Auteurs : Pauline Le Carff et Adrien Ramamonjisoa
Traducteurs: Pauline Le Carff, Adrien Ramamonjisoa et Ali Jamaleddine
English version below

Ravagée par les conflits et les instabilités depuis plus de 25 ans, la région du Kivu, située à l’est de la République Démocratique du Congo, est pourtant méconnue. Divisé en trois provinces, Ituri, le Nord-Kivu et le Sud-Kivu, et d’une superficie de 190 211 kilomètres carré, cet immense territoire partage ses frontières et les grands lacs africains avec l’Ouganda, le Rwanda et le Burundi. Retour sur des décennies de conflits qui ont fait environ 6 millions de morts.

De nombreux conflits ethniques et politiques

L’instabilité de cette région est en grande partie liée à l’histoire de ses pays voisins. Point final de plusieurs années de répressions, le génocide de 800 000 à 1 million de Tutsi par les Hutus au Rwanda en 1994 peut être considéré comme point de départ de l’histoire sanglante du Kivu. Chassés de leur pays par des milices Ougandaise, Rwandaise et du Burundi, de nombreux Tutsi trouvent refuge dans l’actuelle République Démocratique du Congo, appelée à l’époque Zaïre. Certains Hutus s’installent également après le génocide dans le pays, par peur de représailles. Ces mouvements de populations déplacent ainsi les affrontements au Kivu, où des persécutions de Tutsi et de Banyamulenge (groupe Tutsi installé au Congo depuis des générations) eurent de nouveau lieu.  

Face à l’inaction et la prise de position du Zaïre en faveur des Hutus, le gouvernement Tutsi du Rwanda participe à la création en 1996 avec l’Ouganda de « l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo » (AFDL). Ce groupe armé dissident au pouvoir central de Kinshasa entame alors la première guerre du Congo jusqu’en 1997. 

La fin de la guerre ne suffit cependant pas à régler les nombreux problèmes. Laurent-Désiré Kabila, porte-parole de l’AFDL, se proclame président du Zaïre qu’il renomme République Démocratique du Congo. L’omniprésence de Tutsi issu du Rwanda dans son gouvernement provoque des tensions. Il finit par trahir ses anciens alliés, le Rwanda et l’Ouganda un an plus tard, en 1998, en réclamant le départ de leurs dernières troupes encore stationnées au Kivu. 

La même année, la deuxième guerre du Congo éclate. Des militaires congolais Tutsi font défection, et obtiennent le soutien du Rwanda et du Burundi. La partie est de la République Démocratique du Congo devient sous contrôle du « Rassemblement congolais pour la Démocratie » (RCD), qui souhaite renverser le pouvoir. La région n’est pourtant pas sécurisée, car de nombreuses milices Hutus alliées à Kabila réalisent des massacres dans la population. Le conflit s’essouffle et en 2002, lassé par les combats ou la tutelle imposée par le Rwanda, le RCD se disloque progressivement, pour rejoindre les forces armées du Congo. La paix est finalement signée en 2002 après des affrontements avec les forces armées du Rwanda. 

Les provinces du Kivu et Ituri ne vont néanmoins pas arrêter les conflits. Les affrontements recommencent avec des acteurs similaires. Une branche Tutsi de l’armée congolaise se rebelle et fonde le  Congrès national pour la défense du peuple (CNDP). La guerre du Kivu éclate en 2004. L’armée, les milices Hutus et le CNDP commettent bon nombre de crimes de guerre. Le conflit s’interrompt une première fois en 2009 avec la signature d’un accord de paix à Goma dans le Nord-Kivu comprenant la transformation du CNDP en parti politique, la libération de nombreux prisonniers et l’amnistie des soldats déposant les armes. 

En 2012, des ex-rebelles du CNDP organisent de nouveau une mutinerie pour créer le mouvement M23, en référence au traité de paix du 23 mars 2009. Selon eux, les accords passés à l’époque n’ont pas été respectés. Leur rébellion est cependant canalisée au bout d’un an en 2013, là encore, après de nombreux faits d’armes. 

Depuis 2013, aucun conflit majeur n’a eu lieu au Kivu. Cette région reste cependant très dangereuse car de nombreuses milices y sont toujours implantées. Les affrontements font toujours partie du quotidien des civils. Cette année, 2195 personnes ont été tuées rien que dans la région de l’Ituri.  

De forts intérêts économiques

Les enjeux idéologiques et politiques ne suffisent pas pour expliquer l’entièreté des nombreux affrontements que connait la région depuis plus d’un quart de siècle. 

Le Kivu est un territoire extrêmement riche. Son sol plus précisément regorge de matières précieuses tel le diamant, de l’or ou encore du coltan, minerai indispensable à la création de matériel électronique comme les téléphones. On estime que 80 % des réserves de coltan mondial sont situées au Kivu. 

Principaux minerais et les politiques des pays importateurs 

Les groupes armés de la région ont donc un fort intérêt à contrôler ces points stratégiques qui assurent des gains financiers importants. Les états voisins comme le Rwanda ont également profité de ces richesses pendant les nombreux conflits. 

Aujourd’hui encore, de nombreuses mines sont contrôlées par des milices qui profitent des bénéfices pour s’armer, et donc alimenter les conflits. 

La population en ligne de front

Sachant cela, il est possible de se demander pourquoi les puissances et grands groupes internationaux n’utilisent pas leur pouvoir pour mettre un terme à cette exploitation. 

Seulement, malgré le pouvoir de ces derniers, la régulation de l’utilisation des matériaux issus de ces minerais s’avère extrêmement compliquée. Tout d’abord, il est quasiment impossible de tracer leur origine : les matériaux passent par plusieurs acteurs, qui ne renseignent pas le minerai d’origine sur les bons de commande. Ainsi, il n’est pas possible de savoir qui les détient. 

Dès lors, la solution pourrait sembler être de boycotter les minerais de la région des grands lacs ou les produits en étant issus sans distinction, afin de ne pas soutenir les mines tenues par des milices. Cependant, cela aurait des répercussions sociétales fortes : dans cette région de la République Démocratique du Congo, nombreux sont les villages qui vivent principalement de ces exploitations, et qui seraient donc ruinés par de telles mesures. De plus, si les forces armées ne pouvaient pas tirer profit de ces mêmes mines, elles en viendraient à piller les villages de la région des lacs, ce qui impliquerait de nouveaux conflits. 

Ainsi, ces mesures pénaliseraient les populations, déjà très souvent en première ligne dans les conflits. Effectivement, si les guerres et différents groupes armés impliqués se sont succédés au fil des années, les populations civiles ont toujours été prises à parti dans des conflits qu’elles n’avaient pas déclenchés. En utilisant des techniques de guerre telles que le viol de masse, en convertissant les jeunes en enfants soldats et en réduisant des villages entiers à l’esclavagisme, les armées adverses ont déstabilisé les habitants de la région, brisant des familles entières.

En somme, la région du Kivu est une région traversée par d’innombrables conflits, et ce depuis plusieurs décennies. Toutefois, la région entrevoit l’espoir d’un apaisement des tensions : élu depuis 2019, le président Felix Tshisekedi a entamé une ouverture politique. Ainsi, sous l’égide des Nations Unies, des accords sont signés entre les pays de la région des lacs, permettant de croire à un futur plus stable pour la région. 

Kivu Region: 25 years of massacres

Ravaged by conflict and instability for more than 25 years, the Kivu region, located in the east of the Democratic Republic of Congo, is nevertheless little known. Divided into three provinces (Ituri, North Kivu and South Kivu) covering an area of 190,211 square kilometers, this huge territory shares its borders and great african lakes with Uganda, Rwanda and Burundi. Let’s take a look back at decades of conflict that has left an estimated 6 million people dead.

Many ethnic and political conflicts

The instability of this region is largely linked to the history of neighbouring countries.  The final point of several years of repression, the genocide of 800,000 to 1 million Tutsis by the Hutus in Rwanda in 1994 can be seen as the starting point of the bloody history of the Kivus. Driven out of their countries by Ugandan, Rwandan and Burundi militias, many Tutsis found refuge in what is now the Democratic Republic of Congo, then called Zaire. Some Hutus also settled in the country after the genocide for fear of reprisals. These population movements thus displaced the clashes of the Kivus, where persecution of Tutsis and Banyamulenge (a Tutsi group that had been settled in Congo for generations) took place once again.

Faced with Zaire’s inaction and the stance taken by Zaire in favour of the Hutus, the Tutsi government of Rwanda participated in the creation in 1996 with Uganda of the « Alliance of Democratic Forces for the Liberation of Congo » (AFDL). This dissident armed group with central power in Kinshasa then started the first Congo war which lasted until 1997.

However, the end of the war was not enough to solve the many problems. Laurent-Désiré Kabila, AFDL’s spokesman, proclaimed himself President of Zaire which he renamed Democratic Republic of Congo. The omnipresence of Tutsis from Rwanda in his government causes tensions. He ended up betraying his former allies, Rwanda and Uganda a year later in 1998 by demanding the departure of their last troops still stationed in Kivu.

The same year, the second Congo war began. Congolese Tutsi soldiers defected, gaining the support of Rwanda and Burundi.  The eastern part of the Democratic Republic of Congo becomes under the control of the « Rassemblement Congolais pour la Démocratie » (RCD), which wishes to overthrow the government. The region is not secure, however, as many Hutu militias allied to Kabila carry out massacres among the population. The conflict ran out of steam and in 2002, tired of the fighting or the tutelage imposed by Rwanda, the RCD gradually broke up and joined the Congolese armed forces. Peace was finally signed in 2002 after clashes with the Rwandan armed forces.

The provinces of Kivu and Ituri will not, however, stop the conflicts. Clashes began again with similar actors. A Tutsi branch of the Congolese army rebels and founds the « Congrès national pour la défense du peuple » (CNDP). The Kivu war erupts in 2004. The army, Hutu militias and the CNDP commit a number of war crimes. The conflict came to an end for the first time in 2009, with the signing of a peace agreement in Goma in North Kivu, which included the transformation of the CNDP into a political party, the release of many prisoners and amnesty for soldiers laying down their arms.

In 2012, former CNDP rebels organised a mutiny to create the M23 movement, in reference to the peace treaty of 23rd March 2009. According to them, the agreements made at the time were not respected. However, their rebellion was channelled after a year in 2013, again after numerous acts of arms.

Since 2013, no major conflict has taken place in Kivu. However, this region remains very dangerous because many military militias are still established there. Clashes are still part of the daily life of civilians. This year, 2195 people were killed only in the Ituri region alone.

Strong economic interests

The ideological and political stakes are not the only way to explain all of the numerous confrontations that the region has been experiencing for more than a quarter of a century.

Kivu is an extremely rich territory. More precisely, its soil is full of precious materials such as diamonds, gold and coltan, a mineral essential for the creation of electronic equipment such as telephones. It is estimated that 80% of the world’s coltan reserves are located in Kivu.

Armed groups in the region therefore have a strong interest in controlling these strategic points which ensure significant financial gains. Neighbouring states such as Rwanda have also benefited from this wealth during the many conflicts.

Even today, many mines are still controlled by militias who take advantage of the profits to arm themselves and thus fuel conflicts.

The population on the front line

Knowing this, one might wonder why the international powers and big groups do not use their power to put an end to this exploitation.

However, despite their power, the regulation of the use of materials from these minerals is extremely complicated. First of all, it is almost impossible to trace their origin: the materials pass through several actors, who do not inform the original ore on the purchase orders. Thus, it is not possible to know who holds them.

Therefore, the solution might seem to boycott the minerals of the Great Lakes region or products made from them indiscriminately, so as not to support militia-run mines. However, this idea would have strong societal repercussions: in this region of the Democratic Republic of Congo, many villages live mainly off these mines, and would therefore be ruined by such measures. Moreover, if the armed forces could not take advantage of these same mines, they would come to plunder villages in the lake region, which would therefore lead to new conflicts.

These measures would penalise the populations, who are already very often on the front line in conflicts. Indeed, although wars and the various armed groups involved have succeeded one another over the years, civilian populations have always been taken to task in conflicts that they did not start. By using warfare techniques such as mass rape, by converting young people into child soldiers and by reducing entire villages to slavery, the opposing armies have destabilised the inhabitants of the region, breaking up entire families.

Finally, the Kivu region is a region that has been plagued by countless conflicts for several decades. However, the region sees hope for an easing of tensions: elected since the beginning of 2019, President Felix Tshisekedi has begun a political opening. Under the aegis of the United Nations, agreements have been signed between the countries of the lake region, giving hope for a more stable future for the region.

Adrien Ramamonjisoa
Plus de publications
Ali Jamaleddine
Plus de publications
Pauline Le Carff
Plus de publications