Auteur : Charles Motais
Traducteur : Ali Jamaleddine
English version below

Homme fort de la Turquie, Recep Tayyip Erdogan est au pouvoir depuis 2003. Dirigeant turc le plus puissant depuis le fondateur de la République, Mustapha Kemal, Recep Tayyip Erdogan souhaite redorer le blason d’un peuple turc en quête d’identité depuis la chute de l’empire ottoman. Islamo-conservateur, le président turc prend le chemin du despotisme en voulant réislamiser la société turque et en souhaitant effacer progressivement des mentalités l’héritage Atatürk. On retrouve notamment sur la place Taksim à Istanbul, symbole de la victoire des combattants kémalistes, le nouveau projet de détruire le centre culturel Atatürk pour in fine le remplacer par une mosquée accueillant des œuvres islamiques.  

Né dans un quartier modeste d’Istanbul le 26 février 1954, d’une famille très pieuse originaire de Ruze, il étudie dans un établissement religieux et vend des confiseries dans la rue pour payer les manuels scolaires. Il est diplômé de l’université de sciences économiques de Marmara (1981). Dès 1976, il rejoint le mouvement de Necmettin Erbakan, son mentor politique qui sera dix ans plus tard le premier chef de gouvernement islamiste en Turquie.  

Élu maire d’Istanbul le 27 mars 1994, il acquiert une forte popularité grâce à sa gestion efficace. Mais il est condamné en 1998 pour incitation à la haine raciale et religieuse. Ce dernier est exclu de la vie politique et emprisonné quatre mois en 1999. En juillet 2001, la cour constitutionnelle l’autorise à revenir en politique. Il forme donc, le 14 aout 2001, le Parti de la justice et du développement (AKP) qu’il préside et devient premier ministre le 11 mars. Recep Tayyip Erdogan se présente alors comme modernisateur et pro-européen. En effet, il affiche son envie de créer un lien avec les dirigeants de l’Union Européenne (négociations en 2005 pour l’entrée de la Turquie dans l’Union Européenne). Cependant, sa politique modérée disparait progressivement au cours de ses mandats successifs à travers des mesures de réislamisation de la Turquie. Sa réélection en 2018 marque un véritable tournant dans sa politique dans son exercice du pouvoir . En effet, ce dernier assume pleinement le durcissement de sa politique, devenue autoritaire et religieuse, en affichant le jour de son élection le signe de Rabia, symbole de son soutien aux frères musulmans. Le début de ce mandat est ainsi illustré par des avancées dans le sens conservateur religieux, comme notamment l’autorisation du voile à l’université et l’interdiction de  maquillage pour les hôtesses de l’air de Turkish Airlines.  

A l’étranger, la côte  de la Turquie n’a jamais été aussi élevée depuis le début des années 2000. De la Syrie au Haut-Karabakh, en Irak, à Chypre ou encore en Libye, jamais la Turquie n’a été autant engagée en dehors de ses frontières. Erdogan jongle aujourd’hui entre islamisme et nationalisme pour asseoir son pouvoir au-delà de ses frontières. Malgré l’affaiblissement de la puissance militaire turque suite au coup d’État avorté, piloté par l’opposant en exil Fetullah Gulen en 2016, Erdogan créé la surprise en envoyant ses troupes à l’assaut du Nord Syrien. A partir de 2018, il affaiblit le rôle du chef d’état-major en renforçant celui du ministère de la Défense afin de pouvoir passer des ordres directs aux différents états-majors (terre, air, marine). Au printemps 2020, Erdogan vole au secours du gouvernement libyen en chassant de Tripoli les troupes du général Haftar. De plus, la Turquie déploie ses navires de forage en méditerranée, frôle la confrontation militaire avec la marine grecque, ranime le contentieux chypriote et s’ingère dans la guerre du Haut-Karabakh qui oppose l’Arménie à l’Azerbaïdjan. Son appétit énergétique fait de lui un véritable animal politique, redouté par les dirigeants européens. Le déploiement de ce nouveau « hard power » va de pair avec une industrie militaire en plein essor. Fabrication de drones, de sous-marins, de frégates… Erdogan n’a qu’une obsession : réduire sa dépendance à l’égard de l’Occident et trouver des moyens d’étendre son influence à l’étranger.  

Ainsi, Erdogan est l’architecte d’un nouvel ordre turc, incarné par la revanche profonde contre une ancienne élite, laïque et militaire. Si une majorité de la population adhère actuellement à cette rhétorique agressive du pouvoir, la crise économique que traverse la Turquie est une réalité difficile à masquer. En effet, ses résultats économiques déçoivent d’autant plus que sa gestion du coronavirus laisse à désirer. Au lendemain de sa réélection en 2018, Recep Tayyip Erdogan avait déclaré : « Nous avons une longue période devant nous où nous allons introduire des réformes économiques sans compromettre les règles d’une économie de marché ». Des réformes qui apparaissent aujourd’hui urgentes au vu de l’inflation et du chômage qui ne cessent de grimper depuis le début de l’épidémie. A cela s’ajoute la perte de confiance des investisseurs étrangers, provoquant une chute vertigineuse de la livre turque (chute de 35% de sa valeur face au dollar en 2020) 

Pour aller plus loin : 

  • Erdogan, un « sultan moderne » à la tête de la Turquie ?, La Tribune  
  • Comment le démocrate Erdogan a viré au despote, Alain Constant, Le Monde  
  • Recep Tayyip Erdogan, Sabine Delanglade, Les Échos  
  • Où vas-tu grand sultan Erdogan ?, Renaud Girard, Le Figaro  
  • Erdogan déboussole la politique étrangère turque, Les Échos  
  • Portrait de Recep Tayyip Erdogan, David Martin, Institut Montaigne  
  • Recep Tayyip Erdogan veut-il enflammer la méditerranée ?, documentaire Arte 
  • Turquie, nation impossible, Nicolas Glimois, documentaire Arte  

Erdogan: between dreams of greatness and disillusions

Turkey’s strongman, Recep Tayyip Erdogan has been in power since 2003. The most powerful Turkish leader since the founder of the Republic, Mustapha Kemal, Recep Tayyip Erdogan wants to restore the image of a Turkish population in search of identity since the fall of the Ottoman Empire. Islamo-conservative, the Turkish president is taking the path of despotism by wanting to re-Islamize the Turkish society and by wishing to gradually erase from mentalities the Atatürk heritage. For instance the Taksim Square in Istanbul, symbol of the victory of the Kemalist fighters, the new project of destroying the Ataturk cultural center to replace it with a mosque hosting Islamic works.  

Born in a modest neighborhood of Istanbul on February 26th, 1954, to a very pious family from Ruze, he studied in a religious establishment and sold sweets in the street to pay for textbooks. He graduated from Marmara University of Economics (1981). In 1976, he joins the movement of Necmettin Erbakan, his political mentor who will be ten years later the first Islamist head of government in Turkey.  

Elected mayor of Istanbul on March 27th, 1994, he acquired a strong popularity thanks to his efficient management. But he is condemned in 1998 for incitement to racial and religious hatred. He was excluded from political life and imprisoned for four months in 1999. In July 2001, the Constitutional Court authorized him to return to politics. On August 14th, 2001, he formed the Justice and Development Party (AKP), which he chaired, and became Prime Minister on March 11th. Recep Tayyip Erdogan then presented himself as a modernizer and pro-European. Indeed, he showed his desire to create a link with the leaders of the European Union (negotiations in 2005 for Turkey’s entry into the European Union). However, his moderate policy gradually disappeared during his successive mandates through measures to re-Islamize Turkey. His re-election in 2018 marks a real turning point in his exercise of power. Indeed, the latter fully assumes the hardening of his policy, which has become authoritarian and religious, by displaying on the day of his election the sign of Rabia, symbol of his support to the Muslim brotherhood. The beginning of this mandate is thus illustrated by advances in the conservative religious sense, such as the authorization of the veil at the university and the prohibition of make-up for the stewardesses of Turkish Airlines.  

Abroad, Turkey’s popularity has never been so high since the early 2000s. From Syria to Nagorno-Karabakh, Iraq, Cyprus or Libya, Turkey has never been so committed outside its borders. Erdogan today juggles between Islamism and nationalism to establish his power beyond the borders. Despite the weakening of Turkish military power following the aborted rebellion, led by the exiled opponent Fetullah Gulen in 2016, Erdogan surprises everyone by sending his troops to attack the North of Syria. From 2018, he weakened the role of the Chief of Staff by strengthening that of the Ministry of Defense in order to be able to issue direct orders to the various staffs (land, air, navy). In the spring of 2020, Erdogan came to the aid of the Libyan government by driving General Haftar’s troops out of Tripoli. In addition, Turkey deployed its drill ships in the Mediterranean, verging on a military confrontation with the Greek navy, revived the Cypriot dispute and interfered in the war over the Nagorno-Karabakh area between Armenia and Azerbaijan. His energetic appetite makes him a real political animal, feared by European leaders. The deployment of this new ‘hard power’ goes hand in hand with a booming military industry. Manufacturing drones, submarines, frigates… Erdogan has only one obsession: to reduce his dependence on the West and find ways to extend his influence abroad.  

Thus, Erdogan is the architect of a new Turkish order, embodied by the profound revenge against an old elite, secular and military. If a majority of the population currently adheres to this aggressive rhetoric of power, the economic crisis that Turkey is going through is a reality that is difficult to hide. Indeed, its economic results are all the more disappointing and its management of the coronavirus is unsatisfactory. Following his re-election in 2018, Recep Tayyip Erdogan declared: « We have a long period ahead of us where we will introduce economic reforms without compromising the rules of a market economy ». Reforms that now appear urgent in view of the inflation and unemployment that have continued to rise since the beginning of the pandemic. Adding to that the loss of confidence of foreign investors, causing a dizzying fall of the Turkish Lira (a 35% drop in its value against the dollar in 2020).  

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