Auteur : Arthur Legras
Le gouvernement de l’administration Biden vient de déclassifier un document inculpant le prince héritier d’Arabie Saoudite MBS comme le responsable du meurtre du journaliste Jamal Khashoggi. À la suite de ces révélations, Washington a prononcé des restrictions de Visa et des sanctions économiques pour 76 Saoudiens proches du pouvoir.
Ces sanctions même infimes (l’Arabie Saoudite étant l’allié des Etats-Unis depuis le pacte du Quincy en 1945, qui promet pétrole contre protection), sont des sanctions internationales qui sont de plus en plus utilisées dans le monde moderne par les grandes puissances ou l’ONU pour contraindre certains pays.
On peut tout d’abord distinguer deux types de sanctions internationales : les sanctions par des organismes internationaux comme l’ONU et les sanctions latérales prisent par un pays ou un groupe de pays contre un autre Etat, toujours officiellement dans le but de contraindre un pays à ne pas faire certaines actions qui seraient préjudiciables à la paix mondiale, contraires aux droits de l’homme ou menaceraient la démocratie. Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, cette méthode est de plus en plus utilisée pour éviter des conflits armés désastreux.
A l’heure actuelle, les Etats-Unis et l’union Européenne sont de très loin les principaux émetteurs de sanctions internationales et les pays les plus visés sont l’Iran, Cuba, la Birmanie, la Russie et la Corée du Nord. Il arrive que ces pays émettent des mesures de représailles comme l’a fait la Russie en 2014 en boycottant les produits agricoles européens suite à l’annonce des sanctions internationales après l’annexion de la Crimée. Cela a pour conséquence une escalade des sanctions entre les différents acteurs pouvant avoir des effets néfastes sur l’économie mondiale. Toute sanction repose sur une base juridique propre à chaque pays et à des normes internationales et elle peut viser à la fois un Etat ou une personne en particulier. C’est ce que l’on appelle une sanction ciblée et qui consiste la plupart du temps en des restrictions de visa et de voyage ou le gel des actifs de la personne. Concernant les Etats, elles peuvent être diplomatiques (rappel des ambassadeurs, exclusion d’un groupe de décision comme la Russie exclue du G8, rupture des relations diplomatiques et dénonciations internationales (sanction publicitaire)), économiques, commerciales et financières (embargos sur certains biens comme le pétrole en Iran ou les armes en Lybie, des boycotts, interdictions d’accès aux marchés financiers, réduction de l’aide humanitaire).
Les sanctions multilatérales de l’ONU.
Article 41 du chapitre 7 de la charte des Nations Unis (1945)
« Le Conseil de sécurité peut décider quelles mesures n’impliquant pas l’emploi de la force armée doivent être prises pour donner effet à ses décisions, et peut inviter les Membres des Nations Unies à appliquer ces mesures. Celles-ci peuvent comprendre l’interruption complète ou partielle des relations économiques et des communications ferroviaires, maritimes, aériennes, postales, télégraphiques, radioélectriques et des autres moyens de communication, ainsi que la rupture des relations diplomatiques »
En vertu de cet article, le Conseil de sécurité peut décider grâce au vote favorable de 9 membres sur 15, sans véto des membres permanents, de prendre des mesures coercitives à l’encontre d’un pays dans le but de promouvoir la paix. La première sanction fut adoptée contre la Rhodésie en 1966 dont le gouvernement exclusivement blanc et aux idéaux racistes était rendu coupable de la rébellion. Suivront ensuite l’Afrique du Sud en 1977 pour dénoncer l’Apartheid et bien d’autres pays. L’Irak subira les plus lourdes sanctions économiques en 1990 pour empêcher Saddam Hussein de s’équiper en armes de destructions massives mais la crise sanitaire et sociale qui en découlera entrainera un changement dans la méthode d’application des sanctions qui deviendront plus précises.

Dans les années 2000, l’ONU ne fera plus aucune sanction envers un pays en particulier, mais contre quelques personnes ou groupes, tels que Al Qaida ou Daesh, afin d’éviter de trop éprouver les populations civiles et finalement de créer des situations contraires à ses principes fondateurs et qui empêchent tout développement et croissance. Cependant, de telles mesures sont souvent jugées inefficaces car il est difficile de tracer les opérations illicites des personnes visées et d’utiliser le droit contre une personne qui méprise toute loi internationale. La méthode de décision d’application des sanctions par l’aval du conseil de sécurité, le droit de véto et la surreprésentation des puissances dominantes qui confirme « la loi du plus fort » sont des critiques souvent adressées à l’ONU pour l’application des sanctions.
Les Etats-Unis : « Parler doucement avec un gros bâtons » (Roosevelt)
L’extraterritorialité du droit américain est un outil du gouvernement des États-Unis depuis le début du XXème siècle, bien que son utilisation ait varié au cours du temps.
Avant 1918 et le président américain W. Wilson, elle ne servait qu’à affaiblir un adversaire avant une guerre puis, comme l’ont observé dans le Georgetown Journal of International Law, Rathbone, Jeydel et Lentz, elle a servi à des fins plus économiques que politiques : celle contre le Chili en 1965 a ainsi servi à faire baisser le cours du cuivre. Elle s’est peu à peu transformée depuis la fin des années 1980 en « un instrument clé et puissant pour poursuivre des objectifs de politique étrangère clairs et coordonnés », selon les mots d’un des anciens Secrétaires d’État au trésor américain, illustrant la nouvelle dimension politique de ces sanctions économiques.
Ces mesures sont donc de nos jours appliquées contre les ennemis des États-Unis. Quelles conséquences alors pour ceux-ci ? Sont-elles réellement efficaces ?
Prenons l’exemple de celles appliquées contre l’Iran. On pourrait de prime abord croire que ces mesures ne fonctionnent pas ou mal : le régime est au pouvoir depuis 1979 et les sanctions ne pénalisent presque pas les dignitaires iraniens qui n’ont que très peu d’actifs à l’étranger.
Cependant, si les conséquences politiques restent mitigées, celles sur l’économie du pays sont quant à elles désastreuses. Le secteur financier est ainsi extrêmement pénalisé puisque l’achat et la vente de dollars sont interdits et que les banques iraniennes sont sur liste noire. Les secteurs du transport maritime, de l’automobile et de l’aviation sont en difficulté, de même que le secteur du luxe (caviar, safran…). Le domaine le plus touché est celui du pétrole : entre avril 2018 et juillet 2019, les exportations ont baissé de 96%, quand bien même l’Iran en tirait 70 à 80% des recettes d’exportation et 40 à 50% des recettes budgétaires. Cela a induit depuis lors une inflation supérieure à 30% ainsi qu’une baisse du budget général de l’Etat. Alors, par exemple, le budget alloué au nucléaire a chuté de 29% comparativement au budget annoncé en mars 2019. Les aides versées aux Hezbollah, Hamas et Houtis ont également chuté.
Les effets de ces mesures sont donc indéniables. Mais à quel prix ? Les conséquences économiques de ces sanctions sur les intérêts des États-Unis existent, bien qu’elles ne soient que peu médiatisées. Tout d’abord parce qu’aux États-Unis comme dans de nombreux pays, les intérêts politiques priment sur ceux économiques : peu importe le prix à payer, les mesures seront appliquées. Le fait que l’économie américaine soit suffisamment solide pour absorber les conséquences de ces mesures est un deuxième élément de réponse, bien qu’une étude de la Heritage Foundation de 1997 révèle que les sanctions économiques avaient couté en 1995 entre 15 et 19 milliards de dollars d’exportations perdues aux États-Unis.
Pour que l’impact des sanctions économiques sur les pays concernés soit suffisant, il faut qu’aucun pays ne puisse avoir de liens avec ceux-ci. Comment les États-Unis parviennent-ils à imposer cela au reste du monde ?
L’extraterritorialité du droit américain en est la réponse. Si un paiement est effectué en dollar USD, si une puce, un serveur ou un produit américain est utilisé, si un passage sur leur territoire a eu lieu, un procès peut avoir lieu. L’amende de 9 milliards de dollars infligée en 2014 à BNP Paribas pour avoir contourné les embargos américains en est un exemple, ainsi que celles infligées au Crédit Agricole, à Alcatel, Alstom ou Total.
Plus globalement, les institutions financières sont particulièrement touchées par les différentes sanctions économiques prises par les États-Unis. Ainsi, les sanctions contre les banques étrangères aboutissent souvent à un accord négocié avec le Ministère de la Justice américain qui incite les banques à suivre le mouvement instauré par le gouvernement américain. Certains accords vont même plus loin, exigeant qu’un contrôleur supervise l’entreprise. L’impact financier est aussi visible dans le comportement des banques, qui deviennent réticentes à subventionner ou à faire affaire avec des pays opposés aux États-Unis, puisque si des sanctions sont instaurées, le poids de millions gelés se révèle lourd pour elles.
Face aux conséquences importantes sur ses banques et ses entreprises, l’Union Européenne a bien tenté d’instaurer une réponse, qui reste cependant mesurée à ce jour. Le règlement de blocage prévoit ainsi notamment de priver d’effet dans l’UE les décisions judiciaires américaines, enjoint de ne pas se conformer aux demandes des États-Unis et prévoit un droit à l’indemnisation pour les opérateurs européens victimes de sanctions liées à ces mesures.
L’Union européenne, une puissance normative (Zaki Laidi).
L’UE applique ses mesures restrictives dans le cadre de la PESC (politique européenne de sécurité commune). Elle dispose de trois types de mesures restrictives : la reprise des sanctions décidées sous l’égide de l’ONU, les régimes mixtes et les sanctions autonomes (décidées par le conseil de l’Europe) selon l’article 21 du traité sur l’Union Européenne. Les régimes mixtes correspondent à un mélange des sanctions prisent par l’ONU accompagnées des propres spécificités européennes. Les sanctions autonomes sont les sanctions prises seulement par l’UE sans influence extérieure pour défendre ses intérêts.

Une des particularités des sanctions européennes est qu’elle n’empêche pas la coopération. Ainsi, l’UE a augmenté son aide humanitaire au Zimbabwe malgré les sanctions à la suite de la prise de pouvoir de Mugabe. La même situation a eu lieu en Birmanie ou en Biélorussie.
Les pays visés par ces sanctions peuvent avoir des recours judiciaires auprès de l’OMC ou de la Cour européenne de justice mais l’absence de bras armés et de mesures coercitives de ces institutions rendent souvent inefficaces ce genre d’action.
Les sanctions internationales peuvent aussi avoir un effet néfaste sur le pays émetteur : c’est le cas souvent lors de sanctions contre la Russie qui prend des contre-mesures restrictives, comme avec, par exemple, le boycott des produits agricoles européens d’un total de 4.5 milliards d’euros en 2014. L’EU n’ayant pas prévu de débouchés alternatives, cela se traduisit par une crise majeure de l’agriculture européenne. La Russie profita en plus de l’embargo pour être moins dépendante de l’UE en fabricant ses propres produits et en diversifiant son approvisionnement. Les Etats-Unis eurent un autre problème pour l’aluminium avec la société Rusal qui était son premier fournisseur, créant ainsi une rupture dans la chaine d’approvisionnement et le retard de nombreux projets aux Etats-Unis.
Les sanctions internationales sont-elles vraiment efficaces ?
On accuse souvent les sanctions internationales de toucher principalement les citoyens et de ne pas affecter les dirigeants. L’exemple de la Corée du Nord est très révélateur. La famine des années 90 et l’embargo n’a pas empêché le régime de développer son armement et de rester au pouvoir sans révolte massive, car les sanctions internationales sont en plus le terreau de la propagande qui accuse alors les autres pays d’être responsables de tous les maux. Le concept stratégique d’affamer des populations et de détruire économiquement un pays est très contesté et peut être contraire aux droits de l’homme, alors que c’est souvent la raison avancée pour l’application de ces mêmes sanctions.
En Birmanie, la junte militaire n’avait aucun désir de s’ouvrir au monde et l’embargo a finalement fait le jeu des militaires qui pouvaient gouverner le pays sans rapports avec l’extérieur. Aucun lien de causalité n’a été trouvé entre l’apaisement démocratique de 2011 et les sanctions. Cependant il y a eu un appauvrissement massif de la population et l’industrie textile fut laminée.
La plupart du temps on observe un effet néfaste des sanctions internationales : marché noir, trafic, crise humanitaire et sociale, sentiment de revanche et de haine envers le pays émetteur, nationalisme. C’est un des paradoxes des sociétés occidentales qui établissent des droits humains fondamentaux et universels avec un devoir d’agir en leur faveur. Malheureusement que ce soit un conflit armé ou à travers les sanctions, les conséquences sont souvent terribles et les citoyens en souffrent le plus. Mais que peuvent-ils faire d’autre ?