnik V. Si l’Allemagne se déclare prête à l’utiliser dès que celui-ci sera autorisé dans l’Union Européenne, la Russie accuse l’UE de faire trainer les démarches et plusieurs pays européens ont ainsi commandé des doses russes sans attendre l’autorisation de la Haute Autorité de Santé. C’est le cas de la Hongrie de Victor Orban et de la Slovaquie.
De l’autre côté de l’océan Atlantique, les Etats-Unis ont fortement accéléré leur campagne de vaccination depuis l’élection de Joe Biden, qui fait de la situation sanitaire sa priorité. Le pays utilise trois vaccins, celui de Johnson & Johnson, celui de l’alliance Pfizer et BioNTech et celui de l’entreprise américaine Moderna. Pour garantir à sa population de disposer d’un nombre suffisant de doses, l’administration américaine du mandat de Trump avait commandé un grand nombre de vaccins avant même l’annonce de ces résultats. Les Etats-Unis ont donc commandé deux fois plus de doses que nécessaires pour vacciner l’ensemble de la population. Le Canada a, quant à lui, commandé 5 fois plus de doses que nécessaires, contre 3 fois plus pour les britanniques.
L’Amérique du Sud, de son côté, n’a pu se lancer seule dans le projet de production d’un vaccin. Par manque de coopération entre les pays peut-être, elle renforce sa dépendance envers d’autres continents. Le Brésil, par exemple, s’est associé avec la Chine pour développer le CoronaVac, mais ne sera prêt à le produire qu’à l’automne prochain, et est donc dépendant de son associé pour le moment. De plus, le continent – sur lequel de nombreux pays ont commencé tardivement leur campagne de vaccination – voit des tensions sociales grimper suite aux méthodes de vaccination. Dans certains pays tels que l’Argentine et le Pérou, les inégalités d’accès au vaccin entre les populations riches et les populations pauvres font débat, et ont débouché au licenciement des ministres de la santé.
En Afrique et en Inde, la situation est compliquée. Manquant cruellement de moyens pour mener des campagnes de vaccination efficaces, les pays de ces zones géographiques tentent, depuis plusieurs mois, une négociation avec l’OMC. Le but de cette négociation est une levée des droits de propriété intellectuelle concernant les outils de lutte contre le Covid-19, l’Inde et l’Afrique n’ayant pu investir assez en R&D. Si l’initiative est soutenue par une centaine d’États, certains ne cachent pas leur opposition à ce projet : beaucoup de pays dits “du Nord”, parmi lesquels les États-Unis, le Royaume-Uni ou encore les États membres de l’Union Européenne, refusent de céder à cette demande. Cette situation met les États face à une réalité : l’Afrique, qui importe 99% des doses qu’elle utilise, n’est pas prête de s’affranchir de sa dépendance aux pays occidentaux.
L’Europe au cœur des tensions
Après les tensions liées à la course au vaccin, celles engendrées par la course à la vaccination font fureur. En Europe, dans un contexte géopolitique et géoéconomique marqué par le Brexit, les exportations de doses de vaccin exacerbent les tensions entre le Royaume Uni et l’Union Européenne. Si l’Union Européenne déclare, à ce jour, en avoir exporté 20 millions vers le Royaume Uni, les britanniques ont, eux, bloqué des exportations vers le continent, et réduit les doses promises. Ainsi, après avoir menacé de bloquer les exportations de doses vers le Royaume Uni, la Commission Européenne passe à l’acte : après révision de la politique d’exportation, les doses de vaccin AstraZenecca produites au sein de l’Union Européenne pourront être bloquées dans deux cas : si le pays tiers produit des doses mais en empêche l’exportation vers l’UE, ou si la population de ce pays est déjà “largement” vaccinée. En somme, les exportations de l’UE vers les États-Unis ou le Royaume-Uni devraient diminuer.
Vaccine and vaccination races: when health becomes a global issue
The global spread of Covid-19 in 2020 marked the beginning of a frantic race to find an effective vaccine. Beyond saving populations, the vaccine is the most useful way to revive the economic activities of each country, which have been heavily impacted for more than a year now, and has therefore proved to be a real geopolitical weapon. With more than 200 vaccines in development, the diplomatic world was quickly overwhelmed by the objective of obtaining doses.
Different strategies for a common goal
Currently, there are only a handful of vaccines on the market. Russia was the first country to develop a vaccine, Sputnik V. Approved very quickly in August 2020, after only two months of testing (a vaccine for general use requires at least a year of testing), the country quickly commercialized its product. Currently, more than 74 countries have ordered Sputnik V for their vaccination campaign. Behind this commercial logic of the authorities, the objective is to restore Russia’s image and to establish the country as a leading player on the scientific level. Indeed, if we knew the effectiveness of Russian poisons, especially with the media cases in 2018 of the former intelligence agent Sergei Skripal (poisoned in London) or more recently of the political opponent Navalny, we now know that Russia will play a major role in the health field in the coming years, at the expense of the European Union, which maintains tense relations with Russia.
The 27 member countries of the European Union, on the other hand, have chosen to negotiate and purchase doses together. An ambitious strategy that required a great deal of collaboration. After many long negotiations between members, the EU started its negotiations with the manufacturers. This strategy is highly criticized in many countries because of the slow reaction of European countries to reach an agreement. In addition, disagreements within the European Union are emerging, particularly in relation to the use of the Sputnik V vaccine. While Germany declares its readiness to use it as soon as it is authorized in the European Union, Russia accuses the EU of using the Sputnik V vaccine. Russia accuses the EU of delaying the process, and several European countries have ordered Russian doses without waiting for authorization from the health authority. This is the case of Victor Orban’s Hungary and Slovakia.
On the other side of the Atlantic Ocean, the United States have strongly accelerated their vaccination campaign since the election of Joe Biden, who makes the health situation his priority. The country is using three vaccines, from Johnson & Johnson, the Pfizer/BioNTech alliance and the US company Moderna. To ensure that its population has enough doses, the U.S. administration under Trump had ordered a large number of vaccines even before the results were announced. The United States ordered twice as many doses as needed to vaccinate all Americans. Canada, for its part, ordered 5 times more doses than necessary, against 3 times more for the British.
South America, on the other hand, was unable to launch a vaccine production project on its own. Perhaps because of the lack of cooperation between countries, it is becoming more dependent on other continents. Brazil, for example, has partnered with China to develop CoronaVac, but will not be ready to produce it until next fall, and is therefore dependent on its partner for the time being. In addition, the continent, where many countries started their vaccination campaigns late, is seeing social tensions rise as a result of vaccination methods. In some countries, such as Argentina and Peru, inequalities in access to the vaccine between rich and poor populations are being debated, and have led to the dismissal of health ministers.
In Africa and India, the situation is complicated. Cruelly lacking the means to carry out effective vaccination campaigns, these geographical areas have been attempting, for several months, to negotiate with the WTO. The aim of this negotiation is to lift intellectual property rights concerning tools to fight against Covid-19, as India and Africa have not been able to invest enough in R&D. Although the initiative is supported by about a hundred States, some of them do not hide their opposition to this project: many so-called « Northern » countries, including the United States, the United Kingdom and the European Union Member States, refuse to give in to this request. This situation confronts the States with a reality: Africa, which imports 99% of the doses it uses, is not ready to free itself from its dependence on Westerners.
Europe at the heart of the tensions
After the tensions related to the vaccine race, those generated by the vaccination race are all the rage. In Europe, in a geopolitical and geo-economic context marked by the Brexit, exports of vaccine doses are exacerbating tensions between the United Kingdom and Europe. While the European Union claims to have exported 20 million doses to the UK to date, the British have blocked exports to the continent and reduced the number of doses promised. So, after threatening to block exports of doses to the UK, the European Commission is taking action: after reviewing the export policy, AstraZenecca vaccine doses produced within the European Union may be blocked in two cases: if the third country produces doses but prevents their export to the EU, or if the population of that country is already « largely » vaccinated. In sum, exports from the EU to the United States or the United Kingdom should decrease.