Auteur et traducteur: Najib Harkaoui
English version below
Président biélorusse depuis 1994, Alexandre Loukachenko briguait un sixième mandat le 9 août dernier. Le soir même, après sa victoire écrasante (80% des suffrages, contre seulement 10% pour sa principale rivale Svetlana Tsikhanovskaïa), une large partie de la Biélorussie s’embrase, éreintée par un scrutin de plus aux allures frauduleuses.

« Loukachenko, va-t’en ! », scandent chaque dimanche depuis la dernière élection les opposants au régime dans les rues de Minsk. En poste depuis 26 années, le président biélorusse n’a jamais semblé aussi fragilisé. Ce n’est pourtant pas la première fois que sa légitimité est remise en cause par une partie de son peuple : ce fut le cas dès 2001, au moment de sa première réélection, mais aussi et surtout en 2005, lors de la tentative de révolution menée par le Zubr et soutenue par Washington, ou encore en 2017, lors d’une vague de contestations sans précédent. Chaque fois, la répression et l’emprisonnement des principales figures de l’opposition ont permis au régime de se maintenir en place. Ainsi, lorsque le 9 août dernier, celui que certains s’amusent à surnommer « le dernier dictateur d’Europe » remporte une victoire écrasante très controversée, pour beaucoup, la coupe est pleine.
Les revendications sont simples : les manifestants réclament la libération de tous les opposants emprisonnés, le départ des responsables de la répression, ainsi qu’un recomptage des bulletins ou une nouvelle élection. Pour se faire entendre, ils ont investi les rues – celles de la capitale mais pas que, ce qui est assez rare pour être souligné – mais ont également orchestré des grèves de grande ampleur notamment dans l’industrie du tracteur, l’un des fleurons économiques du pays.
Au niveau économique, justement, Loukachenko revendique un socialisme de marché dans lequel le secteur public conserve une part immense : à lui seul, il assure 60% à 70% du PIB. Si la Biélorussie demeure encore largement dépendante des aides du voisin russe, et que les salaires restent très bas, le pays dispose néanmoins d’un système de santé gratuit plutôt bon. L’éducation est un autre point fort du pays. Le Bélarus connait par ailleurs une importante crise monétaire depuis le début de l’année 2020, amplifiée par les incertitudes liées à la contestation sociale née début août. La course aux devises étrangères ainsi que la fermeture des comptes bancaires sont d’ailleurs devenues des actes civiques visant à fragiliser le pouvoir, celui-ci voyant sa dette publique, indexée à 90% sur le dollar, se creuser. Si la répression policière peut permettre de mater la révolte politique, la crise économique sera, elle, bien plus difficile à surmonter, même si Loukachenko, grand nostalgique de l’Union Soviétique, espère pouvoir compter sur l’appui du grand frère russe.

Pour la Fédération de Russie, le Bélarus est un voisin éminemment stratégique. Il est appréhendé par Moscou comme une chasse gardée, et fait partie de ce que le Kremlin nomme son « étranger proche », à savoir un ensemble de terres voisines sur lesquelles le pays estime disposer d’une certaine exclusivité. Historiquement, la Biélorussie se trouve dans la sphère d’influence russe depuis plusieurs siècles, elle est rattachée à l’Empire Russe pour la première fois à la fin du XVIIIème. Depuis, les relations ont été plus ou moins fortes mais ont toujours existé, si bien qu’aujourd’hui, l’histoire commune est telle que la Russie ne peut être écartée des affaires de Minsk. Aujourd’hui, une multitude d’accord régissent les relations entre les deux pays, qu’ils concernent la sécurité, la défense ou encore l’économie. Pour Moscou, la Biélorussie est un point de passage pour l’exportation de son gaz et de son pétrole vers l’Europe Occidentale. C’est également une route vers son enclave balte de Kaliningrad, et de façon générale, un État tampon entre la Fédération et ses rivaux à l’Ouest que sont l’Union Européenne et l’OTAN. Les relations entre les deux pays ne sont cependant plus ce qu’elles étaient. Elles ont été marquées par des désaccords fréquents, si bien que Vladimir Poutine considère son homologue Loukachenko comme un allié « instable ». Cela s’est traduit dans les faits par une baisse des subventions directes et indirectes de Moscou, sur le pétrole notamment, ce qui a conduit Minsk a diversifié ses partenaires, le pays se tournant désormais vers l’Asie centrale, le Moyen Orient, ou encore les États-Unis. Certains observateurs envisagent même la possibilité que la Russie appuie secrètement la révolte pour se débarrasser de Loukachenko qui n’est pas un partenaire facile. Cette hypothèse reste néanmoins à nuancer très fortement.

De son côté, l’Union Européenne a prononcé le 2 octobre un certain nombre de sanctions contre la Biélorussie, qui n’ont pas manqué de faire réagir Minsk et Moscou. Elles ne concernent cependant pas directement Loukachenko, mais une quarantaine de haut placés biélorusses jugés responsables de la répression. Les États-Unis ont prononcé des sanctions similaires, contre huit responsables. L’UE comme Washington demeurent très prudentes dans leurs actes, car toutes deux sont conscientes qu’une escalade des tensions avec la Russie est très vite arrivée lorsque le Kremlin estime qu’il y a ingérence étrangère dans son pré-carré.
Pour l’heure, difficile de prédire le futur du pays et le dénouement de cette crise, tant les inconnues demeurent nombreuses. Les Biélorusses, pour leur part, se montrent résilients et poursuivent leurs actes de protestations, malgré la répression. Chaque dimanche, ils investissent les rues du pays par dizaines de milliers pour réclamer le départ du « dernier dictateur d’Europe ». Si ce dernier s’accroche fermement à son siège de président, il est aujourd’hui plus fragilisé qu’il ne l’a jamais été au cours des 26 dernières années. Jusqu’à quand tiendra-t-il ?
Belarus : time for renewal
Belarusian president since 1994, Alexandre Lukashenko was running for a sixth term on 9 August. The same evening, after his huge victory (80% of the votes against 10% for his main rival Svetlana Tsikhanovskaïa) a huge part of Belarus took to the streets, exhausted by another suspect election.

“Lukashenko go away!” chant every Sunday since the last election the offenders to the regime trough the streets of Minsk. In office for 26 years, the Belarusian president seems more fragile than never. Yet, that is not the first time the people wants his departure: it was the case in 2001, after his first reelection, but also in 2005 during the attempted revolution led by the Zubr and supported by Washington, or also in 2017, at time of an important wave of protests. Each time, thanks to repression and the incarceration of the leaders of the opposition, the regime remained. Thus, when on 9 August, when the “last dictator in Europe” won another huge and controverted victory, it was one time too many for a lot of Belarusians.
The revendications are clear: the protestors claim for the liberation of all the political prisoners, the departure of the persons in charge of the repression, and a recount of votes or a new election. To make themselves heard, they took to the streets – in Minsk but also in other cities, a rare phenomenon – and organized many big strikes, especially in the tractor industry which is very important in the country’s economy.
Economically, Lukashenko claims a market socialism in which the public sector plays a big role: it represents 60 to 70% of the GDP. If Belarus remains largely dependent on Russian subsidies, and despite of the low salaries, the country has a quite good free health system and a high level of education. Since the beginning of the year, Belarus knows an important monetary crisis, which is worsened by the social crisis. Buying foreign currency and closing bank accounts are now civic actions which aim to weaken the government. This one notes indeed that its public debt, indexed at 90% on the dollar, is widening. If repression can put down the political revolt, the economic crisis could be more difficult to overcome, even if Lukashenko, who is nostalgic of the Soviet Union, counts on the Russian support.

For the Federation, Belarus is a very strategic neighbor. It is seen as a private preserve, a buffer state, and is a part of what Moscow calls its “near abroad”, which is a group of countries on which the Kremlin considers having rights. Historically, Belarus is linked to Russia since the end of the 18th century. From then, the relations have been more or less strong but have always existed, so much so that nowadays, Moscow cannot be excluded from Minsk’s matters. Now, a lot of deals govern the relations between the two countries, about security, defense or economy. For Russia, Belarus is a road for the exportation of its gas and its oil towards Western Europe. It is also a road to Kaliningrad, its Baltic enclave, and as a general rule, a buffer state against the Western rivals which are the European Union and the NATO. The relations between the two countries are however less strong than few days ago. They were characterized by frequent disagreements, so much so that Vladimir Putin considers Lukashenko as an “instable ally”. This led to a decrease in direct and indirect subsidies, especially on oil. Now, Belarus supplies in Central Asia, in Middle East and even in the US. Several experts go as far as to believe that Moscow could be behind the revolt, but this possibility has to be strongly nuanced.

On its side, the European Union imposed sanctions against Belarus on 2 October, an act which provoked reactions from Minsk and Moscow. However, these fines are not directly sent to Lukashenko but to forty persons responsible of the repression. The United States imposed similar sanctions, against eight statesmen. The EU and Washington remain very careful about their decisions because they perfectly know that an escalation of tension can happen suddenly when Moscow considers that there are foreign inferences in its sphere of influence.
For now, it is very difficult to predict the future of the country, so much the unknown aspects are numerous. The Belarus people for its part shows resilience and continues to protest despite of the repression. Each Sunday, they take to the street to demand the departure of “the last dictator of Europe”. If this one clings firmly to its office of President, he is now more threatened than ever. How long will he keep going ?