Auteurs : Adrien Argento et Ivan De Mercey
Traducteurs : Adrien Argento, Ivan De Mercey et Ilyas Alami
English version below
Depuis le vote en faveur du retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne en 2016, les deux parties n’ont eu de cesse de chercher un point d’entente pour formaliser le départ de Londres, qui était entrée dans le marché commun en 1973. Retour sur un divorce assez complexe à conclure.
Que s’est-il passé de 2016 à 2020 ? Un bref résumé
Le 23 juin 2016, les Britanniques votent oui au référendum proposé par David Cameron pour sortir de l’Union européenne. C’est un événement inédit dans l’histoire de la construction européenne : si le « Grexit », le départ de la Grèce de l’Union européenne, avait été évoqué lors de la crise de l’euro du début de la décennie 2010, il n’avait finalement pas eu lieu. Après une campagne mouvementée en faveur du « Leave » (départ) menée par le conservateur Boris Johnson et le président du parti nationaliste United Kingdom Independance Party (UKIP) Nigel Farage, ces deux derniers obtiennent gain de cause.
De 2016 à 2019, la Première ministre conservatrice Theresa May échoue à trouver un accord qui satisfasse les intérêts britanniques et ceux de la Commission européenne. C’est en juillet 2019 que Boris Johnson remplace May à la tête du Royaume-Uni, et à la suite d’élections anticipées, il obtient le 12 décembre de la même année une majorité qui le soutien dans son projet de conclure définitivement le dossier du Brexit le plus rapidement possible. Le 1er février 2020, le Royaume-Uni sort définitivement de l’Union européenne : il ne reste plus qu’à définir l’accord qui régira les relations entre Bruxelles et Londres, et cette période de transition ne fut pas de tout repos.
Fin 2020 : la tentation du no deal (négociations UE-Johnson)
En effet, l’un des points qui empêchait une négociation apaisée du divorce UE – Royaume-Uni était la pêche. La Politique commune de la pêche (PCP) fixait des quotas de captures et garantissait l’accès aux eaux européennes pour tous les pêcheurs des Etats membres. Source d’inquiétude pour les pêcheurs français, l’installation d’une frontière maritime britannique aurait été un frein majeur à cette activité : 60% du tonnage issu des eaux britanniques était d’ailleurs capturé par des pêcheurs des autres Etats-membres.
Une autre source de tensions était la question de l’Irlande du Nord. Ce territoire du Royaume-Uni reste tout de même interdépendant de la République d’Irlande, qui est membre à part entière de l’UE. Le problème résidait dans l’installation d’une frontière permanente entre l’Eire et l’Ulster, qui menaçait le travail de très nombreux Irlandais et Britanniques qui traversaient de part et d’autre l’île grâce aux clauses de l’UE. De plus, les nouveaux contrôles aux douanes et les normes commerciales conséquentes au Brexit allaient être un frein aux échanges entre les deux parties de l’île, ce qui affecterait l’économie des deux Etats.
Finalement, l’accord signé le 24 décembre 2020 a permis un compromis sur ces questions. Le Royaume-Uni renonce à 25% de sa pêche dans ses propres eaux pendant six ans, ce qui permet aux pêcheurs européens de poursuivre leur activité jusqu’en 2026. Et l’Irlande ne sera pas coupée en deux : la frontière se situera en mer d’Irlande, et les biens provenant de l’Irlande du Nord en direction de l’Angleterre seront traités comme venant d’Europe.


Comment la frontière irlando-britannique va désormais fonctionner
Ce qui va changer pour les travailleurs et les étudiants
Les expatriés européens au Royaume-Uni sont estimés à 3,2 millions, dont 300.000 Français. Nombre d’entre eux s’inquiètent, à juste titre, sur les conséquences du Brexit dans le cadre de leur travail. Pour conserver le cadre légal et juridique dont ils bénéficiaient jusqu’à présent, ils doivent remplir une série de procédures administratives afin d’être reconnus en tant que résidents permanents (settled status). Sans ce précieux sésame, impossible en effet de continuer à travailler sur le territoire britannique une fois le Brexit définitivement entériné. Si la plupart des expatriés travaillent et continueront de travailler sous contrat de travail anglais selon les mêmes règles qu’auparavant, de nombreuses questions en matière sociale restent néanmoins en suspens. Par exemple, les règles de protection sociale déterminées à l’échelle européenne en 1971 sur le nombre d’heures maximum risquent d’être remise en cause.
Le Brexit va également apporter d’importants changements en ce qui concerne les étudiants français et européens. En effet, depuis 1987, Le Royaume-Uni participait au programme Erasmus et a longtemps fait figure de destination privilégiée pour les étudiants européens. En 2018, ce sont quelques 31 000 étudiants Erasmus qui ont pu se rendre au Royaume-Uni. Alors qu’en janvier 2020, Boris Johnson avait assuré ne pas remettre en cause l’intégration du Royaume-Uni au sein du programme d’échanges étudiants, le Premier Ministre a finalement fait volte-face le 30 décembre 2020 en affirmant que le pays allait œuvrer à la construction de son propre programme d’échanges après le Brexit. Ce retrait pourrait dissuader de nombreux étudiants de venir étudier au Royaume-Uni, les frais de scolarité devenant particulièrement élevés dans certaines universités britanniques (près de 25 000€/an pour les étudiants à Cambridge par exemple).
Catastrophe ou simple formalisation d’un rejet européen ?
En 1963, le président français Charles de Gaulle réagissait à la candidature du Royaume-Uni à l’entrée dans la Communauté Economique Européenne (CEE), ancêtre de l’UE. Il s’opposait à l’entrée de nos voisins outre-Manche à cause de sa « structure » insulaire qui était très différente « de celle des continentaux. »
« Elle est maritime. Elle est liée par ses échanges, ses marchés, ses ravitaillements aux pays les plus divers, et souvent les plus lointains. Elle exerce une activité essentiellement industrielle et commerciale, et très peu agricole. Elle a dans tout son travail des habitudes et des traditions très marquées, très originales », résumait le général.
Alors, le Brexit est-il simplement la formalisation de la singularité insulaire de la Grande-Bretagne ? Ou est-ce vraiment une surprise historique, qui résulte d’un contexte politique particulier, celui d’un rejet des élites de la part du peuple britannique – et surtout anglais ? L’avenir conclura ces questions, mais Boris Johnson a dorénavant plusieurs chantiers à gérer : d’abord celui de la crise de la Covid, d’une ampleur inédite et qui mettra à l’épreuve une Grande-Bretagne désormais plus isolée qu’auparavant. Ensuite, celui du « Global Britain », c’est-à-dire de maintenir une influence britannique sur le reste du monde en se détachant de ses partenaires européens et en tissant des liens diplomatiques avec des pays du monde entier. Un premier accord bilatéral de libre-échange a d’ailleurs été signé avec le Japon en octobre dernier.
Brexit is finally agreed: what will happen next?
Since the vote in favour of the United Kingdom’s withdrawal from the European Union in 2016, both parties have been constantly seeking a point of agreement to formalise the departure of London, which had entered the common market in 1973. Back on a rather complex divorce to conclude.
What happened from 2016 to 2020? A brief summary
On 23 June 2016, the British voted in the referendum proposed by David Cameron to leave the European Union. This is an unprecedented event in the history of European construction: if the «Grexit», the departure of Greece from the European Union, had been evoked during the euro crisis of the beginning of the 2010 decade, it had finally not taken place. After an eventful campaign in favour of the «Leave» (departure) led by the conservative Boris Johnson and the president of the nationalist party United Kingdom Independance Party (UKIP) Nigel Farage, the latter two won the referendum.
From 2016 to 2019, Conservative Prime Minister Theresa May failed to reach an agreement that satisfied British and European Commission interests. It was in July 2019 that Boris Johnson replaced May at the head of the United Kingdom, and following early elections, he obtained a majority on 12 December of the same year that supported him in his project to finalize the Brexit file as quickly as possible. On 1 February 2020, the United Kingdom permanently leaves the European Union: all that remains is to define the agreement that will govern relations between Brussels and London, and this period of transition has not been easy.
End 2020: the temptation of no deal (EU-Johnson negotiations)
Indeed, one of the points that prevented a peaceful negotiation of the EU – UK divorce was fishing. The Common Fisheries Policy (CFP) set catch quotas and guaranteed access to European waters for all fishermen in the Member States. A source of concern for French fishermen, the installation of a British maritime border would have been a major obstacle to this activity: 60% of the tonnage from British waters was caught by fishermen from other Member States.
Another source of tension was the issue of Northern Ireland. This territory of the United Kingdom remains interdependent with the Republic of Ireland, which is a full member of the EU. The problem was the installation of a permanent border between Eire and Ulster, which threatened the work of many Irish and British who crossed the island on both sides thanks to EU clauses. In addition, the new customs controls and trade standards resulting from Brexit would be a brake on trade between the two parts of the island, which would affect the two-state economy.
Finally, the agreement signed on 24 December 2020 allowed a compromise on these issues. The United Kingdom has given up 25% of its own fisheries for six years, allowing European fishermen to continue fishing until 2026. And Ireland will not be split in two : the frontier will be located in the Irish Sea, and the goods coming from Northern Ireland in direction of England will be treated as if they came from Europe.


How the Ireland-Great Britain frontier will work after Brexit
What will change for workers and students
European expatriates in the UK are estimated at 3.2 million Europeans, including 300,000 French. Many of them are rightly concerned about the impact of Brexit on their work. In order to maintain the legal and judicial framework they enjoyed until now, they must complete a series of administrative procedures in order to be recognized as a permanent resident (settled status). Without this precious sesame, it is impossible to continue working on British territory once the Brexit is finally ratified. While most expatriates work and will continue to work under the same rules as before, many social issues remain unresolved. For example, the social protection rules established at European level in 1971 on the maximum number of hours may be called into question.
Brexit will also bring about important changes for French and European students. Indeed, since 1987, the United Kingdom has participated in the Erasmus program and has long been a preferred destination for European students. In 2018, some 31,000 Erasmus students were able to travel to the United Kingdom. While in January 2020, Boris Johnson had assured himself that he would not question the UK’s integration into the student exchange program, the Prime Minister finally turned around on December 30, 2020, he said that the country would work to build its own post-Brexit trade agenda. This withdrawal could dissuade many students from studying in the UK, with tuition fees becoming particularly high in some UK universities (nearly €25,000/year for students in Cambridge, for example).
Catastrophe or simple formalisation of a European rejection?
In 1963, French President Charles de Gaulle reacted to the United Kingdom’s bid to join the European Economic Community (EEC), the forerunner of the EU. He was opposed to the entry of our neighbours across the Channel because of his island “structure” which was very different “from that of the continentals”.
It is maritime. It is linked by its trade, its markets, its supplies to the most diverse countries, and often the most distant. Its activity is mainly industrial and commercial, and very little agricultural. It has in all her work very strong, original habits and traditions,” the general summed up.
So, is Brexit simply the formalization of Britain’s island singularity? Or is it really a historical surprise, which results from a particular political context, that of a rejection of the elites on the part of the British – and especially English – people? The future will conclude these questions, but Boris Johnson now has several projects to manage: first, the Covid crisis, of unprecedented scale and which will test a Great Britain now more isolated than before. Then there is Global Britain, which is to maintain a British influence on the rest of the world by detaching itself from its European partners and by forging diplomatic ties with countries around the world. A first bilateral free trade agreement was for that matter signed with Japan last October.
Pour aller plus loin :
De Gaulle « La Grande Bretagne et l’Europe » | Archive INA : https://youtu.be/faIWhXoam7Y
Brexit : 10 chiffres clés pour comprendre la pêche en Europe : https://www.touteleurope.eu/actualite/brexit-10-chiffres-cles-pour-comprendre-la-peche-en-europe.html
Brexit: French Fishermen Worry What A Trade Deal May Mean For Them: https://www.npr.org/2020/12/23/948851039/brexit-french-fishermen-worry-what-a-trade-deal-may-mean-for-them?t=1610108368224